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Mais ce n'était pas cela qui l'avait le plus blessée car elle avait senti confusément que cet aspect inconnu de son caractère avait été suscité par elle et ne pouvait l'avoir été que par elle seule, ne s'était révélé en somme que parce que c'était elle qui se trouvait en jeu et qu'il avait trahi, sans le vouloir, par ces éclats terribles, lui qui gardait en tout une telle maîtrise, combien elle lui était chère, unique entre toutes les femmes. Elle n'était plus très sûre de cela. Elle aurait voulu le lui entendre dire. Mais, de toute façon, elle avait préféré cette violence, cette brutalité, à certaines de ses ruses, à certains pièges qu'il semblait lui avoir tendus pour la faire trébucher. Ainsi l'attirer dans l'île du Vieux-Navire avec Colin, afin de pouvoir les surprendre dans les bras l'un de l'autre... N'était-ce pas unique, indigne de lui ?... Elle retournait la question en elle-même, et chaque fois souffrait mille morts. Le coup dont il l'avait frappée au visage n'était rien à côté de ce coup-là. Il faudrait qu'elle comprenne. Qu'elle parvienne à le rejoindre au delà de cette chose, car la peur de l'avoir perdu à jamais la torturait affreusement.

Comment cela avait-il pu arriver si vite entre eux, comme un cyclone dévastateur, s'abattant sans que rien ait pu le faire prévoir, et ravageant tout ? Subitement, mais aussi d'une façon fourbe et insidieuse qui avait surpris leur vigilance. Elle s'interrogeait, essayant de retrouver le fil, de discerner quand est-ce que cela avait commencé, comment, en si peu de jours, tant de hasards funestes avaient pu s'accumuler pour les amener, eux si tendres complices, si fervents amis, si fougueusement amoureux l'un de l'autre, à trembler l'un devant l'autre. Cela tenait de la magie et du cauchemar !...

Il semblait que cela eût commencé à Houssnock, lorsque Joffrey l'avait envoyée reconduire la petite Anglaise, Rose-Ann, chez ses grands-parents, des colons de Nouvelle-Angleterre aux frontières du Maine, appelé pour un traité par un chef indien qui lui avait fait transmettre ses directives par Cantor, lui donnant rendez-vous à l'embouchure du Kennebec.

Et ensuite les événements s'étaient déclenchés comme une avalanche dramatique.

L'attaque du village anglais par les Canadiens et leurs alliés Indiens Abénakis et qui semblait préméditée pour la capturer, elle, la femme du comte de Peyrac.

Angélique leur échappant grâce à Piksarett, le chef des Patsuikett, parvenant à la baie de Casco, retrouvant dans le pirate Barbe-d'Or qui y rôdait son amant Je jadis, Colin Paturel, le roi des Esclaves de Miquenez, celui qui l'avait sauvée du harem de Moulay Ismaël, peut-être le seul de tous les hommes qui l'avaient aimée jadis, ayant laissé dans son souvenir et dans sa chair un regret, une vague nostalgie, une tendresse particulière.

Évidemment, aucune comparaison avec la grande flamme dévorante, le tourment, la passion, le désir impérieux, l'attachement un peu fou, impossible à raisonner, à analyser, qu'elle éprouvait pour Joffrey, une tunique de Nessus parfois, mais aussi des bonheurs éblouissants, comme des soleils brillant au fond d'elle-même, réchauffant, comblant sa vie, répondant aux aspirations, aux exigences secrètes de son cœur, de ses rêves, de son être entier.

Cela rien ne pouvait y être comparé. Mais elle avait aimé Colin, jadis, elle avait été heureuse dans ses bras, et, le retrouvant en une heure de solitude, de désarroi et de fatigue, quelque chose avait tressailli en elle, d'heureux, de doux et de sensuel, de sensuel surtout. Elle ne voulait pas se leurrer, ni se chercher des excuses. Elle avait failli succomber à un instant de vertige, la foudre du désir s'abattant sur elle dans le demi-sommeil où elle était plongée lorsque Colin avait prise contre lui, la couvrant de baisers et de caresses.

Elle était fautive. Elle aimait trop l'amour et ses extases secrètes et paradisiaques.

Sauf en une courte période de sa vie, après qu'elle eut été victime d'un viol par les mousquetaires du roi, pendant la Révolte du Poitou, époque où elle ne pouvait supporter qu'un homme la touchât – et qu'elle avait si bien oubliée aujourd'hui – elle avait toujours trouvé aux ébats amoureux une saveur, un plaisir constant qui paraissaient chaque fois, lui semblait-il, la combler de révélations nouvelles.

Elle aimait trop l'amour ! Voilà où se situait le mal, sa faiblesse et son enchantement.

Joffrey – toujours Joffrey le Magicien – lui avait ouvert les portes du domaine enchanté, révélant le premier, à sa jeunesse, le plaisir, c'était lui aussi qui, la retrouvant après quinze années de séparation où elle l'avait cru mort, c'était lui qui l'avait guérie des blessures intimes infligées à sa féminité, la ramenant à la vie des sens, la ressuscitant à l'Amour avec une délicatesse, un soin, une patience infinis...

Comment oublier cela ? Elle lui devait tout en ce domaine. L'initiation et l'épanouissement, la guérison et comme une seconde naissance à la vie amoureuse qui, la surprenant dans sa maturité, alors que tout en elle, par l'expérience et la souffrance, s'était enrichi, affiné, la comblait d'un sentiment exaltant de pouvoir en savourer pleinement la miraculeuse réalité.

Trop facilement heureuse, c'était cette faiblesse qui l'avait fait trembler de fièvre un instant dans les bras vigoureux de Colin, lorsqu'il était venu la surprendre la nuit, sur son bateau, Le Cœur de Marie. D'un effort, elle s'était arrachée à lui, l'avait fui...

Pourquoi avait-il fallu que le soldat Kurt Ritz, s'enfuyant du navire, les aperçût en cet instant, par la fenêtre du château-arrière, alors « qu'elle était nue dans les bras de Barbe-d'Or » ?...

Pourquoi avait-il fallu que cet homme, mercenaire de Joffrey de Peyrac, mais ignorant qui était la femme qu'il avait aperçue ainsi, relatât le fait devant le comte lui-même, et non seulement devant lui mais devant tous les principaux notables de la colonie de Gouldsboro ?

Quelle horreur ! Quel moment terrible pour chacun ! Et pour LUI ! Bafoué ainsi par elle à la face de tous.

Elle comprenait sa violence à son égard lorsqu'elle s'était retrouvée devant lui. Mais maintenant que faire pour apaiser son courroux ? Comment lui faire comprendre qu'elle n'avait jamais aimé vraiment, qu'elle ne pourrait jamais aimer d'autres hommes que lui ?... Que s'il ne l'aimait plus, elle en mourrait, oui, elle en mourrait ?...

Tout à coup elle se décida. Elle ne resterait pas là a attendre bêtement. Elle irait de nouveau à lui ce soir, elle le supplierait, elle essaierait de lui expliquer. Tant pis s'il lui disait encore des choses blessantes. Tout, plutôt que d'être ainsi séparée de lui ! Tout plutôt que sa froideur.

Qu'il la reprît à nouveau dans ses bras. Même en la serrant à l'étouffer, à la briser, dans sa rancune.

Elle se précipita vers sa coiffeuse et, voyant dans le miroir qu'elle avait des larmes sur ses joues, elle se poudra un peu.

Elle défit son chignon, dénoua la lourde tresse et, prenant sa brosse en écaille de tortue incrustée d'or – un cadeau de lui, encore – elle démêla rapidement ses cheveux. Elle se voulait belle, non pas traquée et tendue comme elle l'avait été ces derniers jours.

Le chat n'avait point bougé depuis qu'elle l'avait installé sur la couverture, pelotonné, dans la béatitude d'un confort qu'il n'avait point goûté depuis longtemps et peut-être jamais sur la terre. Immobile, doux, patient, presque immatériel dans sa petitesse et sa fragilité malade, il semblait à peine exister. Mais quand elle lui parla, il se mit à ronronner avec force, traduisant de son mieux sa gratitude et son bonheur.

Par choix, après une dure errance, il l'avait rencontrée, elle était devenue son ciel, son horizon, sa certitude. Il attendait tout d'elle, la créature humaine, qui l'avait pris en pitié, et savait qu'il ne serait point déçu.