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Oui ! C'était bien un Jésuite comme les autres ! Un rude adversaire ! Avec « eux », on mésestime toujours ses forces.

Elle devait avoir en cet instant l'air marri de Mr. Willoagby, frappé traîtreusement par le même Jésuite, et cette pensée la fit sourire malgré elle.

Elle retrouva son aplomb. Si elle voulait lui révéler la vérité, il n'y avait qu'un seul moyen, qu'il l'ait crue sans réticences, qu'il sût tout d'elle, sans douter d'elle.

– Mon père, dit-elle en le regardant franchement en face, malgré le peu d'estime que vous pouvez avoir

à mon égard – et je reconnais que vous êtes possesseur d'un secret qui vous met en droit de professer une telle opinion – malgré cela, me croyez-vous capable de commettre un sacrilège ?... Je veux dire : d'utiliser les sacrements à des fins nocives, malfaisantes ou mensongères ?

– Non, assura-t-il spontanément, je ne vous crois pas capable de cela !

– Alors... Voulez-vous, père ?... Voulez-vous... m'entendre en confession ?

Chapitre 7

L'enfant suédois s'était éloigné du campement. Il cherchait des noisettes dans les sous-bois. Ici, on était à l'abri du vent.

Le confessionnal rustique se composait d'une cloison à claire-voie. D'un côté, un siège pour le confesseur ; de l'autre, la terre nue pour les genoux du pénitent. Le toit arrondi, les cloisons étaient d'écorce d'ormes assez grossièrement assemblées sur des structures de perches souples, mais il n'y avait pas de portes ni de rideaux. Confesseur et pénitent, presque invisibles l'un à l'autre à travers le paravent de roseaux, pouvaient cependant, chacun de leur côté, regarder la mer s'il leur en prenait envie. Angélique s'agenouilla.

Le père de Vernon prit sur l'escabeau un surplis blanc qu'il enfila par-dessus sa soutane et mit à son cou l'étole brodée. Il s'assit et se pencha.

– Depuis combien de temps ne vous êtes-vous pas confessée ?

La question la prit de court. Depuis combien de temps ? Cela se perdait dans la nuit des temps dans le chaos d'événements déchirants et multiples qu'elle avait traversés. Tout à coup, elle revit l'abbaye de Nieul, la haute cathèdre, où s'asseyait le père abbé et son visage pâle dans l'encadrement du capuchon blanc, l'infinie amitié de ses yeux sombres pour elle.

– Depuis... quatre ou cinq ans, je crois, dit-elle.

Le Jésuite sursauta.

– Et vous avouez cela sans embarras... Mais, ma fille, vous avez donc perdu toute notion de vos devoirs vis-à-vis de Dieu, de l'Église et de vous-même !... Pendant quatre ou cinq années, peut-être plus après tout, vous ne vous êtes pas approchée du tribunal de pénitence, ni de la Sainte Table, évidemment. Ainsi vous vivez constamment en état de péché mortel et cela ne semble guère vous émouvoir. Pourtant si vous mourriez demain, vous n'ignorez pas que vous seriez livrée à l'Enfer et à Satan pour l'éternité !...

Angélique resta coite.

– Accusez-vous de vos fautes, fit-il, que vous puissiez au moins recevoir le pardon de cette horrible négligence.

– Je veux faire une confession générale, dit-elle.

– Bien, je vous écoute.

Elle eût pu ne s'accuser que des péchés commis depuis sa dernière confession.

Une confession générale, c'était toute sa vie. Il saurait tout d'elle. Mais bien qu'elle se livrât ainsi entièrement, à tout risque, et peut-être à un représentant de leurs pires ennemis, elle savait qu'en s'agenouillant ici, elle marquait un point.

Car le sceau de la confession l'obligerait, lui, au secret le plus total.

Si elle lui avait confié autrement quelques épisodes secrets de sa vie, il restait libre de les communiquer à ses supérieurs, à l'évêque et même, à son gré, de les répandre dans tout Québec.

Mais ce qu'elle allait lui avouer là, devant ce qui était considéré depuis les premiers temps du christianisme comme le tribunal de Dieu, il devrait veiller à ce que, même par allusion, il n'en laissât jamais soupçonner la teneur à quiconque.

Intransigeante loi. Il n'y avait pas d'exemple qu'un ecclésiastique l'eût jamais violée. Au Xème siècle, saint Jean Chrysostome, appelé saint Jean Bouche d'Or pour le fait, était mort sous la torture plutôt que de révéler à l'Empereur les secrets de confession de l'Impératrice.

Après avoir récité le « Conhteor », et affirmé selon la formule consacrée qu'elle prenait « la résolution de ne plus pécher », Angélique chercha par quel bout commencer.

Sa vie n'était pas simple. Et malgré tout elle voulait l'ordonner de façon à convaincre le père qu'elle ne contenait pas en germe un athéisme de conviction. Les circonstances avaient fait d'elle une révoltée, non une criminelle, et si elle avait été marquée à la fleur de lys, c'est qu'on l'avait prise pour une réformée. Elle le lui expliqua.

– Pourquoi ne vous êtes-vous pas disculpée, refusant de vous laisser assimiler à une hérétique ? Ne serait-ce que pour échapper à ce supplice infâme ?

Il lui fallut raconter qu'elle se cachait, qu'elle ne pouvait révéler qui elle était, que la police du roi avait mis sa tête à prix... Il y avait aussi son enfant qui était restée abandonnée dans la forêt, attachée à un arbre... C'était compliqué. Elle avait été chef de guerre : la Révoltée du Poitou. Il écoutait sans paraître ému et, chose curieuse, il reçut froidement l'aveu qu'elle lui fit d'avoir tué deux

fois de sa propre main. Elle avait égorgé le Grand Coerse qui menaçait la vie de son enfant, et elle avait fait trancher la tête de Montadour... Il négligea d'un geste de la main. Mais il s'attardait sur la moralité de sa vie : la luxure, l'adultère, maintes fois elle avait trompé son époux...

– Je le croyais mort, père !...

– Et la vertu de pureté ? Vous en faites bien fi, ce me semble, ma fille !...

Elle eut envie de hausser les épaules, de lui dire : « C'est sans importance. »

Elle s'embrouillait... Comme tout cela était loin. Une autre vie, un autre monde !

Elle dégageait de ce fatras une sensation d'horreur et d'impuissance et, par contraste, montait en elle un soulagement inexprimable à l'idée qu'elle se trouvait maintenant libre, aimée, protégée sur la terre d'Amérique.

Elle n'était plus seule à se débattre contre les séculaires oppressions. Un homme l'aimait. Il l'avait emmenée à l'écart de la cruauté des humains, il avait édifié autour d'elle des remparts, que les forces en présence dans le Nouveau Monde n'étaient plus déjà en état de renverser facilement, dans quelques jours il reviendrait...

– Ah ! Comprenez, Merwin, nous pouvons enfin vivre heureux, libres de nous-mêmes, de nos convictions et de nos préférences... Je vous en prie... Laissez-nous vivre ! Laissez-nous vivre !...

– Ma fille, n'oubliez pas que vous êtes ici pour vous accuser de vos fautes et non pour vous chercher des excuses... et des alliances. (Il conclut.)... tout au long de votre vie, vous avez voulu ignorer, par faiblesse, étourderie ou découragement, les enseignements de l'Église qui vous recommandaient d'être vertueuse et chaste. Cependant, je vous absoudrai car Jésus fut indulgent à la femme adultère, il fut indulgent à la pécheresse qui vint à lui, par amour, répandre un flacon de parfum sur ses pieds.

« À l'exemple de sainte Marie-Madeleine, sachez pleurer parfois au pied de la croix pour la rémission des péchés du monde. Dans cet esprit, je vous prie de réciter votre acte de contrition.