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– Un démon blanc ?

Peyrac la regarda d'un air intrigué.

Il descendit à sa rencontre et la prit par le bras pour lui faire franchir le seuil de pierre.

D'un geste il congédia le Maltais et referma la porte dont le grossier vantail de bois étouffa le fracas des Ilots.

Le craquement du feu, seul, emplit la petite pièce. Angélique s'approcha de l'âtre et tendit ses mains à la flamme. Sous le coup de l'émotion, elle grelottait. Le comte l'observait.

– Comme vous êtes nerveuse ! fit-il avec douceur.

Elle tourna vers lui son beau regard que l'anxiété et le tourment assombrissaient jusqu'à donner à ses prunelles une teinte d'eau marine agitée par la tempête.

– On le serait à moins après ces journées terribles. Et je craignais que vous n'ayez oublié ce que nous nous étions dit ce matin.

– Comment pourrais-je l'oublier, surtout lorsque vous me regardez avec de si beaux yeux !

Sa voix familière, aux tendres inflexions, la traversa toute, et elle le considéra éperdument, ne pouvant croire à son entière rémission.

Il sourit.

– Ça, mon cœur, expliquons-nous, fit-il avec gentillesse, il en est temps et nous n'avons que trop tardé. Asseyez-vous.

Il lui désignait un des deux escabeaux qui, avec une table grossière, un bat-flanc et des objets de pêche, composaient l'ameublement de la cabane.

Lui-même s'assit de l'autre côté de la table. Il l'examinait avec attention et un sentiment passionné faisait briller son regard sombre tandis qu'il détaillait sur ses traits, qu'encadrait la somptueuse chevelure d'or pâle, les traces que le chagrin y avait laissées et celles du coup qui l'avait meurtrie. Le souvenir de sa propre violence le bouleversa.

– Oh ! Ma bien-aimée ! murmura-t-il d'une voix sourde. Oui, vous avez raison ; ne laissons pas nos ennemis prévaloir contre nous. Aucune offense ne mérite de voir détruire entre nous ce qui nous lie.

– Je ne vous ai pas offensé, balbutia-t-elle..., ou à peine.

– J'aime la restriction, dit Peyrac.

Et il éclata de rire.

– Ma chérie, vous êtes merveilleuse. Vous m'avez toujours égayé, ravi par votre spontanéité. Asseyez-vous donc.

Elle ne savait s'il se moquait, mais la chaleur de sa voix apaisa la tension qui la faisait souffrir.

Elle s'assit comme il le lui intimait. Déjà sous son regard amoureux tout s'effaçait de sa peur et de cette horrible impression de l'avoir perdu et d'être à nouveau seule au monde.

– Peut-être avons-nous été trop longtemps solitaires ? fit-il comme répondant à son impression secrète. Peut-être, jadis, lorsque l'ostracisme du roi nous a séparés, n'avions-nous pas assez mesuré la force de notre amour, et peut-être, nous retrouvant, n'avons-nous pas assez mesuré la profondeur de nos blessures ? Vous avez été longtemps accoutumée à vous défendre, seule, à vous défier de tous, à craindre la malignité du sort qui vous avait déjà une fois accablée si terriblement.

– Oh ! Oui, dit-elle dans une sorte de sanglot. J'avais dix-huit ans. Vous étiez mon ciel, ma vie, et je vous avais perdu à jamais. Comment ai-je pu survivre à cela ?...

– Oui, pauvre petite fille ! J'ai mésestimé la puissance des sentiments que vous m'aviez inspirés, et surtout la valeur de ceux que vous me portiez. Je voulais croire qu'une fois disparu vous m'oublieriez.

– Cela vous arrangeait pour rejoindre votre première maîtresse, la Science... Oh ! Je vous connaissais... Vous étiez capable d'accepter de mourir pour savoir si la Terre tournait et, séparé de moi, vous avez pu survivre, mordre à tous les plaisirs de votre vie aventureuse...

– Oui, vous avez raison... Cependant, écoutez, voici ce que j'ai découvert au cours de ces derniers jours, au cours de cette tempête qui vient de nous secouer, tous deux. Certes, vous m'avez séduit jadis, et j'étais fou de vous, cependant, comme vous venez de le dire, j'ai pu survivre. Mais aujourd'hui je ne le pourrais plus. Voilà ce que vous avez fait de moi, madame, et certes, un tel aveu ne m'est pas facile.

Il sourit, mais sur ces traits burinés, que la vie avait marqués de son sceau cruel par les grandes cicatrices qui pâlissaient son hâle, elle voyait transparaître la force du sentiment authentique qu'il lui dédiait. Son regard brûlant s'attachait à elle avec une sorte d'étonnement.

– C'est une chose étrange que l'Amour, reprit-il comme se parlant à lui-même, une plante surprenante. La jeunesse croit la cueillir dans son épanouissement et que son destin sera de s'étioler ensuite. Alors qu'il ne s'agit, en vérité, que des prémices d'un fruit plus savoureux qui n'est donné qu'à la constance, à la ferveur, à la connaissance mutuelle. Bien des fois, au cours de ces derniers jours, je vous ai revue arrivant à Toulouse, belle, fière, neuve, à la fois enfantine et sagace. Peut-être en ce temps-là ai-je voulu ignorer que votre fraîche personnalité me fascinait plus encore que votre beauté. Sait-on ce qu'on aime dans ce premier regard qui lie deux êtres l'un à autre ? Souvent sans le savoir, les richesses cachées, les forces contenues, et que seul l'avenir révélera... ce que les puissants de ce monde ne m'ont pas laissé le temps de découvrir en vous... Même en ce temps-là je restais sur la défensive. Je pensais : elle changera, elle deviendra comme les autres, elle perdra cette intransigeance exquise, cette ardeur de vivre, cette finesse intelligente... et puis non... je vous ai retrouvée, vous et, en même temps, autre... Ne me regardez pas avec ce regard-là, mon amour. Je ne sais où vous allez chercher sa séduction, mais il me bouleverse jusqu'aux moelles.

« Ce sont vos yeux, ce regard nouveau, inconnu que vous m'avez révélé à La Rochelle, lorsque vous avez surgi de la nuit et de la tempête pour venir me demander de sauver vos amis huguenots3 – c'est de là que vient tout le mal, c'est ce regard qui a fait de moi un homme que je ne reconnais plus. Ah ! je crains d'avoir trop d'attachement pour vous. Vous me rendez faible. Différent de moi-même... Oui, c'est de là que mon mal est né. Vos yeux au regard inconnu, dont je ne parviens pas encore à percer le secret. Savez-vous ce qui est arrivé, mon cœur, lorsque vous êtes venue me trouver cette nuit-là, à La Rochelle, savez-vous ce qui est arrivé ?... Eh bien, je suis tombé amoureux de vous, Amoureux fou. Amoureux éperdu, et d'autant plus que je n'ai pas voulu comprendre, sachant qui vous étiez, ce qui arrivait. C'était une confusion, et ce fut souvent une torture.

« Sentiment étrange, vraiment ! Quand je vous voyais sur le Gouldsboro, votre petite fille rousse dans les bras, parmi vos amis huguenots, j'oubliais que vous étiez cette épouse que j'avais reçue jadis en mariage. Vous n'étiez plus que cette femme presque étrangère que je venais de rencontrer par les hasards de la vie et qui me fascinait, me séduisait jusqu'à la moelle des os et qui me tourmentait par sa beauté, sa tristesse, le charme de ses rares sourires, une femme mystérieuse et qui m'échappait, et qu'il me fallait conquérir à tout prix.

« Ainsi, dans ma situation ambiguë d'époux tombé amoureux fou de sa propre femme, essayai-je de me raccrocher à ce que j'avais connu de vous dans le passé, pour vous amener jusqu'à moi, vous exiger plus proche, et si je me suis senti parfois maladroit de brandir mon titre de mari, pour vous enchaîner à moi, c'est que je voulais vous avoir à ma merci, près de moi, ma maîtresse, ma passion, vous, ma femme qui pour la seconde fois, mais par des artifices nouveaux et inattendus, m'enchaînait sous son joug. Alors je commençai à craindre la découverte amère de votre désaffection pour moi, de discerner en votre cœur l'indifférence et l'oubli pour un époux depuis trop longtemps banni, et dans l'appréhension où je me trouvais de tout cet inconnu qu'il y avait en vous – ah ! Que vous étiez insaisissable et difficile à captiver, ma petite mère abbesse ! – peut-être n'ai-je pas su mener à bien ma conquête. Je commençais à comprendre que j'avais pris trop légèrement la vie en ce qui concernait les femmes et vous en particulier, mon épouse. Et quel bien précieux j'avais négligé !