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Elle posa la main sur le bras d'Angélique et dit avec gravité :

– Je crois que l'absence de M. de Peyrac vous est intolérable. J'ai réfléchi à quelque chose : accompagnez-moi à Port-Royal ! Avec vous j'aurais le courage de repartir et de reprendre ma charge, tout au moins de l'envisager et de chercher la meilleure solution pour mes protégées et, pour cela, j'ai aussi un besoin pressant de vos conseils. Ce voyage vous permettra de retrouver M. de Peyrac deux ou trois jours plus tôt que si vous l'attendiez à Gouldsboro.

Et comme Angélique hésitait, surprise.

– Ne savez-vous pas qu'il doit passer par Port-Royal avant de revenir ici ?

– Non, pas que je sache.

– En tout cas, il me l'a dit à moi, affirma Ambroisine d'un air contrarié, c'est-à-dire...

Elle parut se rappeler quelque chose et se raviser avec l'expression confuse de quelqu'un qui a commis un impair.

– Il l'a dit aussi à M. le gouverneur. J'étais présente lorsqu'il lui communiquait cet avis... Venez, insista-t-elle. Partons demain pour Port-Royal, c'est préférable que d'attendre ici en s'impatientant, et moi, cela m'aidera infiniment à reprendre courage.

– Je vais réfléchir, dit Angélique.

Elle continuait à se sentir comme sous l'effet d'un choc violent. La découverte de la trahison – oui, c'était une trahison – du père Maraicher de Vernon la laissait dans un état de stupeur effrayée. Ambroisine avait raison. Elle avait besoin de bouger, de faire quelque chose, et surtout de revoir Joffrey le plus tôt possible.

Elle pensait qu'elle devait continuer à lire cette lettre jusqu'au bout. Elle ouvrit la bouche pour demander à Ambroisine, avec le plus de tact possible, de la laisser seule, mais comme elle jetait un coup d'œil sur la table, elle s'aperçut que la lettre qu'elle y avait posée avait disparu.

Ses yeux firent le tour de la pièce. L'enfant aussi n'était plus là.

– Où est l'enfant ? s'écria-t-elle.

– Il s'en est allé, dit Ambroisine. Je l'ai vu prendre son sac, mettre dedans un papier qui était sur la table et courir vers la porte avec légèreté, sans bruit. Il est étrange, cet enfant. On dirait un farfadet.

– Mais il faut le rattraper.

Elle voulut s'élancer vers la porte, mais Ambroisine la retint avec force, se cramponnant à elle avec un visage soudain pâli d'effroi.

– N'y allez pas, Angélique ! N'y allez pas ! Cela sent le démon par ici. Il anime peut-être l'esprit de cet enfant...

– Trêve de ces sornettes ! s'écria Angélique. Je dois le rattraper.

– Non, pas ce soir. Quand il fera jour, supplia Ambroisine. Angélique, je vous en prie, laissez-moi faire quelque chose pour vous, partez avec moi pour Port-Royal. Je sens qu'il rôde ici un esprit funeste. J'en ai parlé au père de Vernon. Je lui ai dit que Gouldsboro était une place qu'il fallait exorciser. Il n'a pas ri de moi. Je crois qu'il partageait mon opinion.

– Les opinions des gens de sa sorte cherchent surtout à faire cadrer les faits avec des idées préconçues, dit Angélique avec amertume.

Elle se sentait soudain très lasse.

Faire chercher l'enfant ! À quoi bon ? Pour se donner le plaisir de déchiffrer encore quelques insanités ui ne pourraient que la convaincre, une fois de plus, e l'impossibilité de communiquer, de se faire comprendre.

– Angélique, répéta Ambroisine, partez avec moi, je vous en prie. Ne sentez-vous pas combien l'atmosphère est lourde ici ? Comme un danger suspendu sur nos têtes. C'est un peu pour cela que je suis revenue. Je ne pouvais supporter l'idée que vous étiez seule ici, entourée peut-être de gens préparant votre perte... Je ne peux pas grand-chose pour vous mais au moins je me trouverai à vos côtés.

« C'est aussi pourquoi j'ai eu hâte de soustraire mes filles à ces influences néfastes. Je ne peux parvenir à détecter d'où vient cette tension... Peut-être de ces Anglais... Le mal est en eux. Ce sont des hérétiques.

– On les voit à peine. Ils ne quittent pas le camp Champlain.

– Mais ne pourraient-ils pas être chargés d'une mission de destruction près de vous... Et ces pirates ! ... Ces trognes inquiétantes. Je comprends que vos amis protestants ne se sentent pas en sécurité avec un tel gouverneur. Pourquoi votre mari lui accorde-t-il une telle confiance ? Jusqu'à partir en lui laissant toute la responsabilité du poste...

Elle hésita.

– Je ne sais si cela a beaucoup d'importance, mais j'ai surpris une conversation entre deux de ses hommes qui a éveillé ma suspicion. L'un d'eux disait à l'autre : « Patiente un peu, mon gars. Encore un peu de temps et tout ce beau monde sera à nous... Barbe d'Or nous l'a affirmé. » Ils ont ajouté différentes considérations comme quoi quand on a perdu la bataille il faut savoir ruser, que Barbe d'Or avait toujours été fort là-dessus. Et qu'il avait des complices dans la Baie qui l'aideraient le moment venu.

– Colin ! dit Angélique en secouant la tête. Non, c'est impossible.

– Êtes-vous sûre de cet homme ? interrogea Ambroisine en la regardant avec sévérité.

Oui, elle en était sûre. Et puis, tout à coup, elle se souvenait. Tant d'années écoulées depuis Ceuta... Un homme peut changer profondément, du tout au tout, surtout s'il se laisse aller au désespoir et à la rancune comme le lui avait avoué Colin. Colin !... Son cœur fondait sous le nouveau coup d'une angoisse insupportable. Si c'était Colin, tout s'expliquait ! Mais non, impossible. Joffrey n'aurait pu se tromper aussi totalement à son sujet. À moins qu'il n'y eût encore calcul de sa part. Quel calcul !

Elle ne pouvait réfléchir, sinon elle allait perdre la tête.

Quoi qu'il en fût, il lui faudrait revoir Joffrey au plus tôt, le mettre au courant des nouveaux dangers, des nouveaux soupçons et le sonder, essayer de comprendre ce qu'il avait derrière la tête.

Maintenant qu'Abigaël avait eu son enfant, elle pouvait partir. Et si d'aller à Port-Royal lui gagnait quelques jours sur ce revoir tant désiré, elle s'en féliciterait.

– Soit, dit-elle à Ambroisine, je vous accompagnerai. Nous allons partir demain.

À suivre

1 Cf. « Angélique et le Nouveau Monde ».

2 Cf. « Angélique, marquise des Anges ».

3 Cf. « Angélique se révolte ».

4 Cf. « Angélique se révolte ».

5 Cf. « La tentation d'Angélique ».

6 Cf. « Angélique se révolte ».

7 Cf. « La tentation d'Angélique ».

8 On donnait parfois ce patronyme à Christophe Colomb.

9 Cf. « Angélique se révolte ».

10 Ce combat d'un prêtre catholique et d'un pasteur protestant est un fait authentique de l'histoire américaine, ainsi que la formule qui fut gravée sur leur tombe commune.

11 Traité de magie blanche.

12 Madame. Ils me poursuivent. Pour l'amour de Dieu, aidez-moi !