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– Merci bien, dit Cantor, comprenant qu'on s'était servi de son impulsivité adolescente pour mystifier son père et entraîner sa mère dans un piège,

À Houssnock, Angélique, le voyant arriver et lui dire de la part de son père qu'elle devait se mettre en route seule pour Newhewanick, s'était exécutée sans chercher elle non plus à remonter aux sources de l'ordre donné.

Le plan était ourdi de façon si machiavélique et avec une telle connaissance de la personnalité de chacun qu'Angélique doutait que Clovis l'eût conçu de lui-même.

– Comment était l'homme qui est venu vous trouver à Houssnock ?

Elle interrogeait, sûre déjà de la réponse. Et complétait devant le mutisme du mineur auvergnat :

– Un homme pâle, n'est-ce pas, dont les yeux vous glacent ?

– La première fois, oui, dit Clovis. Mais j'en ai connu d'autres. Ils sont nombreux. Ce sont des marins. Je crois qu'ils ont deux navires. Ils obéissent à un chef qu'on ne voit pas qui leur donne des ordres et qui n'est pas avec eux. De temps en temps seulement, ils le rencontrent. Ils l'appellent Belialith. C'est tout ce que je sais.

Il ébaucha un geste pour ramasser à terre un sac assez peu garni qui composait son bagage, comme s'il en eût fini avec ce qu'il avait à leur dire.

– Vous n'ignorez pas, Clovis, qu'au village anglais nous sommes tombés dans un guet-apens où nous avons failli perdre la liberté, sinon la vie...

– J'ai su cela, dit-il, c'est bien pourquoi je me suis sauvé. Et puis ils m'avaient trompé. Pas d'émeraude pour moi. Le pirate qui les possédait a fait alliance avec M. le comte. J'aurais dû me douter que si M. le comte se trouvait par là, c'est lui qui tirerait les marrons du feu. J'ai pas été si bête le jour où je suis entré à son service et j'aurais dû m'en tenir là.

– Oui, dit Angélique avec sévérité, mais vous avez toujours été une mauvaise tête, Clovis, et plutôt que de rester fidèle à un maître dont vous connaissiez la bonté mais aussi la puissance, vous avez préféré vous laisser aller à vos mauvais penchants de jalousie et rancune, envers ma personne en particulier. Vous étiez fort content qu'il m'arrive quelques ennuis, n'est-ce pas ? Eh bien ! Soyez satisfait ! Il m'en est arrivé et ce n'est pas fini. Mais je ne suis pas certaine que vous ayez gagné dans cette partie du Mal, vous non plus.

Clovis baissa la tête et pour une fois il avait l'air jugé.

Malgré ses torts, elle eut pitié de sa solitude traquée. C'était un individu borné, quoique non sans intelligence et sans talent dans sa profession de forgeron, mais trop primitif pour assumer seul son destin dans un monde retors, cruel aux simples. Elle connaissait son secret, une passion d'homme qui a l'habitude de fixer la flamme dansante, d'y voir miroiter des trésors, son amour pour les gemmes et les pierres précieuses, dont il voulait un jour bâtir un reliquaire somptueux à la petite Sainte-Foy de Conques, sanctuaire réputé de son Rouergue natal.

Elle lui dit :

– Pourquoi lorsque vous avez compris que vous aviez mal agi, n'avez-vous pas parlé franchement à M. le comte ?

Il la regarda l'air furieux, indigné...

– Non, mais ! Vous me prenez pour un c... Ça l'était pas déjà assez ce que j'avais fait ? Je vous avais quasiment envoyée à la mort vous ! vous ! Madame la comtesse. Et vous me voyez lui expliquer ça tout droit, en face... Vous croyez qu'il peut avoir de la pitié, lui, pour quelqu'un qui a voulu vous nuire ? On voit bien que vous êtes une femme, vous vous imaginez que les hommes peuvent être tout miel et tout sucre à l'intérieur, comme vous autres femmes... Je le connais moi, je le connais mieux que vous ! Il m'aurait tué... ou pire ! Il m'aurait regardé d'un tel œil qu'après j'aurais plus été un être vivant... J'ai pas pu affronter ça. J'ai préféré m'en aller... C'est que vous, pour lui... vous êtes son trésor... Et quand on possède un trésor, c'est une chose qui vous brûle là, dit-il en posant la main sur sa poitrine. Personne n'a le droit d'y toucher, ni d'essayer de vous l'enlever... Je sais ce que c'est, moi... Moi aussi j'ai un trésor. Et c'est parce que je ne veux pas le perdre que je ne vais pas m'attarder par ici... Parce qu'« ils » sont sur mes traces. « Ils » sont dangereux, continua-t-il à voix basse, et d'une espèce qui vous glace le sang. Il y a aussi la Brute, le Borgne, le Morne, l'Invisible, un qu'on envoie en avant-garde parce que personne ne le remarque tant il ressemble à quelqu'un qu'on croit avoir déjà vu. Une équipe comme celle-là, c'est les suppôts de Satan sur la terre. Peut-être qu'ils veulent savoir où j'ai enterré mon trésor, mais bernique, ils ne m'auront pas.

Il jeta son sac sur son épaule et se dirigea vers la sortie de la grotte.

Mais d'un bond, Cantor se planta devant lui.

– Pas si vite, Clovis ! Tu n'as pas tout dit.

– Comment, que j'ai pas tout dit ? se rebiffa le bougnat.

– Non ! Tu caches quelque chose encore, je le sens.

– Toi, tu ressembles à ton père, grommela Clovis en lui lançant un regard de haine. Allez, laisse-moi passer, gamin. Je vous l'ai dit, je ne veux pas laisser ma peau dans cette affaire. Ça me suffit déjà d'avoir essayé de sauver les deux vôtres...

– Que veux-tu dire ? le pressa Cantor. De quel danger as-tu voulu nous sauver ?

– Oui, parlez, insista Angélique comprenant à l’expression de l'homme que Cantor avait deviné juste. Clovis, nous avons toujours été bons amis et vous avez vécu avec nous à Wapassou. Agissez comme un franc compagnon et apportez-nous votre aide jusqu'au bout.

– Non ! Non ! s'entêta Clovis qui regardait autour de lui d'un air traqué. Je ne peux pas. Si je fais rater leur coup « ils » me tueront.

– Mais, quel « coup » ? s'écria Cantor. Clovis ! Tu ne peux pas leur permettre de triompher de nous. Tu es un des nôtres...

– Je vous dis que j'y laisserai ma peau, répéta Clovis avec désespoir. « Ils » me tueront. « Ils » ne reculent devant rien. Ce sont des démons... Ils me suivent, je les ai toujours sentis sur mes traces...

– Clovis, tu es l'un des nôtres, répéta Cantor en le fixant de ses yeux verts comme le serpent qui veut fasciner sa proie. Parle... car sinon... tu leur échapperas peut-être, mais tu n'échapperas pas à la justice divine, ni à la petite sainte d'Auvergne.

Le mineur, adossé à la paroi, ressemblait à une bête acculée. Il murmura :

– Ah ! Vous me l'aviez dit, madame, un jour que j'avais besoin de faire pénitence. À quoi donc le saviez-vous ?

– À vos yeux, Clovis, vous êtes un homme qui ne peut décider encore s'il est du côté du bien ou du mal. Voici le moment venu.

Il baissa la tête, puis lança :

– Y vont faire sauter le navire !

– Quel navire ?

– Celui du gouverneur qui est à l'ancre pas loin d'ici.

– L'Asmodée ?

– P't'être bien !

– Quand cela ?

– Est-ce que je sais : maintenant, dans une heure... ou dans deux, mais cette nuit, pendant la fête qui s'y donne...

Et devant l'expression horrifiée qui envahissait les visages d'Angélique et de Cantor.

– C'est pourquoi je vous ai fait venir tous les deux... Quand j'ai su, en rôdant par ici, que vous assisteriez à cette fête. Je ne voulais pas que vous sautiez avec... Voilà, j'ai tout dit... Laissez-moi partir maintenant...

Il les écarta avec rudesse et s'élança hors de l'oratoire. Ils l'entendirent dévaler le ravin, comme un sanglier ravageant des broussailles.