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– Pourquoi êtes-vous venue ?... Pour le chercher ?... Décidément vous ne craignez pas de souffrir...

À ce moment les yeux d'Angélique tombèrent sur un vêtement pendu au mur dans un coin. C'était le pourpoint de Joffrey. Celui en velours vert foncé rehaussé de quelques broderies d'argent qu'il portait communément.

Ambroisine suivit la direction de ce regard et son sourire s'accentua.

– Hé oui ! fit-elle d'un ton léger. Hé oui ! Ma chère ! C'est ainsi !...

Sans réfléchir Angélique traversa la salle d'un bond. À la vue de ce vêtement, tout son être avait tressailli. Elle y posa les mains. Elle eût voulu y enfouir son visage. Elle passait et repassait les doigts sur l'étoffe, essayant d'évoquer sa présence familière et adorée.

– M'avez-vous comprise ? insista Ambroisine d'une voix métallique. Il est ici avec moi : il est mon amant !...

Angélique se retourna vivement, et à nouveau ses yeux firent l'examen des lieux.

– Soit !... Alors où est-il ? Qu'il vienne me le dire lui-même !... Où est-il ?...

Une hésitation joua sur le visage de la duchesse.

– Présentement, il est absent, convint-elle. Il a mis la voile il y a deux jours, je ne peux dire exactement pour quelle direction. Terre-Neuve, je crois, mais il doit revenir...

Angélique comprit qu'elle ne mentait pas et ne sut si à l'instant même elle éprouvait une déception amère ou un soulagement de voir s'éloigner l'instant de sa confrontation avec lui, devant Ambroisine.

– Il m'a demandé de l'attendre ici, reprit la duchesse d'un ton doucereux, il m'a affirmé qu'il serait de retour dans une semaine au plus tard et m'a suppliée de ne pas m'éloigner... Il est fou de moi...

Angélique la considéra comme si elle eût été transparente et que de tels propos ne parvenaient pas à ses oreilles.

– M'avez-vous entendue ? répéta l'autre d'une voix où perçaient impatience et irritation. M'avez-vous comprise ?... Je suis sa maîtresse, vous dis-je !

– Je n'en crois rien.

– Pourquoi ? Êtes-vous l'unique femme au monde qu'on puisse aimer ?... Nous sommes amants, vous dis-je !

– Non ! Vous mentez.

– Comment pouvez-vous être aussi catégorique ?...

– Je le connais trop. Son instinct est sûr et son expérience – des femmes aussi – est grande. Il n'est pas homme à se laisser circonvenir par un être aussi vil que vous.

La duchesse poussa une exclamation railleuse et feignit la surprise ironique.

– Mais qu'est cela ! Vous l'aimez, dirait-on. Folle ! L'amour n'existe pas... Ce n'est qu'une illusion, une légende que les hommes ont inventée pour se distraire sur la terre... Il n'y a que la chair qui compte et les passions dévorantes qu'elle inspire... Je vous l'ai dit à propos de Phipps, il n'y a pas d'hommes qu'une femme habile ne puisse circonvenir quand elle sait s'y prendre !...

Angélique éclata de rire. Elle venait d'imaginer le pauvre Phipps aux prises avec cette femme luxurieuse... Le malheureux garçon avait-il succombé à un tel assaut ? Sans aucun doute ! Les puritains sont mal armés pour ce genre de tentation, la peur du péché, en leur âme, n'ayant d'égale que la fascination qu'exerce sur eux le pouvoir du Mal.

Son subit accès d'hilarité déconcerta Ambroisine qui la regarda sans comprendre, médusée.

– Vous riez ! Êtes-vous folle ?... Ne parvenez-vous pas à comprendre que lui aussi est faillible ? tous les hommes, vous dis-je ! Il suffit de trouver le point faible.

– Il n'a pas de point faible.

– Il faut croire que si... puisque... ce que je lui ai dit l'a convaincu si facilement qu'il aurait bien tort de dédaigner les plaisirs que je lui offrais pour une femme telle que vous...

Angélique cessa de rire.

– Que lui avez-vous dit ?...

Ambroisine passa sa langue sur ses lèvres d'un air gourmand. Un éclair de triomphe s'allumait dans ses prunelles d'or sombre, devant l'anxiété qu'Angélique avait trahie.

– Oh ! Très simple... Lorsqu'il m'a rejointe à La Hève où j'avais demandé à Phipps de me débarquer... je lui ai révélé que votre premier geste après son départ de Gouldsboro... avait été de rejoindre Colin Paturel... et de vous donner à lui...

– Vous avez fait cela ?

– Comme vous êtes pâle tout à coup..., murmura Ambroisine en l'examinant avec une attention cruelle. Ainsi, je ne me serais pas trop égarée dans mes extrapolations à votre sujet ainsi qu'à celui de ce beau Normand taciturne. Vous avez du goût pour lui... Et lui vous aime... Et d'autres encore... Tous les hommes vous aiment et vous désirent.

Son expression changea subitement et elle dit en grinçant des dents :

– Morte ! Je voudrais vous voir morte !...

Puis avec un cri déchirant :

– Non ! Non ! Pas morte !... Si vous mouriez, la lumière s'éteindrait de ma vie ! Oh dieux ! Comment puis-je à la fois être désireuse de votre mort et si désespérée à la seule pensée que vous puissiez disparaître de ce monde ?... Ah ! Je suis venue trop tard ! Si vous m'aviez aimée, tout se serait confondu. J'aurais sombré en vous. J'aurais été votre esclave et vous auriez été la mienne. Mais vous êtes attachée à l'homme, cette bête immonde !... L'homme vous a enchaînée !...

Elle se mit à dire des obscénités si confondantes qu'Angélique la regardait les yeux écarquillés comme si elle eût vu positivement des serpents s'échapper de ces lèvres ravissantes.

Paradoxalement, ce fut ce débordement hystérique de la duchesse qui sauva Angélique d'une crise analogue.

Lorsque Ambroisine lui avait révélé l'accusation portée contre elle devant son mari, elle avait entrevu dans un éclair quels ravages une telle accusation avait pu causer en Joffrey de Peyrac. Fragile était encore leur réconciliation. Peu de temps auparavant, elle avait vu le visage de Joffrey transformé d'une colère si terrible à la pensée qu'elle avait pu s'offrir à Barbe d'Or.

Lentement, doucement, avec d'infinies précautions, rassemblant leur courage, faisant fi de leur orgueil, puisant dans la profondeur de leur amour la force de faire face à une telle épreuve, ils avaient réussi à panser ces blessures trop vives qu'ils s'étaient portées l'un à l'autre en ce dramatique instant.

Mais sur la plaie encore récente, dans le cœur de Peyrac, combien corrosives avaient dû être les paroles d'Ambroisine !...

Elle se sentit défaillir comme devant une catastrophe qu'on a en vain essayé de prévenir et de conjurer. Tout était perdu. Assommée elle n'avait plus qu'une idée : fuir devant elle aveuglément.

C'est alors qu'Ambroisine, éclatant en imprécations démentielles, l'avait en quelque sorte ramenée à elle. Sa réaction changea de cours, et sa colère contre Ambroisine la brûla comme un fer rouge.

– Assez, cria-t-elle en frappant du pied et en criant plus fort que la duchesse. Vous êtes odieuse, répugnante ! Taisez-vous ! Certes, les hommes ne sont pas des saints, mais ce sont des femmes comme vous qui les avilissent et les rendent stupides. Taisez-vous ! Je vous l'ordonne. Les hommes ont droit au respect !

Elles firent silence ensemble au même instant et s'affrontèrent, face à face, haletantes.

– Décidément, vous êtes stupéfiante, reprit Ambroisine en la considérant comme si elle avait eu subitement devant elle un monstre. Quoi ! Je viens de vous démontrer que votre amour, votre idole, votre dieu est faillible... Et vous trouvez encore le moyen de me faire la leçon... Et pour défendre les hommes, tous les hommes... Ma parole ! À quelle espèce appartenez-vous donc ?

– C'est sans importance... Je hais l'injustice et il y a des vérités que je ne vous laisserai pas – toute savante, et intelligente, et influente que vous êtes – ensevelir dans votre boue. Un homme, c'est quelque chose de grave et de très important, et ce n'est pas une raison parce que la genèse de leur esprit nous est parfois inaccessible, à nous autres femmes, pour que nous nous vengions de notre nullité, de notre incapacité à les suivre, en les abaissant, en les réduisant en esclavage... Abigaël me disait quelque chose de ce genre un soir...