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– Y z'ont de sales gueules dans votre coin, continua Aristide, et ça en sales gueules j'm'y connais.

– Est-ce le hasard qui vous amène par ici tous deux ?

– Oui et non. On savait que M. de Peyrac avait donné rendez-vous au Sans-Peur par ici au début de l'automne, et Hyacinthe doit m'y apporter ma provision de tafia.

– Doit-il arriver bientôt ? interrogea-t-elle, effrayée à la pensée que Hyacinthe Boulanger pourrait venir s'ajouter à cette assemblée de bandits.

– Savoir. Ça dépend du vent qui soufflera des Caraïbes. Mais puisqu'ils ne sont pas encore au rendez-vous, je m'en vais. Les naturels du pays ne m'ont pas l'air d'aimer les visites.

– Ce sont de francs bandits, prenez garde de ne pas laisser votre barque sans surveillance, lui conseilla Angélique regardant avec inquiétude du côté du rivage où l'attroupement augmentait.

– Pas de danger, ricana Aristide, elle est bien défendue ma patache.

Mr Willoagby trônait à l'avant de la barque et grognait sans aménité en direction de ceux qui cherchaient à l'approcher de trop près.

– On s'est mis en cheville avec le parpaillot du Connecticut, expliqua l'ancien pirate tandis qu'ils remplissaient leurs tonneaux à la source jaillissant de la falaise avant de se perdre dans le sable. On cabote. Il vend sa camelote et moi la mienne. On a fait de bonnes affaires sur tout le pourtour de la Nouvelle-Écosse, mais par ici, ça ne vaut que dale. C'est le Canada. Les gens ne connaissent rien au rhum. Ils préfèrent leur tord-boyaux d'alcool de grains. On va vivoter en attendant que Hyacinthe s'amène au rendez-vous. Je pensais rester dans le coin mais ça sent trop mauvais et je ne parle pas de leur sacrée saloperie de morue... Vaut mieux pas s'attarder.

– Et M. de Peyrac ? s'informa Julienne.

– Je l'attends ici. Il ne peut tarder.

– Ça doit pas être farce pour vous d'être là toute seule, dit Julienne flairant l'insolite, bien qu'elle fût bâtie pour ne s'étonner de rien.

– C'est terrible. Et vraiment, c'est le Ciel qui vous envoie, tous les deux.

– Vous croyez ?

Aristide la regarda par en dessous avec soupçon. C'était bien la première fois qu'on leur disait une chose pareille, à lui et à Julienne.

– Oui. Nous nous sommes fait prendre dans un piège dont nous ne pouvons même pas sortir pour aller chercher du secours. Vous allez emmener Cantor.

Elle les mit rapidement au courant. Comment depuis le début de l'été des gens malintentionnés à la solde peut-être de gouvernements qui voulaient les décourager de s'installer dans ce coin d'Amérique cherchaient à leur nuire de toutes les façons et, finalement, s'attaquaient à leurs vies. Il semblait que la duchesse de Maudribourg en était plus ou moins le chef occulte.

Julienne blêmit en apprenant que la « Bienfaitrice » n'était pas loin.

– Alors on ne s'en débarrassera donc jamais de cette garce-là, gémit-elle. Friponne, fille de pute, assassine... elle est tout, celle-là. Y a pas de bon Dieu pour les braves gens !...

– Alors, en somme, dit Ventre-Ouvert, c'était bien pour nous les filles de La Licorne ?... Quand je vous le disais ! On n'a rien pris à personne... Et vous, m'dame, est-ce qu'on vous laisse comme ça ? C'est que j'ai des obligations envers vous. Vous m'avez recousu la panse, pas vrai ?

– Sauvez Cantor, et envoyez mon mari à mon secours. Vous aurez bien payé vos dettes et racheté les mauvais tours que vous m'avez joués jadis.

L'affaire fut rondement menée. Afin que personne n'essayât de s'interposer au moment de son départ, Cantor, prévenu par sa mère, dévala la côte, son glouton sur les talons, alors que la barque déjà débordait du rivage.

Aristide retenait la voile, déversant un flot d'injures colorées sur les spectateurs éberlués.

Cantor fendit la foule, entra dans l'eau et, jetant Wolverines dans la barque, s'y hissa à son tour, aidé par Julienne et Élie Kempton.

– À la revoyure, lança la voix grasseyante du pirate, tandis que le sloop et son hétéroclite chargement s'éloignaient dans la brume montante du crépuscule.

Qui songerait à les poursuivre ?...

Chapitre 16

Sept jours. Marie-la-Douce était morte, Pétronille aussi. Cantor menacé s'était enfui avec son glouton... Les jours paraissaient sans fin, à la fois lents et fiévreux. Le drame surgissait avec l'éclat bref d'un coup de tonnerre et l'on croyait avoir rêvé.

Ambroisine vint du seuil et se dirigea vers le hamac de Villedavray. Celui-ci était absent. À cette heure, il se rendait au fort pour entretenir Nicolas Parys. Il avait déjà ses habitudes auxquelles il tenait mordicus...

La duchesse s'étendit dans le confortable hamac avec un plaisir évident et, les bras sous la nuque, elle glissa vers Angélique un regard ironique.

– Vous vous êtes beaucoup agitée ces jours-ci, ce me semble, dit-elle de sa voix de sirène. Je reconnais que vous m'avez gagnée de vitesse. Le bel archange s'est envolé. Bah ! Ce n'était que du menu fretin. J'ai d'autres armes pour vous atteindre.

Angélique venait de s'asseoir devant la table où elle avait posé son miroir à pied. De savoir Cantor hors de danger l'apaisait. Il découvrirait bien son père, comme il l'avait trouvé jadis, étant pourtant tout enfant.

Aussi l'intrusion d'Ambroisine ne l'émut pas outre mesure. Elle défit sa chevelure et commença à la brosser lentement.

– Qu'espérez-vous ? continua-t-elle de sa voix doucereuse où perçait une ironie apitoyée. Le reconquérir ? Votre comte de Peyrac ? Mais, ma pauvre chère, vous le connaissez mal et que de choses vous ont échappé quand nous étions encore à Gouldsboro. J'avais presque pitié de vous. Je n'aurais pas voulu que vous soyez dupée à ce point car nous sommes toutes deux de noblesse poitevine et cela crée une entente...

– Ne vous donnez pas tant de mal, interrompit froidement Angélique. Je sais déjà que vous n'êtes pas poitevine. Et quant à votre noblesse, ses quartiers sont minces, fortement entachée de bâtardise.

Son intuition féminine lui avait soufflé les flèches seules capables d'atteindre Ambroisine et elle ne se trompait pas. La duchesse réagit avec vivacité.

– Qu'insinuez-vous là ? s'écria-t-elle en se dressant à demi, mes quartiers de noblesse valent les vôtres !

Puis, changeant d'expression subitement ainsi qu'elle le faisait souvent :

– Comment savez-vous cela ? Qui vous l'a dit ?... Ah ! Je devine. C'est cette petite putain de Villedavray. Je savais bien qu'il m'avait reconnue. Ses comédies ne m'ont pas leurrée.

– Que vient faire Villedavray là-dedans ? répliqua Angélique qui trembla pour le pauvre marquis et se reprocha d'avoir provoqué Ambroisine et éveillé sa dangereuse lucidité. Je vais tout vous avouer. Un jour, vous vous êtes trahie dans votre délire en faisant allusion à votre père, le prêtre. Avoir été engendrée par un ecclésiastique n'est jamais pour nous, catholiques, un certificat de légitimité. Quant à savoir que vous êtes née dans le Dauphiné, c'est Pétronille Damourt qui m'en a fait la confidence.

Elle se permettait ce mensonge. La pauvre gouvernante n'avait plus rien à perdre.

– La vieille punaise, siffla Ambroisine. J'ai bien fait de...

– ... la tuer, acheva Angélique, tout en continuant à passer avec sang-froid sa brosse dans ses cheveux. Certes, étant donné tout ce qu'elle était sur le point de me confier sur votre compte, vous avez agi avec prudence.

Ambroisine resta silencieuse un long moment. Elle respirait avec gêne et ses narines se pinçaient. Entre ses paupières mi-closes, son regard filtrant examinait Angélique avec acuité.

– Je l'ai su tout de suite, dit-elle enfin, dès que je vous ai aperçue, là-bas, sur la plage, près de lui, j'ai su que vous ne seriez pas une adversaire facile. Après, je me suis rassurée. Vous paraissiez tendre et bonne. Les gens tendres et bons n'ont pas de défense. Mais j'ai vite déchanté. Vous êtes coriace, imprévisible... Par quel bout s'y prendre pour vous circonvenir, vous charmer ? Je me pose encore la question. En quoi réside le secret de votre charme et de votre séduction ? Vous êtes vraiment, je le crois, un être humain sans artifice. Ève devait vous ressembler.