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Angélique, follement, s'élança.

Piksarett bondit sur ses traces pour la précéder et lui montrer le chemin.

Ils coururent ainsi pendant quelques instants et le bruit de la bataille se rapprochait.

Tout à coup, ils se trouvèrent au bord de la falaise par-delà le cap où s'étaient abrités les deux navires des bandits. La fumée et l'odeur de la poudre montaient jusque sous les arbres et s'exhalaient de la crique, mais le vacarme paraissait se calmer, hors l'éclatement de quelques coups de feu isolés et de la rumeur des voix lançant des ordres ou d'autres « criant mercy ». Les malandrins se rendaient...

Angélique aperçut le Gouldsboro bord à bord avec un des navires – le navire à la flamme orange – qu'il avait harponné. Sur le pont, on liait les poignets des hommes d'équipage. Quatre ou cinq autres voiliers de différents tonnages occupaient la crique, fermant toutes issues, empêchant quiconque de s'échapper.

Avidement, Angélique cherchait des yeux le comte de Peyrac. Elle ne le voyait pas.

Elle l'aperçut enfin, montant en courant la plage, ses pistolets en main, suivi de quelques hommes afin de s'assurer d'un groupe de bandits retranchés derrière une chaloupe renversée.

C'était lui !... Non ce n'était pas lui... Sa haute silhouette se déplaçait si vite, trop vite, parmi les fumerolles et les nappes de fumée stagnante. C'était comme dans un rêve... Une vision... Lui... disparaissant... reparaissant... Lui, toute sa vie !... Toute sa vie en avait été ainsi. Lui ! Passant et repassant dans les brumes du souvenir... dans ses rêves... l'image de l'amour... le paradis... pour elle... Elle le voyait, le reconnaissait... C'était lui. Il remettait ses armes à sa ceinture tandis que le comte d'Urville s'assurait des prisonniers. Il se tournait dans la direction d'Angélique... C'était lui !

Elle se mit à crier, l'appelant de toutes ses forces, sans même savoir si elle prononçait son nom... Paralysée par le paroxysme de sa joie, elle ne pouvait bouger, puis retrouvant la faculté de se mouvoir, volant sans avoir la sensation d'effleurer le sol, elle dévalait la pente qui la menait vers lui, l'appelant toujours dans la crainte affreuse qu'il s'effaçât de nouveau de sa vue, qu'il ne disparût encore, la laissant seule sur la terre...

À ses appels, il s'élança les bras ouverts.

Ils s'atteignirent, se jetèrent sur le cœur l'un de l'autre.

Et là tout s'effaçait, le doute, la peur, les menaces, le pouvoir du Mal !...

La force de ses bras, ce rempart, sa poitrine comme un bouclier pour la défendre et sa chaleur contre le froid glacé de la solitude, et à travers son embrassement fou, passionné, la sensation de son amour pour elle, incommensurable, sans limites, comme un rayonnement qui la traversait toute, l'enveloppait, la comblait d'une félicité intraduisible.

– Oh ! Vivante !... vivante ! répétait-il d'une voix entrecoupée, oh ! Quel miracle ! J'ai souffert mille morts !... Ma folle chérie ! Dans quel piège encore êtes-vous allée vous jeter !... Là, là, c'est fini... Ne pleurez plus...

– Mais je ne pleure pas, disait Angélique sans s'apercevoir que son visage était inondé de larmes. Oh ! Que ce fut long, disait-elle entre deux sanglots, tout ce temps... tout ce temps sans vous... tout ce temps loin de vous !...

– Oui ! Terriblement long !...

Il la berçait contre lui et elle se laissait aller à tous ces pleurs qu'elle s'était interdit de verser au cours des derniers jours afin de conserver ses forces.

Ne plus douter ! Le savoir là ! Vivant ! L'aimant toujours ! Quelle félicité sans mesure ! Il l'écarta un peu afin de mieux la contempler. Le ciel d'opale au-dessus d'eux. Et le bonheur les isolant de tous.

– Que disent vos yeux ? murmura-t-il.

Et il baisa ses paupières avec ferveur.

– Ils ont gardé leur pouvoir d'aveu bouleversant, mais ils sont tout cernés de noir. Que vous est-il arrivé, mon trésor ? Que vous a-t-on fait, mon amour ?...

– Ce n'est rien ! Maintenant, vous êtes là ! Je suis heureuse.

Ils s'étreignirent encore. On sentait que Joffrey ne pouvait se convaincre du miracle de tenir Angélique saine et sauve entre ses bras, après l'affreuse crainte qui l'avait poigné lorsqu'il avait appris par Cantor qu'elle se trouvait à Tidmagouche, affrontant la haine et la hantise démoniaques de cette créature folle et perverse qui avait nom Ambroisine de Maudribourg.

Un nom redoutable. Une épreuve indescriptible. Mais qui semblait prendre, pour tous deux, en cet instant merveilleux, sa signification. Les lèvres contre sa chevelure, il prolongeait son baiser.

– Le temps n'existe pas, dit-il de sa voix profonde. Voyez mon cœur... les heures qu'il nous faut vivre... toujours nous sont données... quand Dieu le veut. L'élan que nous n'avions pas eu jadis en nous retrouvant après quinze ans d'absence nous venons de l'avoir aujourd'hui. Oh ! Comme je vous sens mienne enfin !

Chapitre 22

Angélique se tint derrière la maison, près de la fenêtre ouverte. Joffrey de Peyrac lui avait dit : Restez là.

Lui-même, contournant la masure, gagna le seuil et entra.

Angélique sut qu'il apparaissait dans l'encadrement de la porte et que le regard d'Ambroisine de Maudribourg se levait vers lui.

Et sans rien voir de la scène, elle devina l'expression qui se jouait sur les traits séraphiques, éclair des magnifiques yeux noirs aux reflets d'or.

Au même instant, les hommes de Peyrac venus par terre cernaient l'établissement et se rendaient maîtres du fort, tandis que les navires de sa flotte, traînant leurs deux prises de guerre, entraient dans la rade.

La chaleur était intense. Une sorte de torpeur, de charme terrifié, planait sur Tidmagouche.

La capture de la grève et du hameau se fit presque sans bruit, sans coups de feu. Les hommes aux ordres d'Ambroisine se retrouvèrent poings liés sans avoir compris ce qui leur arrivait. Elle, la Démone, ne le savait pas encore.

Elle regardait Peyrac debout devant elle. Angélique entendit la voix au timbre doux, un peu voilé et fragile, dire :

– Vous voici !

Et un frisson la traversa. Jusqu'à quel point Ambroisine n'avait-elle pas réussi à l'atteindre, pour que le seul son de cette voix la bouleversât d'horreur et de crainte ?

« Il était temps, se dit-elle, qu'il arrivât, elle m'aurait détruite... Oh ! Joffrey, mon amour ! »

Elle perçut son pas à lui calme, assuré, alors qu'il pénétrait dans la pièce.

Elle savait que son regard restait fixé sur le ravissant visage de la Démone, mais que rien ne transparaissait de ses pensées.

– Vous avez beaucoup tardé, dit encore Ambroisine de Maudribourg.

Puis il y eut un silence, et Angélique crut qu'elle allait s'évanouir. Chaque seconde qui passait était chargée d'une tension insupportable où semblait devoir se décider la victoire ou la défaite d'un combat gigantesque. Deux forces en jeu et toutes deux également puissantes, également armées, également sûres d'elles-mêmes et de leur pouvoir.

Ce fut Ambroisine qui parla la première. Et sa voix trahit sa nervosité sous le regard indéchiffrable qui l'observait.

– Oui, vous arrivez trop tard, monsieur de Peyrac.

Et sur un ton d'indicible triomphe, où frémissait une joie satanique ;

– Vous arrivez trop tard ! Elle est morte !

Elle devait sourire en parlant ainsi et ses prunelles devaient étinceler.

– Le chasseur vous a-t-il apporté son cœur ?... interrogea Peyrac.

Cette allusion ironique au conte populaire où les mauvais projets de la reine sont déjoués la mit hors d'elle.

– Non... mais il m'apportera ses yeux. Je l'ai exigé.