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– Le chat ! jubila Villedavray. Constatez que les bêtes elles-mêmes font escorte à la comtesse de Peyrac et aiment se mettre sous son joug. Ah ! Si vous l'aviez vue à Gouldsboro avec l'ours !

– Quel ours ? sursauta Carlon.

Une bête énorme et velue, terriblement féroce, et elle, agenouillée devant, le caressant, lui parlant avec douceur.

– Mais c'est très inquiétant cela ! Vous ne m'aviez pas raconté que Mme de Peyrac avait de tels pouvoirs.

– C'était un spectacle inoubliable.

– Cela pourrait relever de la magie.

– Mais non ! Seulement de son charme personnel... Vous ne voyez donc pas comme tout cela est exaltant ?

– Oui et non. Je pense que nous sommes entre les mains d'un homme, qui a fait partie de la Flibuste, que nous pouvons nous considérer à juste titre comme ses prisonniers. Il n'y a pas de quoi pavoiser.

– Mais non ! Quelle habitude avez-vous de toujours voir les choses en noir ! Nous sommes seulement les hôtes de M. de Peyrac, gentilhomme d'aventures, d'origine gasconne et, de surcroît, l'homme le plus riche d'Amérique du Nord. Nous ayant aidé en Acadie dans notre tournée d'inspection, il a la bonté de nous ramener sur son navire jusqu'à Québec où il se rend lui-même afin de présenter ses hommages au gouverneur de la Nouvelle France, M. de Frontenac.

– Et vous ? Quelle habitude avez-vous de toujours peindre la vie en rose ? ironisa Carlon.

– Je suis un homme heureux. C'est comme ça. Je vois des événements ce qui est agréable, et quoi de plus agréable pour un homme de ma sensibilité que de me trouver sur ce navire, en agréable compagnie, même la vôtre – mais oui ! mais oui ! ne protestez pas – et pouvant m'entretenir avec la plus délicieuse femme de la terre ? Je ramène un navire dont M. de Peyrac m'a fait don en remplacement de mon Asmodée coulée par des bandits. Regardez-le là-bas à l'ancre comme il est joli ! Je ne sais pas encore comment je vais l'appeler... Je rapporte des marchandises : pas mal de fourrures, des fiasques de rhum de la Jamaïque en grand nombre... un poêle de faïence... chut... une merveille. M. de Peyrac l'a fait venir pour moi de France. Regardez.

– Regardez... Regardez... Vous n'avez que ce mot à la bouche, vous m'épuisez à la fin... Eh bien, je regarde, et ce que je vois, c'est une situation de plus en plus ambiguë et compliquée, et la perspective, je vous l'ai dit, d'ennuis sans nombre, et dans la mesure précisément où M. et Mme de Peyrac sont des êtres hors du commun, et personnifiant, puisque vous l'affirmez, l'Amour et ses plaisirs, eh bien ! nous pouvons nous attendre à un beau charivari à Québec. Y a-t-il de quoi se réjouir ? Pour commencer, on échangera des coups de canon, j'en mets ma main au feu, er ensuite, si nous arrivons à nous sortir de là, ce sera pour nous, qui nous sommes, par la force des choses, entendus avec eux, le blâme, la disgrâce, et pourquoi pas pendant que nous y sommes, l'excommunication. Vous savez que l'évêque, Mgr Laval, et les Jésuites ne plaisantent pas avec les questions de sorcellerie et de libertinage et je les vois mal accueillant cette compagnie avec le sourire.

– Comme vous y allez, mon bon ! Vous exagérez ! Certes, il y aura du mouvement et pas mal de cris, de pleurs et de grincements de dents. Mais moi j'adore ça, j'avoue...

– Oh ! Bien sûr ! On vous connaît. Là, je serai d'accord avec Mme de Peyrac lorsqu'elle affirme que rien ne vous réjouit plus que de mettre toute une ville à l'envers.

– Elle a dit cela ? Comme c'est juste ! Elle est charmante, n'est-ce pas ?

– De toute façon, inutile de discuter avec vous, puisque vous êtes amoureux.

– Mais non, je ne suis pas amoureux... ou à peine... Décidément vous n'avez rien compris, rien... Vous êtes décourageant... Je ne vous parlerai plus.

Le marquis de Villedavray se détourna, boudeur.

Angélique de Peyrac et son escorte parvenant jusqu'à eux les trouvèrent aussi sombres l'un que l'autre.

Après une nouvelle journée de navigation, la flotte avait de nouveau jeté l'ancre dans une baie déserte de la côte nord du Saint-Laurent. Comme à l'accoutumée, les capitaines des autres navires s'étaient rendus sur le Gouldsboro pour une collation au cours de laquelle on parlerait des événements du jour, on prévoirait l'étape du lendemain.

– D'ici peu nous serons à Tadoussac.

– Le premier poste français !

– Espérons qu'on ne nous y fera pas trop mauvais accueil !

– Pourquoi donc ? Ce n'est qu'une petite bourgade isolée, sans grande défense. Or, nous sommes en force. Et, de plus, nous avons des intentions pacifiques.

*****

La flotte, en effet, avait belle tenue. Mouillée à l'ombre d'un cap qui l'abritait de toute surprise, elle se composait de trois navires de 200 à 350 tonneaux, ce qui ne représentait pas des bâtiments de grande envergure, mais totalisait cependant une soixantaine de canons. Deux petits yachts de fabrication hollandaise, fort maniables et vifs, jouaient, à ses flancs, le rôle de chiens de garde et d'éclaireurs. Ils étaient conçus de telle sorte qu'ils pouvaient supporter chacun deux canons dans l'entre-cale, et à l'arrière et à l'avant sur le pont deux couleuvrines capables de causer pas mal de dégâts lorsqu'on les pointait judicieusement.

L'un des yachts se nommait Le Rochelais et l'autre Le Mont-Désert. Cantor, le fils cadet d'Angélique et de Joffrey de Peyrac, assurait le commandement du Rochelais car il était déjà, malgré ses seize ans, un jeune officier rompu aux choses de la mer. Il avait fait ses classes en Méditerranée où il avait navigué avec son père depuis l'âge de dix ans et dans la mer des Caraïbes.

Vanneau, l'ancien maître du corsaire Barbe d'Or, dirigeait Le Mont-Désert. Le comte de Peyrac l'avait choisi de préférence à certains de ses compagnons plus anciens, du fait de son bon renom, n'ayant encouru en France aucune condamnation, et qu'il était catholique.

Cette question de religion les avait obligés à un tri sévère dans la composition de l'équipage et la nomination des officiers-majors. Il était exclu d'amener en Nouvelle-France des Français de religion Réformée. Ils risquaient l'arrestation immédiate, sinon la corde, étant considérés comme traîtres. Il était également délicat d'introduire des étrangers. Mais le comte de Peyrac se présentant à titre personnel et indépendant, sous sa propre bannière, son équipage, quelle qu'en fût la composition, bénéficierait de l'accueil qui lui serait fait.

Malgré tout, dans ce domaine aussi, il avait fallu trier. Le commandement du Gouldsboro était resté au Norvégien Erickson, homme taciturne, prudent, et qui savait ne pas attirer l'attention. Joffrey de Peyrac conservait auprès de lui les quatre Espagnols de sa garde particulière, des hommes depuis longtemps rompus à assurer sa protection personnelle et qui, démunis de cette fonction, ne sauraient que devenir.

Eux aussi ne risquaient pas d'attirer de palabres. Ils vivaient entre eux et ne se mêleraient pas plus aux populations françaises qu'ils ne s'étaient jamais mêlés aux matelots ou colons de Peyrac.

Les capitaines des deux autres vaisseaux étaient le comte d'Urville et le chevalier de Barssempuy, gentilshommes français de bonne famille qui ne détonneraient pas parmi la noble société québécoise à condition qu'on n'allât pas trop chercher dans leur passé les raisons qui leur avaient fait quitter le royaume de France pour courir les mers.

Angélique, en se rapprochant, avait aussitôt remarqué la face chagrinée de Villedavray, celle, raidie et maussade, de l'intendant Carlon. Allons ! les deux compères s'étaient encore disputés... Elle avait vu de loin le marquis gesticuler, puis se détourner en tapant du pied.