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Il vit avec émerveillement le regard d'Angélique s'élargir, vert et lumineux comme un étang au soleil, et tandis qu'il se penchait elle noua avec passion ses beaux bras autour de sa nuque et ce fut elle qui prit ses lèvres.

*****

Nuit sans fin. Une nuit de caresses, de baisers, d'étreintes, d'aveux murmurés et redits, de sommeil sans rêves, entrecoupé de réveils amoureux.

Dans les bras de celui qu'elle avait tant aimé et tant attendu, Angélique, transportée, redevenait la Vénus secrète des nuits d'amour qui faisait défaillir d'extase ses amants comblés, les laissant frappés d'un regret et d'une douleur inguérissables. Le vent de la tempête emportait les souvenirs, effaçait les fantômes...

– Si tu étais resté près de moi..., soupirait-elle.

Et il savait que c'était vrai, que s'il était resté près d'elle il n'y aurait jamais eu que lui dans sa vie. Et que lui-même ne l'aurait jamais trahie. Car nulle autre femme, nul autre homme ne pouvaient leur apporter ce bonheur inouï qu'ils se donnaient l'un à l'autre. Angélique en émergea lasse, enchantée et frappée de la plus sereine vision du monde qu'on puisse éprouver au matin de la vie.

L'existence avait pris un autre cours. Les nuits n'apporteraient plus la froide solitude, mais la promesse de l'éclatant plaisir, des heures comblées, grisantes, puis tendres et apaisées, qu'importaient la couche, pauvre ou riche, l'hiver, la sauvagerie des bois ou l'ivresse de l'été. Elle dormirait contre lui, nuit après nuit, dans le danger et dans la paix, dans la réussite ou l'échec. Ils auraient leurs nuits, refuges d'amour, havres de tendresse. Et ils auraient les jours, pleins de découvertes et de conquêtes, qu'ils vivraient côte à côte.

*****

Elle s'étira parmi les fourrures blanches et grises qui la recouvraient à demi. Les lustres étaient éteints. Une lueur filtrait derrière le volet de bois. Elle s'aperçut que Joffrey de Peyrac était debout, déjà habillé et botté. Il la fixait d'un regard énigmatique. Mais elle ne craignait plus le soupçon de ce regard. Elle lui sourit, toute à sa victoire.

– Déjà levé ?

– Il n'est que temps. Un Indien au grand galop vient d'annoncer l'approche de la caravane de Boston. Si j'ai pu m'arracher aux délices de cette couche, ce n'est certes pas parce que vous m'y avez encouragé, je dirais même que jusque dans votre sommeil vous sembliez mettre tout en œuvre pour me détourner des tâches qui m'attendent dès l'aube. Vos talents sont par trop habiles.

– Ne vous étiez-vous pas plaint la première fois d'un manque... précisément, de compétences, qui vous avait paru blessant ?

– Hum ! hum ! fit-il, je reste perplexe. Je ne suis pas si sûr que vos élans de cette nuit n'aient pas piqué ma jalousie rétrospective. Je n'avais pas souvenir de vous avoir menée moi-même à une telle perfection. Enfin, admettons que vous devez tout à votre premier initiateur ; il aurait mauvaise grâce à ne pas se sentir comblé...

Il mit un genou sur le bord du lit pour se pencher et la contempler dans le désordre de sa chevelure lumineuse.

– Et ça se déguise en pauvre servante pieuse ! Et ça joue les fières Huguenotes, prudes et froides !... Et l'on s'y laisse prendre ! Quand donc vous moquez-vous du monde, déesse ?

– Moins souvent que vous. Je n'ai jamais su bien ruser, sauf dans un mortel danger. Joffrey, je ne vous ai jamais joué de comédie, ni avant ni maintenant, je me suis battue contre vous à armes franches.

Alors vous êtes la plus surprenante des créatures, la plus imprévisible, la plus changeante, à mille facettes... Mais vous venez de prononcer un mot inquiétant : vous vous êtes battue contre moi... Vous le considériez donc comme un ennemi, ce mari revenant ?...

– Vous doutiez de mon amour.

– Étiez-vous sans reproche ?

– Je vous ai toujours aimé plus que tout.

– Vous commencez à m'en persuader. Mais notre combat, pour avoir pris un tour plus doux, est-il terminé ?

– Je l'espère, fit-elle inquiète.

Il secoua la tête d'un air songeur.

– Il y a encore bien des aspects de votre comportement passé qui me demeurent mystérieux.

– Lesquels ? Je vous expliquerai tout.

– Non. Je me méfie des explications. Je veux vous voir sans feinte. Et répondant par un sourire à son regard anxieux.

– Levez-vous, chérie. Il faut que nous allions au-devant de la caravane.

Chapitre 10

Ils étaient arrivés aux abords d'un lieu désert enrobé de brumes, où l'on entendait pourtant comme l'écho de milliers de voix. Angélique tournait la tête de droite à gauche.

– Je ne vois personne. Quel est ce phénomène ?

Sans répondre, Joffrey de Peyrac mit pied à terre. Depuis quelques instants, il semblait distrait. Après l'avoir cru préoccupé, elle s'étonnait qu'il ne lui communiquât pas son souci. Il vint à elle et lui tendit les bras pour l'aider à descendre de cheval. Il lui sourit avec une infinie tendresse mais ses traits demeuraient tendus.

– Qu'avez-vous ? lui demanda-t-elle à plusieurs reprises.

– Rien, mon cœur, répondit-il, en la serrant contre lui tandis qu'il l'entraînait entre les arbres, ne vous ai-je pas dit que ce jour est le plus beau de notre vie ?

Elle vit qu'il n'était pas préoccupé, mais ému. Elle en fut encore plus inquiète. Son bonheur était encore si fragile qu'elle tremblait de voir un événement fortuit le lui enlever à nouveau. Était-ce l'atmosphère ouatée qui lui mettait au cœur, non pas une angoisse, mais une impression d'attente ?

– Quand il fait clair ici, la vie semble très simple, dit-elle à haute voix comme si elle voulait rompre un charme qui s'imposait, mais quand le brouillard nous enveloppe tout est remis en question. Ce doit être pour cela qu'on s'attache à ce pays. On attend sans cesse un événement, une surprise, on sent que quelque chose va se passer, quelque chose d'heureux.

– C'est en effet pour vous réserver une surprise heureuse que je vous ai amenée ici.

– Mais que peut-il m'arriver encore d'heureux puisque je vous ai retrouvé ?

Il la fixa avec une attention ombrageuse, de ce regard qu'elle avait si souvent senti peser sur elle, à bord du Gouldsboro. Lorsqu'il l'examinait ainsi, elle savait qu'il doutait d'elle, qu'il lui réclamait des comptes et que l'amertume qu'elle lui avait infligée par son passé n'était pas effacée.

Mais il ne répondit pas à l'interrogation qu'il pouvait lire dans ses yeux. À mesure qu'ils avançaient un bruit grondant leur parvenait, mêlé à des bruits de voix humaines. Ils arrivèrent devant un amoncellement de rochers rouges où la mer s'engouffrait avec fracas. Les voix se multipliaient, portées par un écho qui les amplifiait. Nulle silhouette humaine ne s'apercevant, le phénomène avait quelque chose d'inquiétant. Angélique finit par distinguer sur la mer, de l'autre côté des roches, des petits points noirs qui flottaient, les têtes d'audacieux nageurs.

– Ce sont les enfants indigènes qui se livrent à leur jeu favori, dit Joffrey de Peyrac.

Le jeu consistait à se placer sur le trajet d'une lame particulièrement haute et, porté sur la crête écumante, de se précipiter avec elle dans l'antre noir d'une caverne où elle se fracassait. L'art du nageur était de se rattraper à la paroi rocheuse avant d'être broyé contre elle par la violence du choc. Il apparaissait alors au sommet de l'éboulis de rochers et courait plonger à nouveau pour recommencer.