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– Où voulez-vous courir, folle que vous êtes ?

– Loin de vous... à jamais.

Elle épuisait ses forces contre sa force. Dans la crainte qu'elle ne s'échappât et ne commît quelque geste irréparable, le comte la broyait entre ses bras. Angélique, suffoquée, autant par cette étreinte de fer que par sa révolte et sa joie démentielle, sentit le souffle lui manquer, sa chevelure pesait un poids de plomb, tirait sa tête en arrière.

– O mes fils, mes fils, gémit-elle encore.

Joffrey de Peyrac ne tenait plus contre lui qu'un corps abandonné, au visage renversé, les yeux clos, mortellement pâle.

*****

– Ouf ! ma terrible !... Vous m'avez fait une belle peur !

Angélique reprenait ses sens. Elle était étendue sur une couche de feuillage, dans une cahute indienne, où son mari l'avait transportée évanouie. Son premier mouvement fut de repousser celui qui se penchait vers elle.

– Non, cette fois, c'est fini, je ne vous aime plus, monsieur de Peyrac, vous m'avez fait trop de mal.

Il sut ne pas sourire et, prenant de force la main qui se dérobait, il eut un mot qu'elle n'eût jamais attendu de lui.

– Pardonne-moi.

Elle eut un bref regard sur ce visage noble, marqué par la dure empreinte d'une vie de dangers et qui ne s'était jamais incliné. Elle se sentit près des larmes, mais de nouveau secoua la tête farouchement. Non, elle ne pardonnerait pas, il avait joué avec son cœur de mère. Il avait poussé l'insensibilité jusqu'à la torturer en lui reprochant de les avoir perdus, alors qu'il savait qu'ils étaient bien en vie l'attendant en Amérique, à Harvard et que c'était lui qui avait provoqué la « mort » de Cantor sans songer aux larmes qu'elle verserait, elle, sa mère, en apprenant la disparition de son enfant. Quelle indifférence pour les sentiments de celle qui avait été jadis sa femme ! C'était donc vrai ce soupçon qui l'avait effleurée, qu'il ne l'avait jamais beaucoup aimée.

Elle voulut se lever pour s'écarter de lui, mais elle était si faible qu'elle ne put échapper aux bras qui la retenaient doucement contre lui.

– Pardonne-moi, répéta-t-il tout bas.

Force lui fut pour fuir l'interrogation ardente du regard de son mari, de cacher son visage contre sa dure épaule.

– Vous saviez et vous ne m'avez rien dit. Vous avez laissé se prolonger la souffrance qui me rongeait le cœur alors que d'un mot vous auriez pu me transporter de joie. Vous ne m'avez rien dit quand vous m'avez retrouvée, ni sur le bateau... Même pas cette nuit, sanglota-t-elle tout à coup, même pas cette nuit.

– Cette nuit ?... O mon cœur ! Vous requériez tout mon être. Cette nuit, vous m'apparteniez enfin, et jalousement, égoïstement, je ne voulais personne entre nous. Je vous avais assez partagée avec tout l'univers. Chérie, c'est vrai, j'ai été dur et parfois injuste, mais je ne t'aurais pas traitée avec tant de rigueur si je ne t'avais autant aimée. Tu es la seule femme qui a eu le pouvoir de me faire souffrir. La pensée de tes trahisons a été longtemps un fer rouge sur mon cœur qui se croyait invulnérable. Le doute empoisonnait mes souvenirs, je te voyais frivole, le cœur sec, indifférente aux enfants que je t'avais donnés.

« Et t'ayant retrouvée, partagé entre mes doutes et l'attirance invincible que je ressentais pour toi, j'ai voulu t'éprouver, je voulais savoir qui tu étais, te voir en pleine lumière, je me méfiais de ce don de comédie dont toute femme est tant soit peu pourvue. J'avais retrouvé ma femme, mais non la mère de mes fils. Je voulais savoir... ce que j'ai su tout à l'heure lorsque, sans y être préparée, tu les as reconnus.

– J'ai cru mourir, gémit-elle. Ah ! vous avez failli me faire mourir avec votre méchanceté.

– La frayeur que j'ai éprouvée en te voyant si bouleversée m'a en effet puni d'avoir été brutal. Tu les aimais donc tant ?

– Vous n'aviez pas le droit d'en douter. C'est moi qui les ai élevés, qui me suis privée de pain pour eux, qui me suis...

Elle retint la phrase qui lui venait aux lèvres « qui me suis vendue pour eux ». Mais pour ne pas l'avoir prononcée son amertume n'en fut que plus grande.

– Je ne leur ai manqué que le jour où j'ai repoussé les avances du Roi, pour ne pas vous trahir, et je le regrette bien, je me suis précipitée dans des malheurs sans nom pour un homme qui ne m'estimait même pas, un homme qui me méprisait et me reniait, un homme qui ne mérite pas qu'une femme s'attache à lui jusqu'à en mourir. Vous ! Des femmes vous ont tellement adulé que vous vous imaginez qu'on peut jouer impunément avec leur cœur sans qu'il vous en coûte le moindre désagrément.

– N'empêche, dit Joffrey de Peyrac en portant un doigt à sa joue, que vous m'avez giflé, madame.

Angélique se souvint du geste de délire qu'elle avait eu et en fut secrètement atterrée. Mais elle ne voulut marquer aucune contrition.

– Je ne regrette rien. Pour une fois, monsieur de Peyrac, vous aurez payé comme il se doit vos mystifications de mauvais goût et... – elle le regarda bien en face – vos infidélités à vous aussi.

Il encaissa le coup avec beaucoup de sang-froid et une petite étincelle au fond des yeux.

– Alors, sommes-nous quittes ?...

– Pas si facilement, monsieur, dit Angélique dont les forces renaissantes alimentaient la combativité.

Oui, ses infidélités ! Toutes ces femmes de la Méditerranée qu'il avait comblées de présents pendant qu'elle-même traînait misère, et cette indifférence du sort de celle qui était la mère de ses fils...

Si seulement il ne l'avait pas serrée si fort contre lui elle lui aurait dit ce qu'elle en pensait. Mais il renversa le visage d'Angélique en arrière et très doucement essuya ses joues humides de larmes.

– Pardonne-moi, répéta-t-il pour la troisième fois.

Et il fallut à Angélique toute sa volonté pour se dérober aux lèvres qui se penchaient sur les siennes et se détourner.

– Non, fit-elle boudeuse.

Mais tant qu'il la tiendrait dans ses bras, il savait bien qu'il possédait un moyen irrésistible de la reconquérir. Ce bras autour d'elle, barrant la route à la solitude, la protégeant, la berçant, la câlinant, cela avait été le rêve de toute sa vie. Le rêve de toutes les femmes du monde, modeste et immense : l'amour.

Le soir viendrait qui scellerait leur réconciliation. Le soir, elle serait à nouveau dans ses bras, tous les soirs de sa vie...

La nuit, d'un seul mouvement elle pourrait retrouver leur chaleur. Le jour, elle vivrait à ses côtés, dans le rayonnement de sa présence invincible. Il n'y avait pas de courroux, si justifié soit-il, qui puisse contrebalancer de tels délices.

– Ah ! je suis lâche, soupira-t-elle.

– Bravo ! Une once de lâcheté sied à merveille à votre impérieuse beauté. Soyez lâche, soyez faible, ma chérie, cela vous va si bien.

– Je devrais vous haïr.

– Ne vous en privez pas, mon amour, à condition que vous continuiez à m'aimer. Dites-moi, ma mie, ne croyez-vous pas qu'il serait temps de rejoindre nos jouvenceaux et de les rassurer sur la bonne entente de leur père et de leur mère enfin retrouvés et unis ?... Ils ont de multiples récits à vous faire.

Angélique marcha comme une convalescente. La vision incroyable ne s'était pas évanouie, Florimond et Cantor, appuyés l'un à l'autre, dans le geste charmant de leur enfance, les regardaient venir.

Elle ferma les yeux et loua Dieu.

C'était le plus beau jour de sa vie.

Florimond trouvait ses aventures toutes simples. Il était parti avec Nathanaël, le jeune voisin ami, échappant sans le savoir au massacre qui, quelques heures plus tard, devait anéantir leurs familles. Après pas mal d'errances, ils s'étaient embarqués comme mousses dans un port breton. L'idée fixe de Florimond de se rendre en Amérique pour y retrouver son père avait trouvé sa justification lorsque, après avoir débarqué à Charlestown et n'avoir cessé de demander, au cours de diverses pérégrinations, si personne ne connaissait un gentilhomme français nommé Peyrac, il avait fini par rencontrer des commerçants en relation avec le comte qui venait de faire construire un bateau à Boston selon ses plans, pour les mers nordiques. Il commençait d'explorer le Maine. Un ami lui avait conduit Florimond. Cantor trouvait également ses aventures très simples. Il était parti à la recherche de son père, sur la mer, et dès les premiers jours de navigation celui-ci s'était présenté sur un magnifique chébec pour tendre les bras à son fils.