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On proposa de redescendre dans le puits de la chaîne par lequel les Protestants avaient eu accès à la soute aux poudres et à la Sainte Barbe et où ils avaient laissé des sentinelles. On frapperait à travers la cloison un message selon le code des marins pour proposer une délégation. Le Gall, qui connaissait ce code descendit en compagnie de matelots armés. Lorsqu'il remonta près d'une heure plus tard, il était sombre.

– Il demande des femmes, dit-il.

– Hein ? fit Manigault.

Le Gall essuya la sueur qui coulait sur son visage. On manquait d'air en bas.

– Oh ! ne vous méprenez pas. Il ne s'agit pas de ce que vous croyez. J'ai eu du mal à établir le contact et on ne peut s'expliquer avec des nuances à l'aide d'un bout de bois contre une cloison. Ce que j'ai compris, c'est que le Rescator accepte de recevoir une délégation à condition qu'elle soit composée de femmes.

– Pourquoi ?

– Il dit que si l'un d'entre nous ou des Espagnols se présentaient il ne pourrait empêcher ses hommes de les mettre en charpie. Il demande aussi que, parmi les parlementaires, se trouve dame Angélique.

Chapitre 4

Mme Manigault aurait voulu être de la partie mais sa forte carrure l'en empêcha.

Les indications données en code par le Rescator recommandaient à ces dames d'emprunter pour le joindre la trappe et l'échelle de corde de ses appartements privés.

– Encore une des facéties malséantes de cet individu, grommelèrent les Protestants. Ils doutaient de l'heureuse issue de la négociation car ils n'accordaient qu'une faible confiance aux talents diplomatiques de leurs femmes.

Mme Carrère, à laquelle ses nombreuses maternités avaient conservé la souplesse nécessaire, accepta le rôle ingrat de porte-parole de la communauté. La petite femme, pleine de vie, habituée à mener tambour battant sa maison et ses servantes, ne risquait pas de se laisser intimider et irait jusqu'au bout de sa mission.

– Soyez intraitable sur les conditions, lui recommanda Manigault. La vie et la liberté, nous n'accorderons pas plus.

Angélique, à l'écart, haussait les épaules. Jamais Joffrey n'accepterait ces conditions. À lors, qui céderait ? La lutte était engagée entre deux blocs de granit. Sur le plan de la ruse Joffrey de Peyrac était sans doute plus armé que ses adversaires improvisés, mais sur celui de l'entêtement lui et ses hommes ne l'emporteraient pas sur cette poignée de Rochelais. Abigaël s'était présentée. Manigault la récusa. L'attitude réprobatrice du pasteur à l'égard de la mutinerie des passagers rendait suspecte sa fille. Puis il se ravisa. Le Rescator avait marqué de la considération à la jeune fille. Peut-être l'écouterait-il avec sympathie. Quant au rôle d'Angélique, on ne voulait pas l'approfondir. Personne n'arrivait à démêler pourquoi elle était la seule en qui on espérât. Personne n'osait se l'avouer, mais beaucoup de femmes auraient aimé lui saisir la main en cachette et l'adjurer « Sauvez-nous ! » car elles commençaient à comprendre l'impasse dans laquelle se trouvait le Gouldsboro aux mains des navigateurs inexpérimentés.

*****

Parvenues en bas, les trois femmes durent attendre que la trappe au-dessus d'elles se fût refermée. Elles étaient dans une obscurité totale. Enfin un lumignon apparut au fond d'un boyau, devant elles, et elles rejoignirent le quartier-maître Erikson qui les guida dans une assez vaste « couverte » où semblaient s'être réunis presque tous les hommes de l'équipage assiégé. Les sabords étaient ouverts laissant entrer le jour gris. Les matelots jouaient aux cartes ou aux dés ou se balançaient dans leurs hamacs. Ils paraissaient calmes et jetèrent sur les arrivantes des regards impénétrables et presque indifférents. Il y avait très peu d'armes, ce qu'Angélique remarqua avec un serrement de cœur, ne sachant si elle aurait souhaité voir les hommes de Manigault et ceux de son mari s'affronter à égalité. Dans une bataille corps à corps, les troupes de Joffrey, malgré le nombre, succomberaient. D'une porte ouverte sur une cambuse, la voix du comte de Peyrac lui parvint. Son cœur sauta. Il y avait des siècles qu'elle ne l'avait entendue. Qu'y avait-il dans cette voix qui la tenaillait ainsi ?

Qu'elle était prenante, cette voix qui ne pouvait plus chanter. C'était celle d'un amour nouveau. Ce timbre étouffé et rude lui faisait oublier l'autre, celui du passé, aux résonances magnifiques, mais dont l'écho allait s'estompant dans le lointain comme l'image de son premier amour.

La personnalité de l'autre, aventurier au visage tanné, au cœur durci, et aux tempes grises, envahissait toute la scène. La voix brisée c'était celle qui l'avait soutenue au cours de ces instants inimaginables de douceur et de crainte d'une brève nuit d'amour, au bord de la tempête et qu'elle croyait aujourd'hui avoir rêvée.

Ces mains sèches et patriciennes, mais qui maniaient si vivement le poignard, c'était celles qui l'avaient caressée.

L'homme, encore étranger, c'était lui son amant, son amour, son époux.

*****

Le Rescator, derrière son masque, lui parut implacable et s'il salua courtoisement les trois dames, il ne les fit pas asseoir. Lui-même se tenait debout près du sabord, les bras croisés, peu rassurant.

Nicolas Perrot, debout aussi, fumait sa pipe dans un coin de la petite pièce.

– Eh bien ! mesdames, vos époux jouent aux guerriers assez brillamment, mais commencent à douter de leurs capacités de navigateurs.

– Ma foi, monseigneur, répondit la brave dame Carrère, mon avocat de mari n'est pas plus réussi en l'un qu'en l'autre. C'est mon opinion, si ce n'est pas la sienne. N'empêche qu'ils sont bien armes et décidés à garder leurs avantages pour se rendre aux Iles d'Amérique et non ailleurs. Alors ce serait peut-être raisonnable de chercher à s'entendre pour que chacun y trouve son compte.

Et, tort courageusement, elle transmit les propositions de Manigault. Le silence du Rescator put leur faire espérer qu'il réfléchissait et envisageait avec intérêt les termes de l'accord.

– Un pilote qui vous permettrait d'accoster en échange de la vie sauve pour moi et mon équipage ? répéta-t-il d'un air songeur. Pas mal trouvé. Une seule chose ne permet pas de réaliser ce plan mirifique. La côte que nous longeons est inabordable. L'admirable courant de Floride la protège, entraînant à jamais au loin les audacieux qui rêvent d'accoster... des rochers submergés, à fleur d'eau, une barre continuelle et mortelle... j'en passe. Deux mille huit cents miles de méandres rocheux sur deux cent quatre-vingts miles en ligne droite.

– Mais toute côte, si mauvaise soit-elle, doit posséder quelque havre où l'accostage est possible, dit Abigaël en cherchant à raffermir sa voix tremblante.

– En effet. Encore faut-il les connaître.

– Et vous les ignorez. Vous qui sembliez si sûr de votre route ? Vous qui parliez de toucher terre dans quelques jours d'après les propos rapportés par votre équipage.

Les joues d'Abigaël étaient plaquées de rouge dans son émotion, mais elle insistait avec une hardiesse qu'Angélique ne lui avait jamais vue.

– Vous n'en connaissez point, monseigneur ? Vous n'en connaissez point ?

Un sourire qui avait une certaine douceur effleura les lèvres du Rescator.

– Il est difficile de vous mentir en face, damoiselle. Eh bien ! admettons que je connaisse assez la côte pour essayer – je dis bien essayer – d'y aborder sans casse, me croyez-vous assez stupide...

Le ton changea et redevint dur...

– ... pour vous sauver, vous et les vôtres, après ce que vous m'avez fait ? Rendez-vous, rendez les armes, rendez-moi mon navire. Ensuite, s'il n'est pas trop tard, je m'occuperai de le sauver.