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Tout en devisant, le jeune garçon entraînait insidieusement Angélique vers des quartiers moins animés. Elle s'en aperçut, mais ne dit rien. Son corps subitement en éveil attendait quelque chose, que la main du page contre sa taille promettait. Il s'arrêta et la poussa doucement dans l'encoignure d'une porte. Puis il se mit à l'embrasser avec vivacité. Il disait des choses banales et amusantes.

– Tu es jolie... Tu as des joues comme des pâquerettes et des yeux verts comme les grenouilles... Les grenouilles de ton pays... Ne bouge pas. C'est ton corsage que je veux ouvrir... Laisse-toi faire. Je sais m'y prendre... Oh ! Je n'ai jamais vu de seins si blancs et si mignons... Et fermes comme des pommes... Tu me plais, ma mie...

Elle le laissait divaguer, caresser. Elle rejetait un peu la tête en arrière, contre la pierre moussue, et ses yeux regardaient machinalement le ciel bleu au bord d'un toit festonné.

Maintenant le page se taisait ; son souffle se précipitait. Il s'agita et regarda plusieurs fois autour de lui avec agacement. La rue était assez calme. Cependant, des gens allaient et venaient. Il y eut même une cavalcade d'étudiants qui poussèrent des Hou ! Hou ! en découvrant le jeune couple dans l'ombre de la muraille. Le garçon recula, tapa du pied.

– Oh ! J'enrage ! Les maisons sont pleines à craquer dans cette sacrée ville de province. Les grands seigneurs eux-mêmes doivent recevoir leurs maîtresses dans des antichambres. Alors, je te le demande, où pourrons-nous être un peu tranquilles ?

– Nous sommes bien ici, murmura-t-elle. Mais il n'était pas satisfait.

Il jeta un regard dans la petite aumônière qu'il portait à la ceinture, et son visage s'éclaira.

– Viens ! J'ai une idée ! Nous allons trouver salon à notre taille.

Il la prit par la main et l'entraîna en courant par les rues, jusqu'à la place de Notre-Dame-la-Grande. Depuis plus de deux ans qu'elle était à Poitiers, Angélique ne connaissait rien de la ville. Elle regarda avec admiration la façade de l'église, ouvragée comme un coffret hindou, et flanquée de clochetons en pommes de pin. On aurait dit que la pierre même avait fleuri sous le ciseau magique des sculpteurs. Le jeune Henri dit alors à sa compagne de rester sous le porche et de l'attendre. Il revint peu après tout content, une clef à la main.

– Le sacristain de l'église m'a loué la chaire pour un moment.

– La chaire ? répéta Angélique stupéfaite.

– Bah ! Ce n'est pas la première fois qu'il rend ce service aux pauvres amoureux.

Il l'avait reprise par la taille et descendait les marches conduisant au sanctuaire dont le parvis était un peu affaissé.

Angélique fut saisie par les ténèbres et la fraîcheur des voûtes. Les églises du Poitou sont les plus sombres de France. Solides édifices, posées sur d'énormes piliers, elles dissimulent dans leur ombre d'anciennes décorations murales dont les teintes vives apparaissent peu à peu aux yeux surpris. Les deux adolescents s'avançaient en silence.

– J'ai froid, murmura Angélique en serrant sa cape contre elle.

Il lui mit un bras protecteur autour des épaules, mais son exaltation était tombée et il paraissait intimidé.

Il ouvrit la première porte de la chaire monumentale, puis, gravissant les degrés, pénétra dans la rotonde réservée au prêche. On peu machinalement, Angélique le suivit.

Ils s'assirent tous deux sur le plancher recouvert d'un tapis de velours. Cette église, cette nuit profonde à l'odeur d'encens paraissait avoir calmé l'humeur entreprenante du garçon. Il mit encore son bras autour des épaules d'Angélique et l'embrassa doucement à la tempe.

– Comme tu es une belle petite amie, soupira-t-il, comme je te préfère à toutes ces grandes dames qui me taquinent et qui se jouent de moi. Cela ne m'amuse pas toujours, mais je dois leur complaire. Si tu savais...

Il soupira encore. Son visage avait retrouvé toute sa puérilité.

– Je vais te montrer quelque chose de très beau, d'exceptionnel, dit-il en fouillant dans son aumônière.

Il en sortit un carré de toile blanche bordé d'une petite dentelle et légèrement sali.

– Un mouchoir ? dit Angélique.

– Oui. Le mouchoir du roi. Il l'a laissé tomber ce matin. Je l'ai ramassé et l'ai gardé en talisman.

Il la fixa longuement, songeur.

– Vais-je te le donner en gage d'amour ?

– Oh ! oui, dit Angélique en avançant vivement la main.

Son bras heurta la balustrade de bois plein et cela fit un écho énorme sous les voûtes.

Ils s'immobilisèrent interdits, un peu anxieux.

– Je crois que quelqu'un vient, murmura Angélique.

Le garçon avoua d'un air piteux :

– J'ai oublié de fermer la porte de la chaire au bas de l'escalier.

Puis ils se turent, écoutant le pas qui s'approchait. Quelqu'un gravit les degrés de leur refuge, et la tête d'un vieil abbé coiffé d'une calotte noire apparut au-dessus d'eux.

– Que faites-vous là, mes enfants ? demanda-t-il.

Le page à la langue bien pendue avait déjà son histoire prête.

– J'ai voulu voir ma sœur qui est pensionnaire à Poitiers, mais je ne savais où la rencontrer. Nos parents...

– Ne parle pas si fort dans la maison de Dieu, dit le prêtre. Lève-toi et ta sœur aussi, et suivez-moi.

Il les emmena dans la sacristie et s'assit sur un tabouret. Puis, les mains appuyées sur ses genoux, il les regarda successivement l'un et l'autre. Les cheveux blancs débordant de sa calotte ecclésiastique auréolaient un visage qui, malgré la vieillesse, conservait de fortes couleurs paysannes. Il avait un gros nez, de petits yeux vifs et précis, une courte barbe blanche. Henri de Roguier, tout à coup, paraissait effaré et se taisait avec une confusion qui n'était pas feinte.

– Est-il ton amant ? demanda soudain le prêtre à Angélique, en désignant le jeune garçon du menton.

La rougeur envahit le visage de l'adolescente, et le page s'écria vivement et franchement :

– Monsieur, je l'aurais souhaité, mais elle n'est pas de cette sorte-là.

– Tant mieux, ma fille. Si tu avais un beau collier de perles, t'amuserais-tu à le jeter dans ta cour pleine de fumier où les pourceaux viendraient les rafler de leurs groins morveux ? Hein ? Réponds-moi, petite ? Ferais-tu cela ?

– Non. Je ne le ferais pas.

– Il ne faut pas donner de perles aux pourceaux. Il ne faut pas gaspiller ce trésor de ta virginité qui ne doit être réservé qu'au mariage. Et toi, grossier personnage, continua-t-il doucement en se tournant vers le garçon, où as-tu été chercher l'idée sacrilège d'amener ton amie dans la chaire de l'église pour lui conter fleurette ?

– Où pouvais-je l'amener ? protesta le page, maussade. On ne peut pas causer tranquillement dans les rues de cette ville qui sont plus étroites que des placards. Je savais que le sacristain de Notre-Dame-la-Grande loue parfois la chaire et les confessionnaux pour qu'on puisse s'y chuchoter quelque secret loin des oreilles indiscrètes. Dans ces villes de province, vous savez, Monsieur Vincent, il y a beaucoup de demoiselles trop sévèrement gardées par un père bougon et une mère acariâtre, et qui n'auraient jamais l'occasion d'entendre un mot doux si...

– Comme tu m'instruis bien, mon petit !

– La chaire c'est trente livres, et les confessionnaux vingt livres. C'est beaucoup pour ma bourse, croyez-moi, Monsieur Vincent.

– Je te crois sans peine, dit Monsieur Vincent, mais c'est plus cher encore dans la balance où le diable et l'ange pèsent les péchés sur le parvis de Notre-Dame-la-Grande.

Son visage qui, jusque-là, avait gardé une expression sereine, s'était durci. Il tendit la main.