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Angélique marchait un peu en retrait de son père ; aussi celui-ci né pouvait-il voir l'expression de son visage. Les petites dents blanches de la jeune fille mordaient ses lèvres avec une rage impuissante. Elle pouvait d'autant moins expliquer à son père combien la façon dont s'était présentée cette demande en mariage était humiliante pour elle, que celui-ci était persuadé d'avoir très habilement préparé le bonheur de sa fille. Elle essaya cependant encore de lutter.

– Si je me souviens, bien, n'aviez-vous pas loué cette carrière pour dix ans à Molines ? Il reste donc environ quatre ans de fermage. Comment peut-on donner ce coin, qui est loué, en dot ?

– Molines est non seulement d'accord, mais il continuera d'exploiter pour le compte de M. de Peyrac. Du reste, le travail a déjà commencé il y a trois ans, comme tu vas le voir. Nous arrivons.

*****

En une heure de trot, ils atteignirent les lieux. Jadis Angélique avait cru que cette noire carrière et ses villages protestants étaient situés au bout du monde. Mais maintenant cela paraissait tout proche. Une route bien entretenue confirmait cette nouvelle impression. Un petit hameau pour les ouvriers avait été construit. Le père et la fille mirent pied à terre, et Nicolas s'approcha pour tenir les brides des chevaux.

L'endroit à l'aspect désolé, dont Angélique se souvenait si bien, avait totalement changé.

Une canalisation amenait de l'eau courante et actionnait plusieurs meules de pierre verticales. Des pilons de fonte, dans un bruit sourd, écrasaient des pierres, tandis que des gros blocs de roche étaient débités par des masses à main.

Deux fours rougeoyaient et d'énormes soufflets de peau en activaient les flammes. Des montagnes noires de charbon de bois étaient disposées à côté des fours, et le reste du carreau de la mine était occupé par des tas de pierres. Dans des goulottes de bois où coulait de l'eau, des ouvriers jetaient à la pelle le sable de la roche sortant des meules. D'autres, avec des houes, ratissaient, à contrecourant, l'intérieur de ces canalisations. Un assez grand bâtiment, construit en retrait, montrait des portes avec grillages et barreaux de fer, fermées par de gros cadenas.

Deux hommes armés de mousquets en gardaient les abords.

– La réserve des lingots d'argent et de plomb, dit le baron.

Très fier, il ajouta qu'il demanderait un jour prochain à Molines d'en montrer à Angélique le contenu.

Ensuite, il la mena voir la carrière attenante. D'énormes gradins, de quatre mètres de haut chacun, dessinaient maintenant une sorte d'amphithéâtre romain. Ça et là, de noirs souterrains s'enfonçaient sous la roche, d'où l'on voyait surgir de petits chariots traînés par des ânes.

– Il y a ici dix familles saxonnes de mineurs de métier, fondeurs et carriers. Ce sont eux et Molines qui ont monté l'exploitation.

– Et l'affaire rapporte combien par an ? demanda Angélique.

– Ça, par exemple, c'est une question que je ne me suis jamais posée..., avoua avec une pointe de confusion Armand de Sancé. Tu comprends : Molines me paie régulièrement son fermage. Il a fait tous les frais d'installation. Des briques de fours sont venues d'Angleterre et sans doute même d'Espagne, apportées par des caravanes de contrebande du Languedoc.

– Probablement, n'est-ce pas, par l'intermédiaire de celui que vous me destinez pour époux ?

– C'est possible. Il paraît qu'il s'occupe de mille choses diverses. C'est, d'ailleurs, un savant et c'est lui qui a dessiné le plan de cette machine à vapeur.

Le baron amena sa fille jusqu'à l'entrée d'une des basses galeries de la montagne. Il lui montra une sorte d'énorme chaudron de fer sous lequel on faisait du feu, et d'où s'échappaient deux gros tuyaux entourés de bandelettes, qui allaient ensuite s'enfoncer dans un puits. Un jet d'eau en jaillissait périodiquement à la surface du sol.

– C'est une des premières machines à vapeur construites jusqu'ici au monde. Elle sert à pomper l'eau souterraine des mines. C'est une invention que le comte de Peyrac a mise au point au cours d'un de ses séjours en Angleterre. Tu vois que, pour une femme qui veut devenir Précieuse, tu auras là un mari aussi savant et bel esprit que je suis, moi, ignorant et peu rapide, ajouta-t-il avec une moue piteuse. Tiens, bonjour, Fritz Hauër.

Un des ouvriers, qui se tenait près de la machine, ôta son bonnet et s'inclina profondément. Il avait un visage comme bleui par les poussières de roche incrustées dans sa peau, au cours d'une longue existence de travaux miniers. Deux doigts manquaient à l'une de ses mains. Trapu et bossu, on eût dit que ses bras étaient trop longs. Des mèches de cheveux tombaient dans ses yeux petits et brillants.

– Je trouve qu'il ressemble un peu à Vulcain, le dieu des enfers, dit M. de Sancé. Il paraît qu'il n'y a pas un homme qui connaisse mieux les entrailles de la terre que cet ouvrier saxon. C'est peut-être pourquoi il a cet aspect curieux. Toutes ces questions de mines ne m'ont jamais paru très claires, et je ne sais pas dans quelle mesure il ne s'y mêle pas un peu de sorcellerie. On dit que Fritz Hauër connaît un procédé secret pour transformer le plomb en or. Voilà qui serait bien extraordinaire. Toujours est-il qu'il travaille depuis plusieurs années avec le comte de Peyrac, qui l'a envoyé en Poitou pour installer Argentières.

« Le comte de Peyrac ! Toujours le comte de Peyrac ! » pensa Angélique, excédée. Elle dit tout haut :

– C'est peut-être pour cela qu'il est si riche, ce comte de Peyrac. Il transforme en or le plomb que lui envoie ce Fritz Hauër. D'ici à ce qu'il me transforme en grenouille...

– Vraiment vous me peinez, ma fille. Pourquoi ce ton de persiflage ? Ne dirait-on pas que je cherche à faire votre malheur ? Il n'y a rien dans ce projet qui puisse justifier votre méfiance. Je m'attendais à des cris de joie, et je n'entends que des sarcasmes.

– C'est vrai, père, pardonnez-moi, fit Angélique confuse et désolée de la déception qu'elle lisait sur l'honnête visage du hobereau. Les religieuses ont souvent dit que je n'étais pas comme les autres, et que j'avais des réactions déconcertantes. Je ne vous cache pas qu'au lieu de me réjouir, cette demande en mariage m'est extrêmement désagréable. Laissez-moi le temps de réfléchir, de m'habituer...

Tout en parlant, ils étaient revenus vers les chevaux. Angélique se mit en selle rapidement afin d'éviter l'aide trop empressée de Nicolas, mais elle ne put empêcher que la main brune du valet ne l'effleurât en lui passant les rênes.

« C'est très gênant, se dit-elle contrariée. Il faudra que je le remette à sa place sévèrement. »

Les chemins creux étaient fleuris d'aubépine. L'odeur exquise, en lui rappelant les jours de son enfance, apaisa un peu l'énervement de la jeune fille.

– Père, dit-elle tout à coup, je crois comprendre qu'au sujet du comte de Peyrac vous voudriez me voir prendre une décision rapide. Je viens d'avoir une idée : me permettez-vous de me rendre chez Molines ? Je voudrais avoir une conversation sérieuse avec lui.

Le baron jeta un regard au soleil afin de mesurer l'heure.

– Il va être bientôt midi. Mais je pense que Molines se fera un plaisir de te recevoir à sa table. Va, ma fille. Nicolas t'accompagnera.

*****

Angélique fut sur le point de refuser cette escorte, mais elle ne voulut pas avoir l'air d'attacher la moindre importance au paysan et, après avoir adressé un joyeux signe d'adieu à son père, elle s'élança au galop. Le valet, qui n'était monté que sur un mulet, se laissa bientôt distancer.