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– Je vais vous coiffer, madame, intervint une grande et forte servante en s'approchant.

Plus jeune, elle ressemblait étrangement à la nourrice Fantine Lozier. La même flamme sarrasine, venue des lointaines invasions, leur avait brûlé la peau. L'une et l'autre se lançaient déjà des regards ennemis d'un œil également sombre.

– C'est Marguerite, la sœur de lait du comte de Peyrac. Cette femme a servi les grandes dames de Toulouse et a suivi longtemps ses maîtres à Paris. Elle sera désormais votre femme de chambre.

Avec habileté, la servante relevait la lourde chevelure mordorée et l'emprisonnait dans l'entrelacs des perles. Puis d'une main sans rémission elle détachait des oreilles d'Angélique les petites pierres modestes que le baron de Sancé avait offertes à sa fille pour sa première communion, et agrafait les somptueux bijoux. Ce fut le tour du collier.

– Ah ! il faudrait une poitrine plus dégagée, s'écria le petit baron Cerbalaud dont l'œil, noir comme des mûres des bois après la pluie, cherchait à deviner les formes gracieuses de la jeune fille.

Le marquis d'Andijos lui envoya sans façon un coup de canne sur la tête. Un page se précipitait, portant un miroir.

Angélique se vit en son éclat nouveau. Tout en elle lui paraissait briller, jusqu'à sa peau lisse, à peine teintée de rosé aux pommettes. Un soudain plaisir se fit jour en elle, monta jusqu'à ses lèvres, qui s'épanouirent dans un sourire charmant.

« Je suis belle », se dit-elle.

Mais déjà tout se brouillait, et des profondeurs du miroir il lui semblait entendre monter l'affreux ricanement.

– Boiteux ! Boiteux ! Et plus laid que le diable. Ah ! quel bel époux vous aurez là, mademoiselle de Sancé !

*****

Le mariage par procuration eut lieu huit jours plus tard, et les réjouissances durèrent trois jours. On dansait dans tous les villages environnants, et le soir du mariage on tira des pétards et des fusées à Monteloup.

Dans la cour du château et jusqu'aux prés voisins, il y avait de grandes tables garnies de pichets de vin et de cidre, et de toutes sortes de viandes et de fruits que les paysans venaient manger tour à tour, s'ébaudissant sur ces Gascons et ces Toulousains bruyants dont les tambours de basque, les luths, les violons et les voix de rossignols faisaient la nique au ménétrier du village et au joueur de chalumeau. Le dernier soir avant le départ de la mariée pour le lointain pays du Languedoc, il y eut un grand dîner dans la cour du château réunissant les notables et les châtelains des environs. Le sieur Molines y vint avec sa femme et sa fille. Dans la grande chambre où tant de fois, la nuit, Angélique avait écouté grincer les énormes girouettes du vieux château, la nourrice l'aidait à s'habiller. Après avoir brossé avec amour ses superbes cheveux, elle lui présenta le corsage turquoise, agrafa la pièce d'estomac ornée de joyaux.

– Que tu es belle, ah ! que tu es belle, ma gazoute ! soupirait-elle d'un air navré. Ta poitrine est si ferme qu'elle n'aurait pas besoin d'être soutenue par tous ces corsets. Veille que les plastrons ne t'écrasent pas les seins. Laisse-les bien libres.

– Est-ce que je ne suis pas trop décolletée, Nounou ?

– Une grande dame doit montrer ses seins. Comme tu es belle ! Et pour qui donc, grands dieux ! soupira-t-elle d'une voix étouffée.

Angélique vit que le visage de la vieille Poitevine était tout sillonné de larmes.

– Ne pleure pas, Nounou, tu vas m'ôter mon courage.

– Il t'en faudra, hélas ! ma fille... Penche la tête que j'agrafe ton collier. Pour les perles des cheveux, on laissera faire la Margot ; je ne comprends rien à ces entortillements !... Ah ! ma gazoute, quel crève-cœur ! Quand je pense que ce sera cette grande bringue qui pue l'ail et le diable à cent mètres, qui te lavera et te rasera le soir de tes noces ! Ah ! quel crève-cœur !

Elle s'agenouilla pour arranger au sol la traîne du manteau de robe. Angélique l'entendit sangloter.

Elle ne s'était pas imaginé un si grand désespoir, et l'anxiété qui lui poignait le cœur s'en trouva décuplée.

Toujours à terre, Fantine Lozier murmura :

– Pardonne-moi, ma fille, de n'avoir pas su te défendre, moi qui t'ai nourrie de mon lait. Mais depuis trop de jours que j'entends parler de cet homme, je ne peux plus fermer l'œil.

– Que dit-on de lui ?

La nourrice se redressa ; elle retrouvait déjà son regard nocturne et fixe de prophétesse.

– De l'or ! De l'or plein son château...

– Ce n'est pas un péché de posséder de l'or, nourrice. Regarde tous les présents qu'il m'a faits. J'en suis ravie.

– Ne t'y trompe pas, ma fille. Cet or est maudit. C'est avec ses cornues, ses philtres qu'il le crée. Un des pages, celui qui joue si bien du tambourin, Henrico, m'a dit que dans son palais de Toulouse, un palais rouge comme le sang, il y a tout un bâtiment où personne ne doit aller. Celui qui garde l'entrée est un homme complètement noir, aussi noir que le fond de mes marmites. Un jour que le gardien s'était absenté, Henrico a vu par une porte entrebâillée une grande salle pleine de boules de verre, de cornues et de tuyaux. Et ça sifflait, et ça bouillait ! Et tout à coup, il y a eu une flamme et un bruit de tonnerre. Henrico s'est enfui.

– Ce gamin est imaginatif, comme tous les gens du Sud.

– Hélas ! Il y avait un accent de vérité et de frayeur dans sa voix auquel on ne se trompe pas. Ah ! c'est un homme qui a cherché puissance et richesse au prix du Malin que ce comte de Peyrac. Un Gilles de Retz, voilà ce qu'il est, un Gilles de Retz qui n'est même pas poitevin !

–Ne dis pas de sottises, fit durement Angélique. Personne n'a jamais raconté qu'il mangeait les petits enfants.

– Il attire les femmes, chuchota la nourrice, par des charmes bizarres. Dans son palais, il y a des orgies. Il paraît que l'archevêque de Toulouse l'a dénoncé en chaire publiquement, a crié au scandale et au démon. Et ce païen de valet, qui me racontait la chose, hier, dans ma cuisine en riant comme un fou, disait qu'à la suite du sermon, le comte de Peyrac a donné l'ordre à ses gens de rosser les pages et les porteurs de l'archevêque, et qu'il y a eu des batailles jusque dans la cathédrale. Crois-tu que de telles abominations se verraient chez nous ? Et tout cet or qu'il possède, où va-t-il le chercher ? Ses parents ne lui ont laissé que des dettes et des terres hypothéquées. C'est un seigneur qui ne fait pas sa cour au roi, ni aux grands. On dit que, lorsque M. d'Orléans, qui est gouverneur du Languedoc, vint à Toulouse, le comte refusa de ployer le genou devant lui sous prétexte que cela le fatiguait et, comme Monsieur lui faisait remarquer, sans se fâcher, qu'il pourrait lui obtenir de grands bienfaits en haut lieu, le comte de Peyrac a répondu que...

La vieille Fantine s'interrompit et s'affaira à planter quelques épingles ici et là dans la jupe, pourtant bien ajustée.

– Il a répondu quoi ?

– Que... que d'avoir le bras long ne lui ferait pas la jambe moins courte. C'est d'une insolence !

Angélique se regardait dans le petit miroir rond de son nécessaire de voyage, lissait du doigt ses cils soigneusement épilés par la servante Marguerite.

– C'est donc vrai ce qu'on raconte, qu'il est boiteux ? dit-elle, s'efforçant de donner à sa voix une inflexion indifférente.

– C'est vrai, hélas ! ma gazoute. Ah ! Jésus ! toi si belle !

– Tais-toi, nourrice. Tu me lasses avec tes soupirs. Va appeler Margot pour qu'elle me coiffe, et ne parle plus du comte de Peyrac comme tu viens de le faire. N'oublie pas qu'il est désormais mon mari.