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– « À madame du Plessis-Bellière, notre sujette qui, coupable d'une grave rébellion à notre égard a éveillé notre courroux. Nous, roi de France, nous devons d'écrire ces lignes afin de lui signifier nos sentiments qu'elle pourrait prétendre ignorer et de la guider dans l'expression de sa soumission.

« Madame,

« Notre douleur a été grande lorsqu'il y a de ceci quelques mois vous avez répondu par l'ingratitude et la désobéissance aux bienfaits dont nous nous étions plu à vous combler vous-même ainsi que les vôtres. Ayant reçu l'ordre de ne point quitter Paris vous avez passé outre. Et pourtant cet ordre n'était-il pas dicté par le désir de vous préserver – connaissant votre nature impulsive – contre vous-même et les actes inconsidérés que vous auriez pu être tentée d'accomplir ? Vous les avez accomplis, vous vous êtes lancée au-devant des dangers et des désillusions que nous souhaitions vous éviter, et vous en avez été sévèrement punie. L'appel désespéré que vous nous avez fait parvenir par le Supérieur des Pères de la Rédemption, le Révérend Père de Valombreuse, à son retour du Maroc nous avertit de la triste situation dans laquelle vos erreurs vous avaient jetée. Captive des Barbaresques, vous commenciez à prendre la mesure de vos égarements et avec l'inconscience habituelle des personnes de votre sexe vous vous tourniez vers le souverain que vous aviez bafoué pour lui réclamer secours.

« Par égard pour le grand nom que vous portez, et l'amitié qui nous a uni au maréchal du Plessis, par pitié pour vous enfin, qui n'en demeuriez pas moins une de nos sujettes bien-aimées, Nous n'avons pas voulu vous laisser porter tout le poids du châtiment en vous abandonnant à ces cruels barbares et nous avons répondu à votre appel.

« Vous voici aujourd'hui saine et sauve sur le sol de France. Nous nous en réjouissons.

« Il est juste cependant que vous fassiez à notre égard amende honorable.

« Nous aurions pu vous imposer, dans la solitude d'un cloître, quelque temps de réflexion nécessaire. La pensée des souffrances que vous aviez subies nous en a fait écarter l'idée. Nous avons préféré vous envoyer dans vos terres, sachant que le sol natal peut être le meilleur des conseillers. Vous n'y êtes pas en exil. Vous ne devez y demeurer que jusqu'au jour où, de par votre propre décision, vous prendrez le chemin de Versailles pour y faire votre soumission. En attendant ce jour – que nous souhaitons proche – un officier désigné par M. de Marillac, gouverneur de la Province, sera chargé de vous tenir en surveillance...

M. de Marillac s'interrompit, leva les veux et désignant le gros militaire :

– Je vous présente, madame, le capitaine Montadour, auquel j'ai cru devoir remettre l'honneur de votre garde.

Le capitaine était précisément en train d'essayer de passer d'un genou à l'autre, endolori par une posture dont sa bedonnante personne n'avait pas l'habitude. Il faillit tomber, se rattrapa de justesse et assura d'une voix de stentor qu'il était au service de la marquise du Plessis.

Il en fut pour ses frais. Angélique, toujours pelotonnée sous sa couverture, gardait les paupières closes et paraissait dormir.

M. de Marillac, héroïquement, poursuivit sa lecture :

– ... Nous exposerons ici en quels termes la soumission de Mme du Plessis-Bellière doit être accomplie. La turbulence des membres de sa famille, dont l'un est allé récemment jusqu'au crime de lèse-majesté, est trop connue pour que cette soumission ne revête pas un éclat propre à faire réfléchir les esprits que de déplorables exemples pourraient entraîner sur la pente de la rébellion.

« Mme du Plessis nous ayant offensé publiquement la réparation doit être publique.

« Elle se rendra à Versailles dans un carrosse aux houssines noires. Ce carrosse demeurera au-dehors des grilles et n'aura pas le droit de pénétrer dans la cour d'honneur.

« Mme du Plessis sera vêtue de couleurs sombres et modestement.

« En présence de toute la Cour elle devra se rendre au-devant du Roi, s'agenouiller devant lui, baiser sa main et renouveler son serment de femme-lige et de vassale.

« De plus, il lui sera demandé de faire don à la Couronne d'un de ses fiefs de Touraine. Les parchemins et contrats de cette cession devront être remis à Notre grand chambellan au cours de cette cérémonie, en signe d'hommage et d'amende honorable.

« Désormais Mme du Plessis-Bellière devra s'appliquer à servir son prince avec une fidélité que nous voulons sans ombres. Elle demeurera à Versailles, acceptera les titres et les honneurs que nous jugerons bon de lui accorder, ce qui sera plus pénible à son orgueil, nous le savons, que de ne recevoir nulle charge, elle remplira ces charges scrupuleusement, et, en bref, devra s'appliquer à servir le roi avec dévouement que ce soit dans son Royaume, à sa Cour...

– ... ou dans son lit, acheva Angélique.

M. de Marillac tressaillit. Depuis quelques instants il était persuadé de l'inanité de tels discours, adressés à une malheureuse qui gisait dans la demi-torpeur d'une maladie sans espoir.

L'interruption d'Angélique et le regard moqueur qui filtrait entre ses paupières lui prouvaient qu'elle avait fort bien écouté et qu'elle n'était pas aussi abattue qu'elle voulait le paraître. Les joues parcheminées du gouverneur rosirent, et il dit sèchement :

– Ceci n'est pas inscrit dans la missive de Sa Majesté.

– Oui, mais c'est sous-entendu, repartit doucement Angélique.

M. de Marillac se gratta la gorge et bredouilla un peu avant de retrouver le fil de sa lecture.

– ... à sa Cour ou en quelque lieu où il plaira à Sa Majesté de l'envoyer pour son service.

– Monsieur, ne pourriez-vous pas terminer, je suis lasse.

– Nous aussi, dit le gentilhomme, outré. Ne voyez-vous donc pas, madame, dans quelle position vous nous contraignez à vous donner lecture...

– Monsieur, je suis mourante.

Une expression méchante et doucereuse apparut sur le visage du grand seigneur.

– Je vous conseillerai de ne pas l'être trop longtemps, madame, car ne croyez pas que l'indulgence de Sa Majesté à votre égard sera éternelle. Et c'est là, en effet, l'avertissement sur lequel Elle termine sa missive. Sachez donc, madame, que le Roi dans sa bonté vous accorde plusieurs mois de réflexion avant de vous considérer à jamais comme une irréductible rebelle. Mais passé ce délai, il sera inflexible. Nous sommes en mai, madame, le Roi vous sait malade, meurtrie. Il est décidé à prendre patience, mais si dès les premiers jours d'octobre vous n'avez pas accompli auprès de lui la démarche qui vous est imposée pour obtenir votre pardon, il considérera votre abstention comme une déclaration de rébellion.

– Que se passera-t-il alors ?

M. de Marillac déplia à nouveau la lettre du souverain.

– Mme du Plessis sera alors arrêtée, conduite dans une forteresse ou-un couvent de notre choix. Les scellés seront posés sur ses demeures, ses châteaux, ses hôtels et ses terres vendus. Seul demeurera en fief et en possession d'héritage le château du Plessis et le domaine immédiat environnant, pour être remis à Charles-Henri du Plessis, fils du maréchal et notre filleul, dont nous assurerons désormais la tutelle.

– Et mon fils Florimond ? demanda Angélique, qui avait pâli.

– Il n'est pas mentionné ici.

Il y eut un silence, pendant lequel Angélique sentit peser sur elle les regards satisfaits de ces hommes qu'elle connaissait à peine, auxquels elle n'avait rien fait et qui pourtant se réjouissaient visiblement de sa défaite, tant est naturel à l'humain déchu le désir de voir abattre la beauté, et humilier ce qui ne veut pas ramper.