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— On va bientôt arriver au gué, promit-il.

Cela tournait au cauchemar. La pluie cessa et le sol se mit aussitôt à fumer… La piste se séparait en deux. John prit à droite un peu au hasard. Cent mètres plus loin, le sentier s’élargit et ils, aperçurent un ruisseau d’eau boueuse s’écoulant rapidement entre deux berges bordées de palétuviers. Le gué ! Une autre Range était arrêtée devant, juste au bord de l’eau.

— Shit ! jura John. On ne peut pas passer.

L’Américain parcourut encore quelques mètres et stoppa. De toute façon, l’autre véhicule obstruait la piste.

* * *

John Sanborn mit pied à terre. Impossible de faire demi-tour, le sentier était trop étroit. La chaleur humide lui tomba sur les épaules. Intrigué, il se demandait qui étaient les gens assez fous pour être venus se perdre dans ce coin. On ne chassait pas et il n’y avait pas le moindre village aux alentours. Quant à la contrebande, elle était essentiellement locale… Pataugeant dans la boue, il s’approcha de l’autre Range.

La portière du conducteur s’ouvrit et un homme sauta à terre. Un Malais en tenue kaki. L’Américain lui sourit.

— You’re stuck ?[4]

L’autre inclina la tête affirmativement. Dans le véhicule, John Sanborn aperçut trois autres hommes. Des Blancs. Celui qui était à côté du conducteur descendit et fit le tour du véhicule. John éprouva une vive surprise. Il le connaissait ! C’était Michael Hodges, le chef de la sécurité rapprochée du Sultan, un mercenaire britannique recruté par le patron local du MI 6[5], le superintendant Guy Hamilton. Massif, les yeux très bleus, avec des lèvres minces et un nez en bec d’aigle. Il s’était battu au Yémen du Nord et n’avait pas bonne réputation…

C’était ennuyeux s’il voyait la Chinoise… II en parlerait sûrement à son chef. Dissimulant sa contrariété, l’Américain lui tendit la main.

L’Anglais la prit avec un sourire un peu figé. Ses épaules étaient incroyablement larges.

John Sanborn sentit les doigts du mercenaire le serrer avec une force inhabituelle pour une simple poignée de main. Il gardait ses doigts prisonniers dans la sienne, comme le geste symbolique d’un politicien devant des photographes. Sans lâcher les doigts de l’Américain, il se baissa soudain.

Sa main gauche fila le long de sa botte, puis remonta et, quand il se redressa, il tenait le manche d’un poignard commando à la lame énorme.

— Hé !

John Sanborn voulut faire un pas en arrière, mais restait retenu par la poigne terrible du mercenaire. Comme dans un cauchemar, il vit celui-ci ramener le bras gauche en arrière.

Une fraction de seconde plus tard, le poignard partit à l’horizontale, droit sur son ventre. La lame s’enfonça juste sous le sternum, de près de vingt centimètres. Dans un geste futile de défense, John Sanborn essaya, de la main gauche, d’écarter le poignet du tueur. Mais Michael Hodges, d’un élan de tout son corps, propulsa le poignard de bas en haut, comme un boucher éventrant une carcasse de bœuf. Une douleur fulgurante foudroya l’Américain. Il sentit sa poitrine éclater et sa vue se brouilla. La pointe atteignit le cœur, et ce fut comme une décharge de cent mille volts.

Ses jambes se dérobèrent sous lui, mais il resta debout, piqué à la pointe de l’arme qui le tuait. Les jambes écartées, Michael Hodges tourna légèrement la lame de droite à gauche, afin d’achever de sectionner l’aorte puis la retira d’un geste sec.

John Sanborn s’effondra, secoué encore de quelques spasmes. Enjambant son corps, le tueur se dirigea alors vers la Range-Rover et ouvrit la portière droite. Peggy Mei-Ling pivotait déjà pour sortir. Michael Hodges l’aida poliment à mettre pied terre. La Chinoise posa tranquillement son vanity case sur le capot, en sortit un kleenex avec lequel et entreprit d’essuyer le mélange de sueur et de poussière qui recouvrait son visage. Son regard absent fixait le corps de John Sanborn, à quelques mètres comme le cadavre d’un rongeur écrasé par une voiture.

Le Malais et un autre Blanc fouillèrent rapidement le corps de John Sanborn puis le traînèrent vers la rivière. Un troisième suivait, tirant un cube de ciment d’où émergeait une chaîne terminée par une menotte. Ils la passèrent autour d’une des chevilles du mort, puis entreprirent de saucissonner le cadavre avec un gros fil de fer.

Peggy Mei-Ling travaillait dur à son raccord de maquillage, avec des grimaces presque comiques. La chaleur faisait couler le rimmel dès qu’elle l’appliquait.

Aussi eût-elle beaucoup de mal à se refaire des yeux comme elle aimait, ombrés de noir et soulignés de vert, ce qui les allongeait. Michael Hodges s’approcha.

— Nous partons, annonça-t-il.

Comme elle ne répondait pas, occupée à redessiner ses grosses lèvres au pinceau, il ajouta : Please. En appuyant exagérément sur le mot.

La Chinoise reprit sa place dans la Range. Le Malais grimpa à la place de John Sanborn, repartant en marche arrière. Cent mètres plus loin, il pouvait faire demi-tour. Michael Hodges était remonté au volant de la première Range-Rover. Dans la voiture qui reculait, Peggy regardait les deux hommes faire basculer le corps de John Sanborn dans la rivière dont l’eau marron l’engloutit aussitôt.

Chapitre II

— Nous commençons notre descente sur Bangkok, attachez vos ceintures et redressez vos sièges…

La voix suave de l’hôtesse fit émerger Malko de sa béatitude. Ayant dégusté le caviar et le homard servis après le décollage de Paris, il s’était endormi sans même regarder le film. Le vol Air France étant non-stop, contrairement aux cinq autres vols hebdomadaires sur la Thaïlande, il avait pu récupérer plus de dix heures, couché dans son siège à commande électrique de première classe aussi confortable qu’un lit. Même le petit déjeuner ne l’avait pas réveillé. Il regarda par le hublot les rizières d’un vert cru, sous le soleil brûlant. II aimait l’Asie. En Autriche, il faisait gris et froid. A Paris aussi. Ça commençait mieux que son voyage pour Cuba si tragiquement terminé[6].

Mais pour attraper l’Air France Paris-Bangkok sans escale du vendredi soir, il avait raté le briefing prévu par le chef de station de la CIA à Vienne. Tout ce qu’on lui avait dit, c’est que la Company avait un problème délicat à résoudre dans le Sultanat de Brunei, au nord-ouest de l’île de Bornéo. Au bout du monde…

Malko avait eu beau se creuser la tête, il ne voyait pas ce que la CIA pouvait fricoter avec l’homme le plus riche du monde, Hadj Hassanal Bolkiab Muizzaddin Waddaulah, le jeune Sultan de Brunei.

Les roues du 747 d’Air France touchèrent le sol. Ils venaient de se poser à Don Muang. Un homme massif l’attendait à la coupée en compagnie d’un Thaï qui lui arrivait à peine à la poitrine. Jerry Mulligan, le chef de station de la CIA à Bangkok, qui lui présenta un de ses homologues thaï. Un nom imprononçable. Ce dernier s’écarta discrètement. Mulligan prit Malko par le bras.

Avec son costume clair et son teint brique, il ressemblait à un personnage de Graham Greene. Plus britannique qu’américain.

— Vous avez fait bon voyage ?

— Excellent, fit Malko. Mais je ne suis pas encore arrivé. La suite risque d’être moins drôle.

— Royal Brunei, ce n’est pas Air France, approuva Jerry Mulligan, mais il y a pire et le vol ne dure que trois heures.

Ils passèrent les contrôles de police en trente secondes pour se retrouver dans le salon VIP d’Air France. Jerry Mulligan essuya son front, commanda une bière et sourit à Malko qui demanda un café noir avec beaucoup de sucre.

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4

Vous êtes embourbé ?

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5

Services spéciaux anglais.

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6

Visa pour Cuba. SAS n°93.