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ouvraient des yeux étonnés, ils cherchaient à comprendre.

Quand Ganimard les interrogea, ils ne se souvenaient de rien.

– Cependant, vous avez dû voir quelqu’un ?

– Non.

– Rappelez-vous ?

– Non, non.

– Et vous n’avez pas bu ?

Ils réfléchirent, et l’un d’eux répondit :

– Si, moi j’ai bu un peu d’eau.

– De l’eau de cette carafe ?

– Oui.

– Moi aussi, déclara le second.

Ganimard la sentit, la goûta. Elle n’avait aucun goût spécial, aucune odeur.

– Allons, fit-il, nous perdons notre temps. Ce n’est pas en cinq minutes que l’on résout les problèmes posés par Arsène Lupin. Mais, morbleu, je jure bien que je le repincerai. Il gagne la seconde manche. À moi la belle !

Le jour même, une plainte en vol qualifié était déposée par le baron Cahorn contre Arsène Lupin, détenu à la Santé !

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Cette plainte, le baron la regretta souvent quand il vit le Malaquis livré aux gendarmes, au procureur, au juge d’instruction, aux journalistes, à tous les curieux qui s’insinuent partout où ils ne devraient pas être.

L’affaire passionnait déjà l’opinion. Elle se produisait dans des conditions si particulières, le nom d’Arsène Lupin excitait à tel point les imaginations, que les histoires les plus fantaisistes remplissaient les colonnes des journaux et trouvaient créance auprès du public.

Mais la lettre initiale d’Arsène Lupin, que publia l’ Écho de France (et nul ne sut jamais qui en avait communiqué le texte), cette lettre où le baron Cahorn était effrontément prévenu de ce qui le menaçait, causa une émotion considérable. Aussitôt des explications fabuleuses furent proposées. On rappela l’existence des fameux souterrains. Et le Parquet, influencé, poussa ses recherches dans ce sens.

On fouilla le château du haut en bas. On questionna chacune des pierres. On étudia les boiseries et les cheminées, les cadres des glaces et les poutres des plafonds. À la lueur des torches on examina les caves immenses où les seigneurs du Malaquis entassaient jadis leurs munitions et leurs provisions. On sonda les entrailles du rocher. Ce fut vainement. On ne découvrit pas le moindre vestige de souterrain. Il n’existait point de passage secret.

Soit, répondait-on de tous côtés, mais des meubles et des tableaux ne s’évanouissent pas comme des fantômes. Cela s’en va par des portes et par des fenêtres, et les gens qui s’en emparent s’introduisent et s’en vont également par des portes et des fenêtres. Quels sont ces gens ? Comment se sont-ils introduits ?

Et comment s’en sont-ils allés ?

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Le parquet de Rouen, convaincu de son impuissance, sollici-ta le secours d’agents parisiens. M. Dudouis, le chef de la Sûreté, envoya ses meilleurs limiers de la brigade de fer. Lui-même fit un séjour de quarante-huit heures au Malaquis. Il ne réussit pas davantage.

C’est alors qu’il manda l’inspecteur Ganimard dont il avait eu si souvent l’occasion d’apprécier les services.

Ganimard écouta silencieusement les instructions de son supérieur, puis, hochant la tête, il prononça :

– Je crois que l’on fait fausse route en s’obstinant à fouiller le château. La solution est ailleurs.

– Et où donc ?

– Auprès d’Arsène Lupin.

– Auprès d’Arsène Lupin ! Supposer cela, c’est admettre son intervention.

– Je l’admets. Bien plus, je la considère comme certaine.

– Voyons, Ganimard, c’est absurde. Arsène Lupin est en prison.

– Arsène Lupin est en prison, soit. Il est surveillé, je vous l’accorde. Mais il aurait les fers aux pieds, les cordes aux poignets et un bâillon sur la bouche, que je ne changerais pas d’avis.

– Et pourquoi cette obstination ?

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– Parce que, seul, Arsène Lupin est de taille à combiner une machination de cette envergure, et à la combiner de telle façon qu’elle réussisse… comme elle a réussi.

– Des mots, Ganimard !

– Qui sont des réalités. Mais voilà, qu’on ne cherche pas de souterrain, de pierres tournant sur un pivot, et autres balivernes de ce calibre. Notre individu n’emploie pas des procédés aussi vieux jeu. Il est d’aujourd’hui, ou plutôt de demain.

– Et vous concluez ?

– Je conclus en vous demandant nettement l’autorisation de passer une heure avec lui.

– Dans sa cellule ?

– Oui. Au retour d’Amérique nous avons entretenu, pendant la traversée, d’excellents rapports, et j’ose dire qu’il a quelque sympathie pour celui qui a su l’arrêter. S’il peut me renseigner sans se compromettre, il n’hésitera pas à m’éviter un voyage inutile.

Il était un peu plus de midi lorsque Ganimard fut introduit dans la cellule d’Arsène Lupin. Celui-ci, étendu sur son lit, leva la tête et poussa un cri de joie.

– Ah ! ça, c’est une vraie surprise. Ce cher Ganimard, ici !

– Lui-même.

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– Je désirais bien des choses dans la retraite que j’ai choisie… mais aucune plus passionnément que de t’y recevoir.

– Trop aimable.

– Mais non, mais non, je professe pour toi la plus vive estime.

– J’en suis fier.

– Je l’ai toujours prétendu : Ganimard est notre meilleur détective. Il vaut presque – tu vois que je suis franc – il vaut presque Sherlock Holmes. Mais, en vérité, je suis désolé de n’avoir à t’offrir que cet escabeau. Et pas un rafraîchissement !

pas un verre de bière ! Excuse-moi, je suis là de passage.

Ganimard s’assit en souriant, et le prisonnier reprit, heureux de parler :

– Mon Dieu, que je suis content de reposer mes yeux sur la figure d’un honnête homme ! J’en ai assez de toutes ces faces d’espions et de mouchards qui passent dix fois par jour la revue de mes poches et de ma modeste cellule, pour s’assurer que je ne prépare pas une évasion. Fichtre, ce que le gouvernement tient à moi !…

– Il a raison.

– Mais non ! je serais si heureux qu’on me laissât vivre dans mon petit coin !

– Avec les rentes des autres.

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– N’est-ce pas ? Ce serait si simple ! Mais je bavarde, je dis des bêtises, et tu es peut-être pressé. Allons au fait, Ganimard !

Qu’est-ce qui me vaut l’honneur d’une visite ?

– L’affaire Cahorn, déclara Ganimard, sans détour.

– Halte-là ! une seconde… C’est que j’en ai tant, d’affaires !

Que je trouve d’abord dans mon cerveau le dossier de l’affaire Cahorn… Ah ! voilà, j’y suis. Affaire Cahorn, château du Malaquis, Seine-Inférieure… Deux Rubens, un Watteau, et quelques menus objets.

– Menus !

– Oh ! ma foi, tout cela est de médiocre importance. Il y a mieux. Mais il suffit que l’affaire t’intéresse… Parle donc, Ganimard.

– Dois-je t’expliquer où nous en sommes de l’instruction ?

– Inutile. J’ai lu les journaux de ce matin. Je me permettrai même de te dire que vous n’avancez pas vite.

– C’est précisément la raison pour laquelle je m’adresse à ton obligeance.