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Archibald pousse davantage la porte et aperçoit le lieutenant.

- Ah ! Martin ! Merci d'être venu aussi vite ! dit-il en lui serrant la main.

Puis il aperçoit une forme qui se débat dans les pâquerettes. Il rajuste ses lunettes car il lui semble improbable qu'une taupe puisse atteindre une taille aussi gigantesque. Lunettes ajustées et réflexion faite, il ne s'agit pas d'un animal mais d'un officier en vrac, dans une chemise à fleurs.

- C'est Simon, mon nouveau partenaire, faut pas lui en vouloir, il est encore tout jeune. Je lui apprends le métier ! explique Martin, tout gêné par cette situation.

- Ah ?! Et là, il apprend à monter les marches, c'est ça ?! lance le grand-père avec humour.

- C'est un peu ça ! soupire Martin.

Archibald lui tape sur l'épaule pour le réconforter.

- Le jour où il apprend à tirer, préviens-moi, j'en profiterai pour partir en vacances très loin ! lui chuchote à l'oreille le grand-père.

Martin n'a pas le cœur à rire, mais plutôt à pleurer quand il voit Simon à quatre pattes, tournant sur lui-même.

- Allez, Simon ! Un peu de dignité tout de même ! réclame son supérieur.

Mais Simon tourne en rond comme un cochon qui cherche des truffes.

- J'ai perdu mon badge ! bégaye-t-il, affolé des conséquences que pourrait avoir une telle perte.

- Allez viens, Martin ! Nous avons des choses très importantes à te dire ! dit Archibald en l'entraînant vers l'intérieur.

Le lieutenant avance à contrecœur. Il n'aime pas laisser ses troupes derrière lui.

- T'inquiète pas pour lui ! Il ne peut pas être très loin, son badge, il finira bien par le retrouver !

Martin acquiesce et se laisse entraîner vers le salon.

Pendant que le jeune officier est dans les pâquerettes, Rose est dans la limonade. Rose, c'est la mère d'Arthur. Ça lui va bien comme prénom, car elle porte toujours une petite robe à fleurs et sourit tout le temps, comme au premier jour du printemps. Elle ne risque pas de manquer d'eau la Rose, ça fait cinq minutes qu'elle a le doigt sous le robinet, comme s'il s'agissait d'une tige. Mais que fait-elle donc avec son doigt ainsi sous l'eau ?

Revenons un peu en arrière pour mieux comprendre la situation.

Rose est toujours très excitée à l'idée de recevoir du monde et dès qu'elle a aperçu Martin, elle lui a aussitôt proposé très courtoisement une limonade. Vu la chaleur de cette fin d'été, elle était à peu près sûre de son coup. Martin accepta bien volontiers. Rose se précipita alors dans la cuisine, ce qui déjà s'annonçait comme un mauvais présage quand on connaît sa maladresse. Elle voulut évidemment sortir en même temps tous les citrons du bac à légumes et finit par tous les lâcher sur le sol. Elle se cogna ensuite à tous les placards en voulant les récupérer.

C'est le problème de Rose, elle est toujours victime de son enthousiasme.

L'année dernière, elle rendait visite à sa pauvre tante Bernadette que la vieillesse empêchait de sortir. L'hiver était rude et Rose, toujours très serviable, s'était évidemment proposée pour lui faire ses courses. Au bout d'un mois, il n'y avait pas un objet dans la maison de Bernadette qui ne fût pas cassé, ce qui d'ailleurs n'était qu'un détail quand on le compare à la catastrophe principale. Rose avait mis le feu à la maison. Trois fois. C'est vrai qu'il faisait froid, mais cela ne méritait pas de faire cramer la maison. Ce fut la seule fois où on entendit cette pauvre Bernadette se plaindre de la chaleur.

- Il fait pas un peu chaud ? avait dit la vieille tante, en sueur, au milieu des flammes.

Evidemment, Rose avait ouvert la fenêtre toute grande et l'appel d'air avait attisé davantage le feu. La maison s'était consumée en moins d'une heure. Heureusement que la vieille Bernadette était aveugle et donc incapable de constater le désastre. De toute façon, même si elle avait pu voir, il n'y avait plus grand-chose à voir. Mais revenons à nos citrons.

Rose est dans la cuisine, un couteau à la main. Ça sent le film d'horreur. Pour la cinquième fois, elle cale le citron dans sa main et s'applique à poser le couteau dessus. C'est facile de savoir quand elle s'applique, Rose, car elle a toujours un petit bout de langue qui lui sort de la bouche. Le couteau, mal aiguisé, ne sait pas quoi faire sur cette peau de citron bien tendue qui n'a absolument pas envie de se faire trancher. Mais Rose est bien décidée. Elle a proposé de la limonade à tout le monde et c'est pas un citron qui va contrarier ses plans. Elle appuie un bon coup sur le couteau et une belle giclée lui arrive droit dans l'œil. Rose plisse les yeux et cherche à tâtons un chiffon. Ça y est, elle en tient un. C'est en tout cas ce qu'elle croit. En fait, c'est un bout de rideau qu'elle a coincé, cinq minutes auparavant, en refermant la fenêtre. Elle tire sur son soi-disant chiffon sans comprendre pourquoi ce dernier ne vient pas jusqu'à son visage. Comme Rose ne manque pas de sens pratique, elle pousse le tabouret et monte dessus pour atteindre le chiffon afin de s'essuyer. Pour ce faire, elle prend appui sur le robinet qui, évidemment, cède, n'étant pas vraiment conçu pour servir de béquille.

Un formidable jet d'eau traverse donc la pièce. C'est joli en soi, mais pas très pratique au milieu d'une cuisine. Rose s'essuie le visage, constate les dégâts avec horreur et se précipite sous l'évier pour récupérer un seau. Dans son empressement, elle bouscule quelques produits de nettoyage mal rebouchés qui ne demandaient qu'à sortir et se répandre sur le sol.

Pendant ce temps, Rose positionne son seau afin que le jet d'eau retombe directement dedans. C'est effectivement une bonne solution, mais seulement pour les quinze secondes à venir car il n'est pas nécessaire d'avoir fait Polytechnique pour comprendre que le seau va se remplir très rapidement.

Rose se met à tourner sur elle-même à la recherche d'une solution. Elle ouvre un placard, reste quelques secondes devant une boîte de tomates et en conclut que cela ne peut lui être d'aucune utilité. Elle fouille ensuite tous les placards. Ses gestes deviennent de plus en plus désordonnés et la véritable catastrophe arrive, comme une suite logique, une sorte d'évidence. Rose bouscule le mixeur qu'elle a oublié de débrancher. Le mixeur se fracasse par terre dans une gerbe d'étincelles qui crépitent et dansent sur le sol bien gluant et surtout bien inflammable. Les produits d'entretien prennent aussitôt feu et c'est une véritable mare de flammes qui se propage dans la cuisine. Rose tourne encore plus vite sur elle-même, mais cette fois-ci avec les mains sur la tête. Elle va être en retard pour sa limonade.

Et puis soudain un éclair de génie la traverse : Rose a enfin trouvé une idée pour vider son seau qui déborde déjà. Elle l'attrape et jette le contenu sur la nappe de feu qui s'éteint immédiatement. Puis elle repose son seau sous le geyser avec une certaine fierté. D'habitude, elle est toujours obligée d'appeler les pompiers, ce qui est un très mauvais calcul, car le temps qu'elle les prévienne et que ces braves volontaires arrivent sur place, il ne reste généralement plus rien à brûler, donc plus rien à éteindre. On comprend mieux sa fierté d'avoir, à elle toute seule, sauvé la cuisine de l'embrasement. Par contre, la cuisine n'est pas sauvée de l'inondation car, comme on aurait pu le prévoir, le seau est à nouveau plein, et Rose à nouveau perdue. Depuis l'école, elle a ce problème. Elle n'a jamais su résoudre ces équations où les vases se remplissent, communiquent, sont à moitié vides ou à moitié pleins. Pour elle, il y a le robinet et quand on le tourne, l'eau arrive.