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- Tout le reste c'est du chinois ! disait-elle fréquemment pour éviter les discussions.

Pas la peine non plus de compter sur elle si une voiture tombe en panne. D'ailleurs, avant qu'elle puisse jeter un œil sur le moteur, il faudrait qu'elle trouve le bouton pour ouvrir le capot, autant dire mission impossible. De toute façon, les voitures et leur fonctionnement restent un mystère pour Rose et elle n'a jamais osé demander à son mari où se trouve ce fameux moteur. En outre, jamais quand son mari ouvre le coffre pour qu'elle puisse y mettre les bagages, elle n'en a vu trace. Elle ne comprend pas davantage pourquoi il y a, dans ce même coffre, une cinquième roue qui ne sert à rien puisqu'elle ne tourne pas.

Mais toutes ces questions sans réponse peuvent bien attendre, car le seau est maintenant plein et il faut trouver une solution immédiatement ou bien crier au secours. Vu la façon dont Rose est en train de remplir ses poumons d'air, il semble qu'elle ait retenu la deuxième proposition.

Archibald en fait les frais car Rose lui hurle dans les tympans. Rose ne l'a pas fait exprès, mais elle crie toujours les yeux fermés, surtout quand c'est « Au secours ! ». Elle n'a donc pas vu Archibald entrer dans la cuisine.

- Je sais que je suis un peu vieux, mais je ne suis pas encore totalement sourd ! répond le vieil homme en se frottant l'oreille.

Rose balbutie des excuses et essaie de mettre dans l'ordre quelques mots qui pourraient expliquer la situation. Mais Archibald n'a pas besoin d'explication, la situation est assez claire comme ça. Il se précipite au-dessus du lavabo, tourne la manette générale qui se trouve sur le tuyau d'arrivée d'eau et le geyser s'arrête presque aussitôt, faute de pression. Il récupère le bec du robinet au fond de l'évier et le revisse sur son socle. Ensuite il attrape le seau et le vide dans l'évier. Il remet l'eau en route et vérifie le débit en ouvrant le robinet. L'eau coule gentiment. Archibald a réglé le problème en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire. Rose en est bouche bée. Son père l'a toujours impressionnée pour ça. Comment fait-il pour contrôler ainsi ses mains ? Rose regarde les siennes et se demande pourquoi elles ne l'écoutent qu'une fois sur deux.

Marguerite entre dans la cuisine à son tour. Tout ce remue- ménage l'a réveillée en pleine sieste. C'est d'ailleurs ce qui l'a mise de mauvaise humeur, vu qu'elle avait mis un temps fou à trouver le sommeil. La grand-mère regarde le sol à la fois cramé et inondé et dévisage sa fille. Ce n'est pas le chaos qui la perturbe, c'est plutôt d'imaginer comment ce petit bout de femme, si fragile en apparence, peut mettre le feu à une cuisine et l'inonder en même temps.

Mais le mystère s'épaissit davantage quand Rose déclare :

- Je... je voulais faire de la limonade !

Marguerite, perplexe, la regarde, comme un canard devant une trompette. Rose est un mystère, à classer directement entre celui des pyramides et celui de la chambre jaune.

La grand-mère soupire et se contente d'ouvrir le réfrigérateur. Elle saisit la carafe en cristal pleine de bonne limonade et la montre à Rose.

- Si tu voulais de la limonade, il suffisait d'ouvrir le frigo ! lance Marguerite avec un soupçon de reproche dans la voix. Ça t'aurait au moins évité de te couper !

- De me couper ? répète Rose, qui ne comprend pas l'allusion.

Elle regarde alors sa robe et s'aperçoit qu'une petite fleur rouge a effectivement fait son apparition au milieu des marguerites. Rose regarde son doigt, légèrement coupé à son extrémité, probablement pendant l'opération « citron ».

À la vue du sang, Rose se tétanise. Sa bouche s'ouvre toute grande, ses yeux se révulsent et ses jambes la lâchent. Elle s'écroule sur le sol, comme une éponge jetée sur le ring. Comme quoi, couper un citron peut faire tomber dans les pommes.

Rose a maintenant son doigt sous le robinet, pour soulager la douleur et désinfecter la plaie. La cuisine est nickel. Marguerite a joué la fée du logis et a tout nettoyé en un instant. Rose soupire, comme un vieux chien qui s'ennuie.

- Et dire que je ne sais même pas faire de la limonade ! murmure-t-elle avec tristesse.

La limonade de Marguerite a fait un tabac et la carafe est presque vide. Martin s'éponge un peu le front à l'aide de son mouchoir, et repose son verre.

- Vraiment très bonne ! dit-il en souriant à la grand-mère, qui apprécie toujours les petits compliments.

Armand, lui, a encore le visage de quelqu'un qui a vu la mort de près. Sa main est crispée autour de son verre et ses yeux perdus dedans.

- Bois une gorgée, mon garçon, ça va te faire du bien ! dit gentiment Archibald en lui soulevant le bras, afin de l'aider à porter le verre jusqu'à sa bouche.

Mais Armand est tétanisé, même de l'intérieur, et il s'étrangle à la première gorgée. Archibald lui tapote le dos, mais rien n'y fait. Le grand-père est obligé de se lever et de taper un grand coup. Tellement fort qu'il lui fait sauter un plombage. Le bout de métal gicle de la bouche d'Armand et atterrit dans le verre de Martin, médusé.

Armand refait surface et ne réalise pas encore qu'il lui manque un plombage. Martin lui dirait bien qu'il l'a déjà retrouvé, mais une annonce de ce genre est toujours délicate à faire en public. En plus, personne n'a rien vu et Martin est le seul témoin.

- Encore un peu de limonade ? propose gentiment Marguerite, pour répondre au compliment.

L'officier est dans l'embarras. Noyer le plombage dans la limonade n'est pas une bonne idée, mais vexer Marguerite juste après lui avoir adressé un compliment n'en est pas une non plus. Martin décide de sauver le plombage.

- Non, merci ! dit-il, le plus poliment du monde.

En vérité, pas question pour lui de boire quoi que ce soit dans un verre où traîne un plombage mal lavé ! Marguerite lui sourit et verse quand même le reste de la limonade dans son verre. Le policier est tétanisé et ne sait pas comment l'arrêter, ce qui est un comble pour un représentant de la loi.

- Vous êtes trop poli, Martin ! Vous avez peur qu'il n'en reste plus pour les autres, c'est ça ?!

- C'est... c'est ça ! balbutie le pauvre homme, terrifié de voir son verre se remplir.

- Ne vous inquiétez pas ! Finissez celle-là. Je vais en faire encore ! annonce la grand-mère, déjà en route pour la cuisine.

Martin observe à la dérobée le fond du verre et aperçoit le plombage qui ricane.

- Santé ! lance Archibald en levant son verre, prêt à trinquer.

Martin sue de plus belle. Il lève son verre et trinque fébrilement. Archibald s'envoie une bonne goulée et lâche un grand soupir de satisfaction.

- C'est vrai qu'elle est bonne ! En plus c'est plein de vitamines à l'intérieur. Allez-y ! C'est très bon pour la santé !

Martin aimerait être un lapin pour pouvoir disparaître au fond du chapeau d'un magicien. Il lève son verre en souriant et reste ainsi en suspens quelques instants, en attendant qu'une idée lui vienne. Mais l'idée ne vient pas et Archibald le regarde avec enthousiasme. Le policier se sent coincé, ce qui est plutôt rare puisque, par définition, c'est plutôt lui qui coince les autres. Martin approche le verre de sa bouche et masque son dégoût derrière un sourire crispé. Il trempe à peine ses lèvres dans la boisson et aussitôt, comme s'il avait bu jusqu'à plus soif, il déclare, la gorge un peu nouée :