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- Elle est vraiment bonne !

- Et c'est le dernier verre qui est le meilleur parce qu'il y a tout le dépôt au fond ! s'exclame Archibald.

Martin est au bord de la nausée. Armand se penche vers le policier et ouvre un peu plus ses yeux globuleux.

- J'ai vu le diable ! chuchote Armand, le visage fiévreux.

Le lieutenant de police marque une pause. Il ne peut s'empêcher de penser qu'on aurait plutôt dû appeler un docteur qu'un policier.

- Et... comment était-il ce diable ? demande le lieutenant en s'apprêtant à noter ces élucubrations sur son petit carnet.

Armand lève un bras.

- Trois mètres de haut et un drôle de chapeau, avec un air bizarre et pas très rigolo ! répond Armand, comme s'il récitait un poème de douze pieds.

- Vous êtes sûr que vous n'avez bu que de l'eau ? enchaîne Martin pour compléter le couplet.

Armand ne relève pas. Rien ne semble le toucher au point où il en est.

- Il avait un visage horrible avec des trous partout. Des morceaux de peau avaient même disparu. Son nez aussi. Il avait un bras énorme, comme une pince et l'autre était tout petit, presque atrophié.

Le portrait-robot ne s'annonce pas facile.

- Quelle race ? Blanc, noir, jaune ? interroge le policier.

- Vert ! Avec des reflets bleus ! répond tranquillement Armand.

Le policier est un peu perdu, hésitant entre l'envie de rire et celle de s'énerver.

Ce problème n'est décidément pas le sien, mais bien celui de l'asile Sainte-Lucile qu'il ne va pas manquer d'appeler dès son retour au commissariat. L'officier fait semblant de relire toutes ses notes.

- Je crois que j'ai tout ce qu'il faut, dit-il en se levant. Je vais faire mon rapport et... on vous tiendra au courant.

Armand vient lui prendre le bras.

- Faites attention à vous, monsieur l'agent, je vous en supplie !

Le policier essaye de sourire, mais l'avertissement d'Armand lui fait froid dans le dos. Cet homme a l'air tellement convaincu de ce qu'il a vu.

Le jeune Simon déboule dans le salon, tout en sueur, et s'approche de l'oreille de son supérieur.

- Chef, j'ai pas retrouvé mon badge !

- Un problème à la fois ! fait le lieutenant, un peu agacé par toute cette histoire. On va déjà essayer de localiser le diable et après on s'occupera de votre badge.

Il salue rapidement Marguerite et se dirige vers la porte, escorté par Archibald. Le jeune policier, tout en nage, regarde le verre de limonade abandonné par son chef avec une certaine envie.

- Allez-y, il n'y a pas touché ! dit Marguerite, trop contente de voir que sa limonade est tant convoitée.

- Merci, madame ! répond le jeune homme en attrapant le verre.

Il boit presque tout d'une traite et fait la grimace au moment où le plombage d'Armand lui reste en travers du gosier. Le jeune homme devient tout rouge, ce qui n'est pas normal quand on vient d'avaler une limonade. Le jaune serait plus approprié, mais là, il est définitivement rouge. Il ne va pas tarder à virer au bleu si Marguerite n'intervient pas, car le jeune homme se tient la gorge et n'arrive plus du tout à respirer. La grand-mère voudrait lui taper dans le dos, mais l'officier ne tient pas en place et bouge comme un asticot. Marguerite attend le moment propice et saisit l'animal au vol. Elle lui balance une grande claque dans le dos. Simon crache aussitôt le plombage qui traverse toute la pièce.

Le policier reprend ses esprits.

- Merci, madame. Je... je suis vraiment confus !

- C'est rien, c'est rien ! répond Marguerite en le poussant vers l'extérieur.

Martin a regagné sa grosse voiture de police. Il se tourne vers Archibald.

- Je pense que tu devrais amener ton gendre en ville ! dit le policier.

- Tu as peut-être raison. L'air de la campagne ne lui réussit pas vraiment ! répond Archibald.

-Je ne parlais pas de la ville pour y faire un tour, je parlais de la ville pour aller voir un docteur, à l'hôpital ! s'énerve le policier.

- T'inquiète pas. Ce diable dont il parle, je l'ai connu quand j'étais petit. Je vais le retrouver et lui parler. Tout rentrera dans l'ordre !

Le policier en reste muet. Qu'a-t-il bien pu arriver à cette famille pour qu'ils deviennent tous fous ? se demande-t-il. Mais comme il n'a pas la réponse, il préfère monter dans sa voiture.

- Je repasserai demain, voir si tout va bien ! fait le policier, juste par politesse.

Son assistant sort de la maison en courant et se vautre en ratant les marches. Il n'a pas réalisé que si les marches montent à l'aller, il y a de fortes chances qu'elles descendent au retour. Le jeune homme se relève, bredouille encore une fois quelques excuses et fonce à la voiture. Il ouvre la porte et s'assoit d'une traite, dans un nuage de poussière. Il est allé tellement vite pour ne pas faire attendre son chef, qu'il en a oublié de s'épousseter. Martin le regarde et se contente de pousser un profond soupir en s'essuyant les yeux.

La voiture démarre en trombe et le lieutenant quitte avec soulagement cette maison de fous.

Chapitre 4

Tout le peuple minimoy s'est réuni sur la grande place. Les gradins sont pleins et l'on attend avec anxiété l'arrivée du roi. Sélénia est déjà à côté de l'épée royale, prisonnière de la pierre, et en tapote nerveusement le pommeau.

- Chaque seconde perdue, c'est des heures gagnées pour M le maudit ! peste la petite princesse, toujours aussi impatiente.

- Quand tu seras reine, tu pourras toujours changer le protocole, si ça te chante ! réplique Bétamèche, toujours aussi espiègle.

- Ça c'est sûr ! C'est même la première mesure que je prendrai ! On perd un temps fou avec ces protocoles ! A la dernière fête de la sélénielle, le temps que le rituel soit respecté et le discours terminé, toutes les fleurs avaient fané ! explique Sélénia, encore scandalisée par cette mauvaise aventure.

- C'est vrai, c'est un peu long, concède Arthur. Il n'y a pas des cas d'extrême urgence où le protocole pourrait être abrégé ?

- Si, bien sûr ! Mais pour un protocole allégé, il faut passer devant la commission des sages qui se tient tous les quatre pétales, déclare Bétamèche. Elle donne alors un avis qui, s'il est favorable, permet aux dignitaires de voter au lever du soleil.

- Pourquoi sont-ils obligés d'attendre le lever du soleil pour voter ? interroge Arthur.

- Parce que la nuit porte conseil, répond naturellement le petit prince. C'est écrit à la page deux cent deux du grand livre.

- Demander un protocole simplifié prend deux fois plus de temps que de laisser le protocole se dérouler normalement, ajoute Sélénia qui commence à bouillir.

Mais la foule se lève, car les portes du palais s'ouvrent. Les gardes royaux entrent les premiers, d'un pas lent et mesuré. Ils sont suivis par les porteurs de lumière, indispensables à tout protocole. Ils permettent effectivement d'éclaircir les sujets les plus sombres et surtout d'éclairer les marches afin que le souverain ne s'étale pas lamentablement sur la place du village. Miro, la petite taupe, vient à leur suite. Il est la mémoire du village, le savoir des ancêtres. Sans lui, les Minimoys seraient perdus, comme une pendule sans sa petite aiguille. Le roi s'avance enfin, d'un pas mesuré, comme le lui imposent les bons usages et la tradition. C'est vrai que tout ça est un peu lent, mais cela nous laisse, pour une fois, le loisir de bien observer le souverain dans son habit officiel.

Tout d'abord, il paraît excessivement grand par rapport aux autres. Il n'est pas loin du centimètre, ce qui est gigantesque quand on sait que la moyenne nationale chez les Minimoys frise la barre des deux millimètres.

Mais le roi ne s'est pas spécialement gavé de soupe à la sélénielle quand il était petit, il est tout simplement assis sur son fidèle Palmito, un malbak des terres du Sud. Le roi avait sauvé son père de la mort, il y a maintenant fort longtemps. Mais peut-être est-il intéressant d'arrêter un instant cette histoire pour vous en raconter une autre. Celle de la rencontre du malba-mogoth et du souverain qui lui sauva la vie. Cette histoire magnifique est admirablement décrite à la page cent du grand livre minimoy, mais comme il y a peu de chances que vous puissiez feuilleter l'ouvrage dans les jours prochains, je vais vous en résumer l'essentiel.