Выбрать главу

Je regarde la servante qui s’éloigne en trottinant, les jambes serrées.

— Hé ! gosse ! l’interpelle Béru, quand tu t’s’ras décamoté le fion, t’amèn’ras une serpillière.

La clientèle s’est remise à manger.

Froid.

Le taulier va de table en table recueillir le bénéfice de ce spectacle incourant que constitue un coït perpétré avec fougue et simplicité devant une assistance non préparée.

— C’est les choses de la vie, fait-il. Le petit garçon n’a pas eu peur, là ?

Le couple qu’il interpelle répond que le marmot ne s’est rendu compte de rien, demande s’il y a des chambres disponibles et s’il serait possible de faire garder l’enfant une petite heure.

Bérurier réclame une nouvelle bouteille. Sa chère camarade d’équipée lui masse la membrane à travers son futiau en lui gazouillant comme quoi c’était superbe et qu’elle s’en ferait volontiers glisser une après le caoua. Béru répond casse la tienne, il est à dispose.

— Dix morts ! réitère Pinuchet, inexorablement professionnel.

— Oui, amertumé-je, ce qui revient à dire que, depuis mon arrivée, la mise a été doublée.

Le Gravos demande ce qu’on va faire de sa passagère clandestine. Il convient que sa bagnole n’est pas très fraîche, mais de là à servir de cercueil, tu permets !

— Tu vas aller déposer le corps dans un coin tranquille, décidé-je, assez loin d’ici de préférence, il y a suffisamment de viande froide comme ça dans le secteur et nos bons gendarmes ne savent plus où donner de la giberne. Quant à Pinaud et Jérémie, ils vont se rendre dare-dare en Italie enquêter sur la vie privée d’Aldo Morituri. Un gonzier qui se pend à la suite d’un coup de turlu ne devait pas avoir une existence très clean ; je pressens des sacs de nœuds là-dessous.

Mes chers compagnons d’épopée opinent, soumis.

— Prends bien garde à toi, Antoine, recommande Pinaud ; n’oublie pas qu’on a dynamité ton lit. Le fait que tu aies échappé à cet attentat ne te met pas à l’abri des prochains, car il y en aura d’autres, tu le comprends bien !

— Fais-toi pas d’mouron, l’Ancêtre, j’sus là ! le réconforte Béru. Doré d’l’avant, on couch’ra dans sa chamb, moi et Violette. Pas vrai, Violetta ?

La rousse m’envisage d’un regard cloaqueux.

— Avec plaisir, déclare-t-elle, sincère.

Retour à l’institut, je me mets en quête de Marinette Sogrenut, la secrétaire d’Alexis, et je la trouve dans la grande salle des conférences que l’on est en train d’aménager en salle de bal pour demain. C’est elle qui surveille les opérations. Le charpentier du pays aménage une estrade pour l’orchestre. Un technicien radio prépare la sono. Des garçons de peine tendent les murs de draperies colorées tandis que d’autres apportent des plantes vertes et des tréteaux pour dresser le buffet.

Cette atmosphère de kermesse nous change un peu de l’ambiance morbide dans laquelle s’enlisait l’établissement.

En me voyant débouler, la dodue dame s’épanouit tranche de pastèque et vient à moi en tangotant des miches.

— Vous me cherchez ? espère-t-elle.

Je réponds qu’oui et ça lui indigne la ménopause démarrante.

— Vous voulez que nous passions dans le petit bureau d’à côté ? Il ferme à clé.

— Volontiers, fais-je, mais pour l’instant, notre entretien ne sera que professionnel, hélas.

Elle a un sourire dubitatif car elle compte sur la féerie de l’instant pour me détourner du devoir.

Nous voici donc dans une minuscule pièce de dix mètres carrés, meublée d’un bureau, d’un classeur métallique et de deux chaises.

Prudent, je la face à face.

— Ma chère amie…, commencé-je.

Elle glousse :

— Appelle-moi ta chose, appelle-moi ta chérie, grand fou !

Docile, je retourne à la casse départ, comme disait un vieil imprimeur[9] de mes amis.

— Ma chère chose et amie, reprends-je, j’aimerais que vous me parlassiez de la dame Gabot.

— Le bruit court qu’elle est morte ? s’alarme-t-elle.

— Exact.

— Crime, accident, suicide ?

— Vous oubliez mort naturelle ; les femmes aussi ont droit à la crise cardiaque parfois. De toute manière, le point sera éclairci. J’aimerais que vous me disiez qui Mme Gabot fréquentait particulièrement à l’institut. Dans ces grands établissements où la main-d’œuvre est nombreuse, des amitiés se nouent, parfois des liaisons. Votre position vous permet de coiffer tout cela, ma douce Marinette.

Elle se confectionne des bajoues simplement en baissant la tête.

— Pourquoi ne me tutoies-tu pas, après ce qui s’est passé entre nous, merveilleux fou ? râle l’énervée du moustachu.

— Ce ne serait pas prudent, nous risquerions de nous trahir, expliqué-je.

— Tu éprouves quelque chose pour moi, au moins ?

— Indiscutablement, garantis-je.

— De fort ?

— D’intense !

— Quand nous reverrons-nous ?

— Et nous reverrons-nous ? ô maison de mon père, ô ma maison que j’aime ! déclamé-je, en hommage à Péguy et à Jeanne d’Arc réunis.

Ça ne fait pas son blaud, Marinette. La poésie, elle se la bourre dans le frigoulet.

— Caresse-moi ! supplie-t-elle.

— Ce serait d’une folle imprudence.

— J’ai fermé à clé !

— Il ne faut pas. Si quelqu’un veut entrer et s’aperçoit que nous sommes barricadés…

Je me lève pour débonder la carouble. Elle éplore :

— Méchant !

— Il y a un temps pour tout, ton beau cul ne perd rien pour attendre ! jeté-je du lest.

Elle sourit :

— Ce soir, chez moi ? Mon mari fait partie de l’harmonie et il répète.

— J’irai ! menté-je.

— Rue de l’Eglise, au 8 !

— C’est enregistré, me frappé-je le front.

— Je préparerai du café fort.

— Jamais le soir.

— J’ai une culotte noire !

— Bonne nouvelle.

— Fendue !

— Le diable en soit loué !

— Je la mettrai !

— J’y compte !

— J’ai aussi un vibromasseur !

Je commence à bouillir à 90 degrés, comme l’angle droit, je dis puis toujours, vu qu’il n’y a que l’eau froide qui puisse bouillir à cent degrés.

— Ecoute, salope chérie, tu me mets au parfum pour la dame Gabot, sinon tu seras privée de bite au dessert !

Elle rit.

— Tu veux savoir quoi, au juste ?

— Je te le répète : ses amitiés ici, voire ses liaisons si elle en avait.

Et l’autre, le regard salingue.

— Elle en avait une, oui ! Ça t’étonne, hein, moche comme elle était ?

— Rien ne m’étonne en la matière. Qui ?

— Karim Karabi.

— Un Arabe ?

— De Tunisie. Il s’occupe de l’entretien. Et, tu vas voir le plus beau : il est jeune ! Ça ne l’empêche pas de se taper la Gabot !

— Il est jeune, mais il est seul ? supposé-je. La femme au pays avec les gosses ? Il envoie sa paie. Mieux vaut enfiler la mère Gabot que ses copains de chambrée. Leur aventure était connue ?

— De tout le monde. C’est lui que j’ai chargé de raccompagner la Gabot chez elle, après sa crise de nerfs, suite au drame de l’acide.

— Il a une tire ?

— Non, mais il pilote une fourgonnette de la maison.

— Il travaille, aujourd’hui ?

— Il est tout à côté, dans la salle de bal, fait Marinette.

— Dis-lui de venir et laisse-nous.

— Tu me rendras visite, ce soir ?

— Promis.

— Jure-le !

вернуться

9

Astuce compréhensible seulement pour ceux qui connaissent les milieux de l’imprimerie.