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Tout ce trèpe amphibie se meut à la va-comme-je-crève. Appliqué, tenace. Ils moribondent en couronne. Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés (ils trempent dans des verres d’eau bénite sur leur table de chevet). C’est salement mélanco, ces croûtons qui font trempette. Vieux silures sans mémoire qui court-bouillonnent, les dentiers serrés, puisant dans une énergie suprême les gestes augustes du nageur.

J’avise mon pote Alexis en converse au bord de l’eau avec une femme ruisselante. La gouvernante ? Plutôt pas mal, la dame ! Quarante carats, grande, silhouette agréable. Elle est brune de peau, ses cheveux sombres descendent jusqu’à ses épaules. Ils doivent friser un peu quand ils sont secs.

Bien que me trouvant à une certaine distance, je crois pouvoir affirmer qu’elle a les yeux verts. Dame de compagnie, de bonne compagnie, comme tu le vois. La signora Morituri ne se faisait pas faire la lecture et découper ses entrecôtes par une gorgone, duègne ou carabosse.

Alexis parle à mi-voix. Sa terlocuteuse l’écoute en hochant le chef. Et puis tous deux se cassent par un couloir. Ma pomme, désœuvré, je fais le tour de la piscaille, regardant attentivement le sol. Mais je n’aperçois pas ce que j’espérais. Alors, bon, très bien, je regagne la cabine du meurtre.

Elle est ruisselante d’eau et vide, le gars Hector ayant évacué mémère comme il fut dit. Ma pomme, je pose mes godasses à semelle de bois, qui donnent une démarche si harmonieuse à ceux qui les chaussent, et grimpe sur la table d’enveloppement. Cette manœuvre toute simple me permet d’accéder à la tabatière qui fournit l’aération du local. On peut en soulever le châssis à l’aide d’une tringle graduée. Pour l’heure celui-ci est complètement rabattu. Je le remonte au maximum et le renverse contre la pente du toit. Ma tronche hors de la tabatière, j’examine la verrière.

Faut que je vais te révéler une chose. Naguère, en ressortant, mon regard a accroché un élément suspect, à savoir un peu de boue verte « sur » le verre extérieur. Alors moi, sans avoir besoin d’être flic émérite, j’en ai conclu spontanément que l’assassin de la vieille dame est ressorti par là. Entré, peut-être pas, car mémé aurait gueulé aux petits pois en voyant surgir quelqu’un par la tabatière, fût-ce un employé de l’institut ; mais sorti, ça, recta !

Je me hisse à mon tour. S’agit de me mouvoir prudemment pour ne pas passer une guibolle par une vitre. Note que ces dernières sont épaisses, il s’agit presque de briques transparentes et seul le verre de la tabatière est normal. Les traces de boue verte souillent le toit jusqu’à l’aplomb d’une courette où s’exhalent les bouches d’aération de différents appareils servant à la climatisation intérieure. Nulle fenêtre. Juste une ouverture, en l’occurrence une porte de fer.

Je suis le périple du meurtrier et saute dans la cour cimentée, ce qui ne constitue pas un exploit puisque le bord du toit la surplombe d’à peine trois mètres. La porte de fer est pourvue d’une manette fixe, en acier, surmontée d’une serrure. Je tire et ça s’ouvre.

Me voici dans une chaufferie carrelée, avec plein d’autoclaves écumants. Ça ronronne, ça fumaille, ça trépide… Il y règne une température de sauna. J’avise plusieurs grandes mannes d’osier emplies de linges sales. Sur l’une d’elles se trouve une blouse verte maculée de boue marine. L’assassin avait préparé sa fuite. En passant par cette chaufferie-buanderie, il s’est débarrassé de sa blouse « de travail ».

Je quitte le local par un couloir desservant d’autres lieux fonctionnels. J’avise une dame lingère en train de chanter le grand air de Carmen, comme quoi l’amour est enfant de bohème qui n’a jamais jamais connu de loi ; que si tu ne m’aimes pas, je t’aime, mais si je t’aime prend gardatoi !

Elle a largement doublé le cap de la cinquantaine et vogue en direction de la retraite qui lui permettra d’aller planter des hortensias dans la petite maison de Goménolé qu’elle a héritée de sa chère maman dont l’époux a péri en mer, comme un con, une nuit de gros temps.

— Vous possédez une très belle voix, la complimenté-je-t-il. Vous avez fait le Conservatoire ?

Elle n’a fait que la Conserverie de Quiberon, là qu’on trouve les meilleurs maquereaux au vin blanc de tout le Morbihan.

— Vous cherchez quelqu’un ou bien vous vous êtes perdu ? s’inquiète la cantatrice chauvine. Ici, c’est réservé au service.

— Je cherche quelqu’un, résolutionné-je. Quelqu’un qui est venu ici il y a quarante minutes environ. Vous avez sûrement dû l’apercevoir ?

— En dehors d’Emile, j’ai vu personne.

— Qui est Emile ?

— Le garçon de peine. Il s’occupe de charrier de linge.

Que, sur ces entrefesses, voilà un petit Breton brun au regard clair et con, front bas, buté, juste vêtu d’un jean et d’un T-shirt blanc à manches courtes, avec une exquise goélette tatouée sur l’avant-bras droit et un cœur saignant sur le gauche.

— Quand on cause du loup (de mer) on voit son ombre, dit l’interprète de Carmen.

Le survenant coltine, à dos, un énorme sac de linge. Il me file une œillée teignarde. L’air de se demander qui je suis et ce que je fous en ces lieux.

— Mande pardon, monsieur Emile, l’abordé-je avec beaucoup de civilité, avez-vous rencontré tout à l’heure dans la buanderie quelqu’un d’étranger au service ?

— Non ! il répond.

Et il va se débâter dans le local d’où je sors.

Moi, ça ne fait pas mon beurre (breton). Je tiens une piste et je voudrais lui faire un brin de conduite.

— Pas bavard, votre collègue, dis-je à la diva.

— Parlez-moi z’en pas. Pour lui arracher dix paroles, à çui-là ! C’est un vieux garçon.

Un vieux garçon, certes, mais un meurtrier ? Moi, franchement, je l’imagine pas ainsi, le trucideur de signoras. Qu’il défonce la frite d’un mataf dans un estaminet, un soir où le calva a soufflé en rafales dans son gosier, Emile, j’admets volontiers. Mais tout ce circus me semble hors de ses possibilités. C’est un fruste, un cabochard ; pas du tout le genre de gars à qui tu proposes un « contrat » pareil !

Pas découragé, je retourne sur mes pas. Il est en train de vider son sac dans une manne (qui n’a rien de céleste).

— Cette porte, fais-je, en lui montrant la lourde de fer, elle reste ouverte en permanence ?

Il grommelle :

— Faut bien : depuis deux jours, la clé a disparu…

— Où peut-elle être ?

Il hausse les épaules.

Je lui montre la blouse qui couronne le chargement d’une des corbeilles d’osier.

— Vous l’avez apportée cet après-midi, cette blouse ?

Là, il tique.

— Non. Ici on ne traite pas le linge du personnel.

— Car c’est une blouse appartenant au personnel ?

— Le personnel, c’est vert ou blanc, les clients c’est orangé, comme vous !

— En ce cas, comment a-t-elle échoué ici ?

— Je sais pas.

— Vous êtes bien certain de n’avoir rencontré personne dans ce secteur.