Il dort profondément, le Monstre. La trique lui est à ce point familière qu’il est chiche de balancer son sirop de betterave sans seulement se réveiller.
Ces dévergondées flattent le plantigrade qui, debout sur ses roustons arrière, continue ses grâces balourdes.
A la longue, la petite serveuse finit par enjamber mon pote et, à califourchon, organise une partie de cache-cache entre sa boîte à ouvrage et la berdouillette du Phénoménal.
Avec ce trio, c’est tous les jours dimanche, décidément ! Ils sont inépuisables, inextinguibles et d’une vaillance en comparaison de laquelle, celle de Duguesclin n’était qu’une mièvrerie d’Incroyable.
Je laisse se développer les délicatesses. Violette y apporte une participation plus réservée, se contentant de stimuler l’invitée de la nuit par de charmantes agaceries mammaires évoquant les libertinages du dix-huitième siècle. Comme je l’avais subodoré, Alexandre-Benoît va à dame sans avoir retenu sa place et Violette lui fait le pare-brise en détail, ce qui est un comble pour une contractuelle, non ?
A présent, ces demoiselles, provisoirement calmées, parlent de prendre leur petit déjeuner. Je les conjure de me commander une omelette au jambon, du fromage et un grand pot de caoua.
Au moment du service, je file me planquer dans la salle de bains. J’ai parfaitement récupéré et me sens dans une forme décisive. Le printemps chante en moi et je sais que c’est aujourd’hui que tout va se dénouer. Ma déconvenue relative à la félonie de Lucette se dissipe déjà, car je suis un homme qui récupère rapidement. J’ai fait preuve, ces jours passés, de longanimité, et j’en suis récompensé par cette vague d’optimisme déferlante qui m’emplit de tonus et d’une impatience de bon augure.
Enfin réveillé, Béru s’assied au bord du lit, son gros ventre plein de cicatrices et de poils sur ses genoux. Sa chopine dévastée à son insu pend (une fois n’est pas coutume) entre ses jambes, toujours ornée du ruban que le gentil dargiflard de la serveuse a refoulé au ras des claouis.
— T’as les pieds sales, remarque Violette en croquant un toast.
— Toujours, admet placidement Bérurier.
— Tu ne te les laves jamais ?
— Rarement les deux à la fois.
— Pourquoi ?
— Parce que j’m’mets à tremper un pinceau s’l’ment quand j’ai un cor.
Violette qui s’enhardit déclare :
— Tu pues !
Nullement outragé, le Mastar hausse les épaules et murmure :
— Faut ! Un homme !
— Tu pues très fort ! déclare la rouquine.
— Parc’ qu’ j’sus un homme très fort ! Note que toi aussi, tu fouettes, la mère, rouquine à ce point !
— Moi, je me lave ! rebiffe Violette.
— Eh ben t’as tort ! L’fumet, c’t’irremplaçab’.
Ils sont interrompus dans leur babillage charmant par la sonnerie du téléphone. Le Mammouth dégoupille.
— Mouais ?
Un temps. Sa hure renfrogne.
— Ah ! c’est toi l’Noirpiot ! Qu’est-ce tu ramènes ? Quoive ? T’arrives pas à joind’ Sana ? Il est laguche, mon pote. Tu es où est-ce ? A Milano ? Av’c la Pine ? Ell’va bien, la vieill’ fripe ? Gaffe qu’y chope pas l’sida dans ces pays chauds. Attends, l’grand impatiente ! Y veut t’ prend’.
Je chope l’écouteur poissé par la sueur béruréenne.
— Salut, le Primate, tu as du nouveau ?
— De toute beauté.
— Vas-y, j’ai les oreilles débouchées.
— La vie d’Aldo Morituri : une vraie cata !
— C’est-à-dire ?
— Pendant des années il a été sous la coupe d’une maîtresse tapageuse, une pseudo-actrice d’origine brésilienne qui l’a épongé jusqu’à la moelle. Ce con s’est endetté dans des proportions inouïes. Leur liaison s’est achevée par un scandale mal étouffé. Son épouse l’a quitté en emportant le restant des écus. Devant cet état de fait, ses partenaires dans l’entreprise ont paniqué et lui ont mis le couteau sous la gorge.
— Bref, il était aux abois ?
— Tout à fait.
Je soupire :
— Sa mère était riche ?
— Bravo ! fait le Négus.
— Pas grand mérite. Je sentais que ce jourd’hui allait nous apporter la lumière. Les choses se précisent. Aldo est au bord du gouffre. Sa vieille bourrée de fric refuse de le renflouer, car elle connaît sa vie licencieuse, forcément. Alors il décide de brusquer le destin et d’hériter au plus tôt. Pour cela, il engage une redoutable aventurière qui a déjà sévi en Italie et aux quatre coins du monde : Ellena Mencini.
— Parricide ! s’exclame mon cher Jérémie avec de l’épouvante plein la voix.
Dans son pays où l’on est totalement soumis à l’autorité parentale, faire tuer père ou mère est un acte qui dépasse l’entendement.
— Je le crains. C’est donc bien la Mencini qui a étouffé mémère. Mais notre intervention a faussé le jeu. Nous avons, à leur grande stupeur, transformé l’assassinat en mort naturelle. Du coup, la dame de triste compagnie et le fils indigne (ne jamais perdre son sens des qualificatifs) n’ont plus bien pigé ce qui leur arrivait. Trop beau pour être vrai !
« Je sais maintenant pourquoi Morituri s’est suicidé. Il en avait pris déjà un sérieux coup dans la pipe en apprenant le brusque départ d’Ellena. Mais plus tard, quelqu’un lui a téléphoné pour, sans doute, le faire chanter. Il était au bout du rouleau et la présence du cadavre de sa mère aidant, il a craqué. »
— Hypothèse valable, consent M. Blanc. Qu’est-ce qu’on fait ? Tu as encore besoin de nous ici ?
— Non, Votre Altesse, vous pouvez rentrer la tête haute.
— Paris ou Riquebon ?
— J’espère en finir aujourd’hui même avec la Bretagne. Nous nous retrouverons demain à la Grande Volière.
— Tu m’as l’air bien sûr de toi. Ça a évolué, au pays du biniou ?
— Pas mal. Ciao, bambino, la bise à cette vieille morille de Pinuche.
La fille de l’auberge sort de la salle de bains, parée pour aller au charbon. Une vaillante ! Elle demande au Mastar s’il compte retourner bouffer à son auberge. Paraît que son singe a été heureux de la prestation du Gros, au déjeuner. Ça carillonne de toutes parts pour réserver des tables depuis qu’on a appris dans le Landerneau qu’un gros mec à la queue géante embroque la serveuse au dessert.
Béru répond que c’est à voir. Elle annonce que c’est jour de la bourride, mais ça ne convainc pas le Grandiose pour qui le poisson se cantonne dans la rubrique des amuse-gueules. Elle lui causerait d’un petit salé aux lentilles ou d’un haricot de mouton, là il opinerait ; mais une tambouillasse de poissecaille, il nous en fait cadeau !
Elle part à regret. Violette lui promet de passer la voir « de toute façon ».
Ma pomme est déjà en train de s’expliquer avec les renseignements pététistes. La préposée qui, curieusement, se paie l’accent du Midi en plein Finistère, prend note de mon numéro ; en moins de jouge elle m’apprend que le turlu composé par Lucette au cours de la nuit est celui de la villa « A tire-d’aile », boulevard du Littoral. Je remercie.
— Tu as école ! annoncé-je à mon indispensable.
— M’en gaffais bien ! Visite de la crèche qu’a demandée ta gisquette d’mes deux, n’s’pas ?
— Ben voyons !
— Si c’morninge t’as récupéré et qu’ t’ayes envie d’t’faire souffler dans le ventre, j’peux t’laisser Violette ?
— Ma parole, t’es un vrai proxénète, Gros !
— Non, riposte-t-il avec aigreur, j’ai soin d’mes aminches, voilà tout ! Alors caisse j’fais d’Violette ?
— Tu te l’emportes avec toi, ça te fera toujours un cadeau à offrir, le cas échéant.