Pétrus ne devait pas être loin car il entre en ligne dans les vingt secondes qui suivent.
— Pétrus ?… Bonjour, c’est Catherine Katarina, vous vous souvenez ?… Eh oui, je vous avais prédit que vous péririez de mort violente, mon pauvre ami… Ben vous voyez… Ça été dur ?… Pas trop ?… Tant mieux. Dites-moi, Pétrus, vous pourriez me dire à quoi ressemblait le sale bonhomme qui vous a électrocuté ?… Comment ?… Ce n’était pas un homme mais une femme déguisée ?… Vous êtes sûr ?… La garce !… Et elle ressemblait à quoi, cette gueuse, Pétrus ?… Plutôt grande, oui… Très brune ?… Avec une petite tache café au lait sur le cou, au niveau de l’oreille gauche… Autre chose ?… C’est tout ce que vous pouvez me dire ?… Eh bien, je vous remercie… Ça se passe bien, « là-bas » ?… Pardon ?… Je n’ai pas compris, Pétrus… Vous, quoi ?… Ah ! vous vous faites chier… Bien sûr, que voulez-vous… L’au-delà, hein ?… C’est pas le Club Med !… Je suis de tout cœur avec vous, Pétrus. Si vous avez l’occasion de rencontrer Wladimir Katerini, mon défunt, passez-lui le bonjour de ma part.
Il y a une période d’inertie. On sent que la « voyante » passe par une sorte de sas avant de reprendre pied dans le réel. Elle ôte son casque, exhale un soupir prolongé, puis me regarde.
— Ça été, commissaire ? J’ai obtenu quelque chose ?
— L’auriez-vous oublié ?
— Lors de mes « contacts », je suis en état second et il ne m’en reste aucun souvenir par la suite.
— C’était intéressant, avoué-je.
Sais-tu ce qui me chicane, Ariane ?
Ellena Mencini portait une petite tache en étoile au cou.
Mais ne te fais pas de souci pour moi : je ne vais pas sombrer dans l’occultisme pour autant !
A TABLE !
— Nous fûmes été suivis, affirme Béru. Hein, Violette, qu’un gonzier en moto nous a collé au prose ?
— Textuel, commissaire.
— Et alors ?
— Alors rien. La villa « A tire-d’aile » est une bicoque quéconque. A colombins, si tu voyes ? Plutôt délabrerée, hein Viovio ?
— Absolument, commissaire !
— J’ai sonné, personne n’est viendu. J’ai entré, la lourde était pas fermaga à clé. Vide ! Rien trouvé d’insolide à l’intérieur, juste deux plumards défaits. Elle a dû servir à deux gens pour leur coucher.
— Il fallait te renseigner pour savoir à qui elle appartenait ?
Le Surgonflé me file un regard plus dégueu qu’un glave d’ivrogne catarrheux.
— Non, mais caisse tu croives, Antoine ? Qu’ j’marne dans les douanes ou qu’j’fais garçon boucher ? J’connais l’boulot, y avait un panneau à la grille : « A louer. Agence de l’Océan. » On y ait été, hein, Violette ?
— Tout à fait, commissaire.
— Le mec d’l’agence est à Quimper pour un château à vendre. Sa s’crétaire nous a dit que personne habitait la villa « A tire-d’aile » d’cette saison ! Ça s’loue s’l’ment l’été, ces masures.
— Et pourtant on y dort et on y téléphone ! ricané-je.
— Faudra r’tourner voir l’agenceur d’main.
— Demain, soupiré-je, c’est loin.
Il hausse les épaules.
— Et votre ange gardien, qu’est-il devenu ? reprends-je.
— Y nous a suivive jusqu’à la villa. Quant t’est-ce on en est r’partis, y était plus, hein Violette ?
— Affirmatif, commissaire !
— Il va bientôt êt’ l’heur’ de la jaffe, Antoine. Je pense qu’on d’vrait retourner à l’auberge, moi et Violette, on t’ramènererait un indien.
— Un indien ?!?!
— J’veux dire un inca : sandouiche viande froide et un pilon de poultock, t’aimes assez, y m’semb’ ? Plus un’ part d’tarte et une boutanche d’bordeaux supérerieur.
Je l’écoute d’un estomac distrait, Alexandre-Benoît.
— Alors ? T’es d’ac, mec ? il insiste, les babines coulantes comme chaque fois qu’il évoque des nourritures terrestres.
— Tu m’emmerdes avec ta bouffe ! Tu n’es qu’un tube digestif branché sur une fosse d’aisance ! Le temps urge désormais, manger, ce sera pour une autre fois !
— Ah ! Bon, bon ; tu veux que j’fasse quoi-ce ?
— Tu vas appeler le directeur.
— Ton pote Clabote ?
— Oui. Dis-lui de monter.
— J’croyais qu’tu voulais pas t’montrer ?
— Je me planquerai dans la salle de bains.
— Et qu’est-ce j’lu dis, céziguemuche ?
— Ceci…
Tu mords l’art consommé de l’écrivain ?
Rien divulguer par avance. Dire seulement en situation ! Quand j’étais mouflingue, Félicie me recommandait toujours de ménager mes effets. Elle a gagné !
J’ai rabattu le couvercle des gogues, placé dessus une serviette de toilette pliée en quatre (ne jamais négliger le confort, il nous aide à penser) et déposé mon prosaïque sur le tout.
Je n’ai pas fermé complètement la porte de la salle d’eau, histoire de bien entendre ce qui se dira dans la chambre.
On a sonné. La môme Violetta a ouvert.
BERU (off) : Salut, m’sieur Clabote. Assistez-vous, faites comme chez vous !
CLABOTE (voix sombre) : Auriez-vous des nouvelles de ma femme ?
BÉRU : En auriez-vous-t-il, vous, d’Sana ?
CLABOTE : Comment voulez-vous ?
BERU : (mystérieux) : On n’sait jamais.
CLABOTE : Que pensez-vous de cette double et singulière disparition ?
BÉRU : La même chose qu’vous, m’sieur Clabote.
CLABOTE : C’est-à-dire ?
BÉRU : Des mecs ont r’froidi vot’ bergère et mon pote. Y n’ d’vaient zinguer qu’Antoine, mais y a eu un coup fourré et y z’ont piqué légal’ment la Lucette. Ça leur a filé les flubes, biscotte ça n’figurait pas à leur programme. Alors ils ont embarqué les cadavres et brûlé la chignole. Et v’là l’topo, m’sieur Clabote. Sûr’ment qu’ces foies-blancs font croire à leurs chefs ou complices qu’les deux tourt’raux s’est enfuis. Y veulent cacher la merde de chat, comprenez-vous-t-il ? Comment voulez-vous-t-il qu’un coup l’assailli en pleine noye dans un’ chignole s’enfuyasse quand on leur défouraille d’sus avec des bastos qui foudroireraient un éléphant !
(Un second silence, à peine troublé par un rot bref et autoritaire du Gros.)
CLABOTE : Non !
BÉRU : Pourquoi, non ?
CLABOTE : Quelque chose me dit que vous vous trompez !
(Alors, Bérurier, dans ses hautes œuvres et avec une autorité féroce, implacable, contreplacable et tout :)
BÉRU : C’est pas « quéque chose » qui vous le dit, mais les gars d’la bande, Clabote ! Et savez-vous-t-il ce qu’y vous ont dit ? Qu’vot’ bonne femme avait téléphoné à la villa « A tire-d’aile » dans la noye. V’voiliez si j’en sais, des choses ? N’en réalité, v’v’lez que j’vais vous apprende qui est-ce qu’a appelé ? Ma’me Violette, ici présente. Fais pas voir ta chatte à m’sieur, Viovio, je croive pas qu’il eusse envie d’tirer en c’moment ! La vérité textuelle, Clabote, c’est qu’j’ai voulu désorerienter ces fumiers et, fectiv’ment, après l’coup d’turlu, y z’ont mis les adjas, comprenant qu’on avait dégauchi leur planque à Riquebon. Un gusman à moi s’tenait à promiscuité d’leur bicoque, et les a filochés. Pas la peine qu’j’vous apprisse où y s’sont réfugiés, hein ?