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— Oh, les Maîtres Secrets, fit le frère Plâtrier. Pardon. C’est à cause de ces capuchons occultes. Pardon. Secrets. Je me souviens. »

Mais quand je dirigerai la cité, songea le Grand Maître Suprême, il n’y aura rien de tout ça. Je formerai une nouvelle société secrète d’hommes à l’esprit vif, intelligents, mais pas trop évidemment, pas trop intelligents. Ensuite nous renverserons le tyran cruel et froid, nous entrerons dans un nouveau siècle des Lumières, de fraternité et d’humanisme, Ankh-Morpork deviendra une Utopie et les individus dans le genre du frère Plâtrier se feront griller à petit feu, si j’ai voix au chapitre, ce que j’aurai. Eux et leur figuin[2].

« Je disais donc : quand je suivais mes cours auprès des Maîtres Secrets… reprit-il.

— C’est là qu’ils vous ont dit que vous deviez marcher sur du papier de riz, hein ? fit le frère Tourduguet sur le ton de la conversation. J’ai toujours trouvé que c’était un bon passage. Depuis, moi, je récupère celui dessous mes macarons. Vraiment étonnant. J’arrive à marcher dessus facile comme tout. C’est ça l’avantage d’appartenir à une bonne société secrète, dame oui. »

Il ne sera pas tout seul sur son gril, le frère Plâtrier, songea le Grand Maître Suprême.

« Vos pas sur la route de la lumière sont un exemple pour nous tous, frère Tourduguet, dit-il. Mais si vous me permettez de poursuivre… Parmi les nombreux secrets…

— … au cœur de l’Être… intervint le frère Tourduguet, approbateur.

— … Au cœur de l’Être, comme le dit si bien frère Tourduguet, c’est là que se trouvaient les dragons nobles. La croyance de leur extinction est totalement infondée. Ils ont tout bonnement trouvé une nouvelle voie dans l’évolution. Et on peut les en faire venir. Ce livre… – il le brandit – donne des instructions précises dans ce sens.

— C’est dans un livre, comme ça ? fit le frère Plâtrier.

— Il ne s’agit pas d’un livre ordinaire. C’est le seul exemplaire existant. Il m’a fallu des années pour retrouver sa trace, expliqua le Grand Maître Suprême. Il est de la main de Tubal de Malachite, un grand chercheur en tradition dragonnière. Écrit de sa vraie main. Il a invoqué des dragons de toutes tailles. Vous le pouvez aussi. »

Suivit un autre long silence embarrassant.

« Hum, fit le frère Portier.

— Ça m’a l’air un peu… vous savez… un peu magique, risqua le frère Tourduguet, du ton nerveux de celui qui a repéré sous quel godet se cache le petit pois mais hésite à le dire. Comprenez… sans vouloir mettre en doute votre suprême sagesseté et tout, mais… enfin… vous savez… la magie… »

Sa voix mourut.

« Ouais, renchérit le frère Plâtrier, mal à l’aise.

— C’est… euh… les mages, vous voyez, fit le frère Crocheteur. Z’étiez sans doute pas au parfum, vu que vous en baviez avec les zigotos vénérables sur leur montagne, mais les mages du coin, ils vous tombent sur le poil comme une tonne de briques s’ils vous chopent à faire des trucs pareils.

— Cloisonnement, ils appellent ça, expliqua le frère Plâtrier. Par exemple, je vais pas mettre mon nez dans les chaispasquoi cabalistiques interfoliés de causalité, et eux, ils touchent pas au plâtrage.

— Je ne vois pas où est le problème », dit le Grand Maître Suprême. En fait, il ne le voyait que trop bien. C’était le dernier obstacle. Il n’avait plus qu’à aider leurs tout petits esprits à le franchir, et il tiendrait le monde dans le creux de la main. Leur égoïsme incroyablement stupide ne l’avait pas déçu jusqu’ici, il n’allait tout de même pas lui faire faux bond maintenant…

Les membres de la société secrète raclèrent des pieds, mal à l’aise. Puis le frère Cagoinces prit la parole.

« Pfff… les mages. Est-ce qu’ils savent ce que ça veut dire, une journée de travail, ceux-là ? »

Le Grand Maître Suprême prit une profonde inspiration. Ah…

L’atmosphère ambiante de rancœur mesquine s’épaissit nettement.

« Pas du tout, l’fait est, dit le frère Crocheteur. Toujours à se balader en prenant de grands airs, sont trop bien pour des gens comme nous autres. J’les croisais souvent quand j’bossais à l’Université. Des prozes d’un kilomètre de large, c’est moi qui vous l’dis. Vous les avez déjà vus trimer pour un turbin honnête, vous ?

— Comme voler, sans doute ? lança le frère Tourduguet qui n’avait jamais beaucoup apprécié le frère Crocheteur.

— Comme de juste, poursuivit le frère Crocheteur en ignorant ouvertement la réflexion, ils vous bonissent qu’il faut pas s’amuser à faire d’la magie, rapport qu’eux seuls savent comment s’y prendre pour pas déranger l’harmonie universelle et tout l’bazar. Tout ça, c’est du pipeau, si vous voulez mon avis.

— Ben, moi, fit le frère Plâtrier, j’sais pas trop. Je veux dire, si je me trompe dans mon mélange, je récolte plein de plâtre humide autour des pieds, ça s’arrête là. Mais si on fait une petite erreur de magie, alors des machins horribles sortent des boiseries, à ce qu’on dit, et ils nous en font carrément baver.

— Ouais, mais c’est les mages qui racontent ça, fit remarquer le frère Tourduguet. Personnellement, j’ai jamais pu les piffrer, à vrai dire. Ils tiennent peut-être la bonne affaire et ils veulent pas que les autres en profitent aussi. Suffit d’agiter les bras et de chantonner, en fin de compte. »

Les frères s’absorbèrent dans leurs réflexions. Ça paraissait plausible. S’ils tenaient la bonne affaire, ils n’avaient sûrement pas envie qu’on s’immisce dedans.

Le Grand Maître Suprême estima le moment venu.

« Nous sommes donc d’accord, frères ? Vous êtes prêts à exercer la magie ?

— Oh, si c’est des exercices… dit le frère Plâtrier, soulagé. Moi, ça me gêne pas. Tant qu’on doit pas le faire pour de vrai… »

Le Grand Maître Suprême frappa le livre du poing.

« Je parle de lancer de vrais sortilèges ! De remettre la cité sur de bonnes voies ! D’invoquer un dragon ! » brailla-t-il.

Ils reculèrent d’un pas. Puis le frère Portier demanda : « Et après, si on a ce dragon, le roi légitime va apparaître, comme ça ?

— Oui ! répondit le Grand Maître Suprême.

— Pour moi, c’est évident, fit le frère Tourduguet en manière de soutien. Ça tombe sous le sens. À cause de la destinée et des rouages gnomiques de la providence. »

Il y eut un moment d’hésitation, puis les frères opinèrent en masse du capuchon. Seul le frère Plâtrier avait vaguement l’air mécontent.

« Beeeen, fit-il, il va pas échapper à notre contrôle, hein ?

— Je vous assure, frère Plâtrier, vous pourrez le renvoyer quand il vous plaira, répondit doucereusement le Grand Maître Suprême.

— Bon, ben… d’accord, dit le frère réticent. Rien qu’un petit peu, alors. Est-ce qu’on pourrait le garder assez longtemps pour qu’il brûle, par exemple, des boutiques de légumes qui oppriment le monde ? »

Ah…

Il avait gagné. Il y aurait à nouveau des dragons. Et un roi. Différent des anciens rois. Un roi qui ferait ce qu’on lui dirait de faire.

« Ce sera fonction de l’aide que vous apporterez, répondit le Grand Maître Suprême. Nous aurons besoin, au départ, de tous les articles de magie que vous pourrez trouver… »

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2

Le figuin est défini dans le Dictionnaire des mots qui rincent l’œil comme « un petit pâté feuilleté garni de raisins secs ». Le dictionnaire aurait été d’un secours inestimable au Grand Maître Suprême lors de la rédaction des serments de la Société, puisqu’il explique aussi les mots « velchet » (« type de gilet que portent certains horlogers »), « trousse » (« oiseau craintif, gris-brun, de la famille des foulques ») et « moules » (« jeu d’adresse et de dextérité avec des tortues »).