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Celui-ci se compose d’un vaste studio, clair, d’une cuisine aux vastes dimensions, faisant aussi salle à manger, et d’une salle de bains.

J’entrepose le parasol fermé dans l’entrée et la fille va déposer ses hardes dans la salle de bains.

Puis elle pousse la porte du studio.

— Asseyez-vous…

J’avise un divan en bois de citronnier. Je m’assieds dessus.

— Allongez-vous, conseille ma petite hôtesse, vous semblez très fatigué.

Je le suis en effet. Je me sens très mal en point. Je suis délabré, j’ai des nausées, et je dois cogner une sacrée température car mes mains me brûlent. Je constate, malgré mon état, que je dégage une odeur fangeuse. La môme a eu beau me frotter à l’eau de Cologne, le remugle du bassin est plus fort que le parfum.

— Dites, mademoiselle, est-ce que je pourrais prendre un bain ?

— J’allais vous le proposer…

Elle retourne à la salle d’eau et deux robinets se mettent à cracher dans la baignoire.

Je quitte le divan moelleux et je zigzague jusqu’à la salle de bains.

La jeune fille me regarde attentivement. Ses yeux bleus paraissent danser dans son visage.

— Ça n’a pas l’air d’aller du tout ! remarque-t-elle.

— Non, je… J’ai dû prendre la crève dans cette flotte pourrie !

L’eau de la baignoire est chaude. Elle m’enveloppe comme une couverture de plumes. Je m’allonge en elle, épuisé… Mon cœur cogne à se rompre… J’étouffe… Avec des gestes infiniment lourds, je me redresse et j’enjambe le récipient de faïence.

Décidément, je ne peux supporter l’écrasement de cette flotte, bien qu’elle soit douce et chaude. Il évoque pour moi mon séjour dans le bassin. Je sais maintenant que l’heure que j’ai passée sous les nénuphars comptera parmi les plus épouvantables de mon existence. Avec le recul, cela tourne au cauchemar.

Je chope mon peignoir, mais il m’est impossible de le passer. Mes gestes sont de plus en plus imprécis… Tout se brouille… J’ai froid, je claque des dents.

Je me contente de placer ce vêtement de bain devant moi et je pénètre dans le studio.

La petite a déjà préparé le divan… Deux draps blancs se proposent à moi. Je m’y coule…

— J’ai froid ! fais-je en claquant des dents. J’ai froid…

Elle empile sur moi des couvertures… Rien n’y fait… Elle me fait boire un peu d’alcool.

— Ecoutez, murmuré-je. Je crois que je suis malade… Il vaut mieux, pour vous, prévenir la police…

Epuisé, je lâche tout et ne cherche plus à lutter contre le mal.

Sa main fraîche caresse mon front.

— Ne craignez rien, murmure-t-elle. Ne craignez rien.

3

J’ai été salement malade, en effet. Il me semble que je viens de traverser un long tunnel coupé çà et là par des éclats de jour. Je rouvre les yeux sur un décor que je crois ne pas connaître, mais qui pourtant me dit quelque chose… Ah oui : le studio de la petite…

Elle s’avance, une seringue à la main. D’un geste décidé, elle soulève mon drap supérieur et passe un coton glacé sur ma cuisse gauche. Une odeur d’éther me pince les narines. Je vais pour protester, j’éprouve une piqûre dans le gras de la jambe. Une nouvelle impression de froid…

Elle me regarde. Elle est un peu pâle.

— Comment vous sentez-vous ? demande-telle.

Il me semble que je peux parler normalement, mais toute articulation m’est interdite. Mes deux mâchoires sont, dirait-on, soudées.

— Ça va aller, maintenant…

Je parviens à lui sourire… Je me crispe et je m’entends articuler « merci ».

Elle s’assied au bord du divan.

— Vous avez eu une pneumonie… J’ai eu très peur et j’ai failli vous faire hospitaliser. Je m’étais dit que si ce matin il n’y avait pas d’amélioration dans votre état…

Les mots qu’elle prononce m’arrivent avec un certain retard, mais je les assimile parfaitement.

Ils provoquent en moi des réactions, des questions.

Je me concentre. Il faut que je m’exprime… Pourquoi diable ne puis-je pas parler ? Une pneumonie, ça n’a pas les conséquences d’une congestion cérébrale, tout de même.

— C’est vous qui m’avez…

Je ne peux en dire plus long. J’ai pigé : ça n’est pas de la paralysie, mais de la faiblesse.

— Oui, c’est moi qui vous ai soigné. Je suis infirmière à l’hôpital de Berne, en vacances pour l’instant, heureusement… D’après vos symptômes, j’ai compris ce que vous aviez et je vous ai fait des sulfamides…

— Longtemps ?

— Ça fait deux jours… Ne vous agitez pas… Votre température commence à baisser.

— Comment vous appelez-vous ?

— Françoise…

Je remue faiblement les doigts. Elle me prend la main et aussitôt je sens que ça va mieux, que je tiens le bon bout. Un instant plus tard, je m’endors. Cette fois, c’est pas du coma, mais de la bonne ronflette de père de famille.

Il fait nuit quand je m’éveille. Une lumière rose baigne le studio de Françoise. La jeune fille fricote quelque chose sur sa cuisinière électrique. Ça renifle bon le beurre chaud.

Cette odeur me fouaille l’estomac.

Je crie :

— Françoise !

Et c’est un vrai cri qui jaillit de mes éponges humides.

Elle accourt, une fourchette à la main, pareille à une déesse de la mer avec son trident. Qu’avez-vous ?

— Faim !

Elle rit. C’est la première fois. Elle est très belle ainsi. Elle porte un pantalon de soie noire et une espèce de casaque bleu ciel. Ses cheveux sont noués par un ruban. Elle ressemble à une étudiante qui a fini ses devoirs.

— Ça va de mieux en mieux !

— Grâce à vous !

— Pf…

— Si ! Ce que vous avez fait là est simplement sensationnel… Rien ne vous disait que je n’étais pas un dangereux malfaiteur !

— Un malfaiteur ne se serait pas caché dans ce bassin…

— Pourquoi ?

— Parce qu’un malfaiteur est un lâche !

Elle a des idées très arrêtées. L’odeur de beurre chaud fait place à une odeur de brûlé et Françoise se sauve dans sa cuisine.

Une fille aux pommes. Dire que je ne l’avais jamais vue et qu’elle a risqué son honneur et sa sécurité pour me soustraire aux griffes de la police et à celles de la mort !

Elle revient.

— Il y avait du dégât ?

— Non, ma côtelette a pris un coup de soleil, ça n’est rien !

— Vous n’avez pas eu d’ennuis à cause de moi ?

— Personne ne se doute que vous êtes ici !

— Vos voisins ?

— Je ne fréquente personne…

— Pas de petit ami ?

Son doux regard se voile, comme dans Lakmé.

— J’ai été fiancée… Il est mort…

Mets deux ronds dans le bastringue ! C’est l’éternelle histoire qui fait chialer Margot ! Un fiancé mort ! Drame à vie d’une femme… Notez que ça n’empêche pas ladite personne de se marida avec un autre Jules. Ça ne l’empêche pas non plus de crier maman quand on lui fait mettre les doigts de pied en bouquet de violettes ! Seulement, la tombe du mort c’est son jardin secret. Elle y verse les larmes de l’amertume pour arroser les géraniums qui s’y fanent !

Pour elle, le défunt est auréolé de gloire, paré de toutes les qualités… Pourtant, s’il avait vécu et qu’il l’ait coltinée à la mairie, il n’aurait plus rien du héros de légende ! Ce serait un pauvre Jeannot-la-fiarde qui irait vider la boîte à ordures le matin en allant chercher le lait… Qui gagnerait le pain quotidien et qui porterait des cornes tellement chouïa qu’il lui serait impossible de voyager en Laponie vu que tous les rennes lui fileraient le train.