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Et puis tout ça finit par devenir rasoir. Je les laisse à leurs chères techniques pour revenir à mon sujet personnel. Il a une portée scientifique certes plus discutable, mais plus passionnante aussi.

Brusquement je sursaute. Une chose effarante m’apparaît que, dans mon émoi, je n’avais pas soulignée : si les types du réseau Mohari ont dépêché des tueurs chez Françoise, c’est parce qu’ils ont Mathias à l’œil. Les documents trouvés chez la pauvre petite leur prouvent que Mathias est pourri jusqu’à l’os vis-à-vis d’eux, puisqu’il a pour ami l’assassin de Vlefta.

Donc Mathias a dû être mis en l’air au retour de l’expédition. A moins d’un miracle. Peut-être les autres le gardent-ils en observation dans l’espoir qu’il leur permettra de remonter jusqu’à moi, le détenteur du gros chèque ? En ce cas, il faut que je prévienne illico Mathias… Il doit larguer son poste et rentrer… Je ne suis pas fiérot. Je croyais avoir réussi ma mission, mais mon imprudence a réduit à néant cette certitude fallacieuse. Je n’aurais jamais dû faire contacter Mathias… Le Vieux ne m’avait filé son adresse que pour le prévenir en cas d’échec… Lorsqu’il va apprendre que j’ai commis une couennerie aussi monumentale, il me traitera de tous les blazes… En admettant bien sûr que je puisse reparaître devant lui.

Je reviens à mes deux semeurs de suppositoires. Ils ont abandonné le sujet angoissant pour en aborder un autre digne également d’intérêt et qui concerne la manière de donner le bassin à un unijambiste.

Je me mets sur un coude pour les interrompre.

D’une voix plaintive, je balbutie :

— Par pitié, j’ai soif… Donnez-moi la rosée des nuits de printemps à boire… Pitié…

Les gars se lèvent.

— Donne-lui tout de même à boire, fait le plus costaud qui connaît ses classiques.

L’autre, bon cheval (vous avez saisi l’allusion ?) se lève et va tirer de la flotte au robico. De la baille de tuyauterie ! Il ne m’a pas regardé !

— J’y mets un barbiturique ? demande-t-il à son collègue.

— Quelques gouttes de Somnigène, comme ça il nous fichera la paix !

Un Suisse demander qu’on lui fiche la paix ! Ça ne manque pas de sel, comme dirait Cérébos.

L’infirmier qui me sert à boire prend un petit flacon brun et se met à compter des gouttes…

— Vingt-cinq… vingt-six…

Il me met la forte dose… Avec ça, je suis certain de faire un petit voyage d’agrément au pays du Picasso en branche.

Le jeune homme s’approche de mon lit, porteur du verre. J’ignore si vous l’avez remarqué, mais lorsqu’on tient un verre plein à la main en marchant, on a le souci de maintenir son équilibre et l’on ne pense à rien d’autre.

Le zig est au bord de mon lit. Il me tend la drogue… Je fais le type trop faiblard pour s’en saisir.

Il se rapproche encore, se penche. Alors, Bibi lance son bras et le biche par le cou. Drôle de prise. C’est mon pote Arthur-le-Grincheux qui me l’a apprise. Une secousse, un fléchissement du buste, une remontée de l’épaule, une traction avant (Citroën dixit) et mon compteur de gouttes se retrouve à l’autre bout de la carrée, les bras en croix, affligé d’un torticolis qui ne lui passera pas de sitôt. Il va pouvoir se mettre une bande Velpeau au cou, le frère… Je saute du lit et j’arrive au second infirmier un poil de seconde avant qu’il ne se lève de sa chaise. Il prend un coup de boule dans le placard et retombe assis. Il met son brandillon en avant. Je le lui bloque et le tords. Il gueule ; une torsion, le voilà à genoux par terre. Il a droit à un formide coup de genou dans le clapoir… Ses ratiches jouent Troïka sur la piste blanche. Il tombe à plat ventre. Je le finis ensuite d’un dernier coup de latte à la tempe…

Ensuite, sans perdre de temps, je porte les deux mecs en travers de mon lit et, utilisant la sangle réservée initialement à mon usage personnel, je les attache dos à dos… Je les bâillonne avec un drap de lit et je suis heureux de vous informer que ces deux messieurs oublient comment s’administrent les suppositoires. Ils font des rêves en vistavision et leurs crânes carillonnent comme Saint-Pierre de Rome un matin de Pâques.

Je vais ouvrir le placard où l’on a remisé mes fringues et je me sape presto.

Ensuite, je fouille les infirmiers. Sur l’un d’eux (le supporter du suppositoire à l’envers), je découvre un trousseau de clés. Je me l’approprie…

Ça va être à bibi de jouer. Je suis tout seul maintenant, livré à moi-même dans la Grande Taule. Et je n’ai pas d’arme… C’est du reste beaucoup mieux car, si j’en avais une, je me garderais bien d’en faire usage…

J’ouvre la porte de la chambre et sors dans un couloir peint en blanc. Une veilleuse bleuâtre brille au plafond… Je longe ce corridor déprimant. A l’autre extrémité, nouvelle lourde. Elle répond à l’appel que je lui adresse et ne fait pas de giries pour stoute grande.

Voici maintenant un palier avec un ascenseur à gauche et un escalier à droite. Je choisis l’escadrin. Ça fait moins de bruit et l’on ne risque pas de s’y faire bloquer entre deux étages.

Je descends… L’infirmerie de la prison est située au premier. En bas, il y a un hall blanc avec des portes à droite et à gauche et une, en bois massif, au fond. C’est celle-là qui m’intéresse.

Seulement celle-là est verrouillée… Je repère l’orifice de la serrure et examine les clés du trousseau. J’ai l’œil amerlock. Je choisis la bonne d’entrée.

Deux petits tours, une pression, et me voici dans une cour pavée que borde un haut mur hérissé d’une grille pointue. Pour se tailler de là, il faut être hélicoptère… Je fais le tour de la cour. Nouvelle porte… En fer, celle-là, et munie de barreaux gros comme ma cuisse. Ils ne font pas de détails, les Bernois.

J’essaie les autres clés, mais c’est scié. Aucune n’entre dans la clenche. Je peste comme un perdu… Que faire… M’étant accoutumé à l’obscurité du coin, je repère alors une sonnette à droite de cette porte. Je suppose qu’elle alerte un préposé à l’ouverture de ladite porte. Il faut que j’en passe par là. J’appuie deux fois sur la sonnette, sur un rythme léger. Ça fait « habitué de la maison ». Un instant, le silence me retombe sur le râble. Et puis, il y a une espèce de frisson électrique et la porte s’ouvre toute seule. Je n’en reviens pas. M’est avis que c’est ma géniale idée des deux petits coups aériens qui me vaut ça.

Le gardien doit être zoné. Il a cru reconnaître le coup de sonnette d’un familier et il s’est contenté d’appuyer sur le bouton de déclenchement. Je passe précipitamment. La lourde se referme seule.

Me voici sous une poterne. A l’extrémité, un guichet de lumière… J’hésite… Il ne s’agit pas de barguigner. Je m’avance vers le guichet en prenant soin de demeurer dans l’ombre.

Mon regard plonge à pieds joints dans un poste de garde propre, tout carrelé de blanc, dans lequel un gardien est assis dans un fauteuil d’osier. Il a les pieds sur une chaise et un journal gît à ses côtés, prouvant que le gars est dans les vapes.

Je lance un petit cri joyeux qui est le fait d’une conscience pure. L’autre bâille en guise de réponse. Moi, je continue ma route et je parviens à une porte monumentale que je reconnais. C’est la porte de la prison. Il existe un poste de garde à côté, comme celui de la poterne. J’aperçois à l’intérieur quatre gardiens qui jouent aux cartes.