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Il me regarde.

— Mais… elle n’a rien à voir avec le réseau, San-Antonio ! Je l’ai connue…

— C’est ça, en achetant des prunes ! Tu es jeune, Mathias… Cette fille fait partie de la bande et ils te l’ont collée aux fesses pour mieux te surveiller…

— Tu crois ?

— Idiot ! Elle était chez toi, ce matin ?

— Oui…

— Et toi, tu es sorti ?

— Oui…

— Elle ne t’a pas transmis un message de moi ?

— Non.

— Voilà une nouvelle preuve de sa culpabilité, si on en avait besoin pour faire le bon poids. Au lieu de t’affranchir, elle a tubé à ses complices. Et ils m’ont envoyé deux fumelards pour me liquider. J’ai pu m’en tirer, mais la gosseline qui m’abritait a eu moins de pot et on est en train de lui confectionner un chouette tailleur de saison, en planches !

— C’est pas vrai !

— Dis, Mathias, tu as été élevé à l’interjection, toi ?

Il remise son dérange-poux.

— Eh bien ! mon vieux, tu nous en apprends, des trucs !

Je me fouille.

— Il faut que tu gagnes absolument la nuit, Mathias… Tu attends des mecs de la bande ?

— Oui.

— Fais gaffe à tes os. Trouve un moyen pour ne pas rester seul au-dehors avec eux… Tiens, trouve-toi mal ici de façon à te faire conduire à l’hosto… Ou bien casse la gueule au garçon du restaurant pour être bouclé cette nuit… Demain, tu iras à la banque fédérale et tu encaisseras un million de francs suisses. Tu fonceras ensuite à l’ambassade avec l’osier… Je vais me démerder cette nuit pour prévenir le Vieux qu’on t’accorde le droit d’asile. Il trouvera un moyen de te faire rentrer en France avec le pognon…

— Qu’est-ce que c’est que cet argent ?

— Une prise de guerre, Vlefta l’avait sur lui… Tu m’as saisi, tu m’as ?

— Oui…

— Tu n’aurais pas un pétard sur toi ?

— Non.

— Dommage ! Fais ce que je te dis, hein ? Laisse quimper le réseau, tu es grillé comme un kilo de café du Brésil. Et je te le répète : ouvre grands tes jolis yeux…

Il me regarde, l’œil noyé par l’admiration.

— J’ai jamais rencontré un type aussi fortiche que toi, San-Antonio !

— Merci.

— Le bruit courait dans Berne que tu étais arrêté ?

— Je l’étais, mais je viens de m’évader de la prison…

— Et tu n’as pas hésité à venir ici pour me prévenir ?

— Tu vois…

— C’est beau…

— D’accord, on gravera ça dans le marbre des comptoirs de troquet. Ne te fais pas d’illusions, gars, ta peau vaut presque moins chérot que la mienne. Nous sommes dans un sale bousin !

Il me tend la main.

Je n’oublierai jamais ça, San-Antonio.

— Moi, difficilement, pour tout te dire… Hé ! essaie de détourner un peu l’attention de la gonzesse pendant que je les mets, ça la foutrait mal qu’elle me reconnaisse maintenant.

— T’inquiète pas, je te demande trois minutes !

Il s’en va. Je regarde s’éloigner ses larges épaules. Il a une marche décidée qui me plaît. On sent que ça n’est pas une lavasse.

J’attends un peu… La glace du lavabo me renvoie ma hure. Pas jolie jolie ! Ma barbouze commence à pousser, j’ai les tifs en broussaille et un bain ne serait pas inutile.

Je ne suis pas mon genre, cette nuit.

Je m’aperçois que les toilettes communiquent avec les postes téléphoniques. Occasion unique de tuber à Paris pendant que je suis libre… Je prends un petit couloir et j’arrive dans une pièce où un monsieur ennuyé et qui a sommeil écrit des chiffres dans un grand bouquin noir.

— Me serait-il possible de téléphoner à Paris ? m’enquiers-je.

Il remonte sur un front pâle des lunettes sans monture.

— A ces heures !

— Il n’y a pas d’heure pour les braves !

Il ne pige pas très bien l’astuce et soupire.

— Quel numéro demandez-vous ?

Je le lui dis.

Franchement, à pareille heure, il est peu probable que je joigne le Vieux. En tout cas, j’aurai un gnaf de la permanence qui lui transmettra mon message.

Je remarque que le comptable triste me dévisage avec insistance. Bonté de sort ! Il faut que je me mette tout de même sous la coiffe que je suis un homme traqué dont la frime est connue du grand public.

Quel dommage que Mathias n’ait pas eu de feu à me prêter, je me serais senti moins seul…

— Vous avez Paris !

Je bondis dans la cabine désignée et je décroche. Musique divine ! C’est la voix du Vieux qui est à l’autre bout.

— San-A ! annoncé-je.

Ça le fait bondir.

— Ah ! enfin… Alors ?

Par la vitre de la cabine, je vois que l’escogriffe du standard écoute ma communication.

— Une seconde ! fais-je au Vieux.

J’entrouvre la porte.

— Vous gênez pas ! lancé-je à l’autre. Je vous le passerai tout de suite après…

Il se trouble.

— Ah ! Vous êtes en ligne ?

— Ouais !

Il raccroche et je reviens à mes… moutons.

— Nous sommes en pleine m… boss. Mathias est archi-grillé depuis longtemps, la situation est à l’inverse de ce que vous pensiez, ce sont les autres qui se servaient de notre copain. Je lui conseille d’aller se réfugier à l’ambassade dès demain… Il doit auparavant encaisser un chèque très important qui figurait dans les papiers que j’ai hérités de mon pote américain…

Il comprend.

— Vraiment important ?

— Oui. Et au porteur. Il serait navrant de laisser passer ma…

— Bien. Je fais le nécessaire. Et pour vous ?

— Pour moi, on ne peut que faire brûler un cierge, je suis trop mouillé ici pour aller emmistoufler l’ambassade… J’ai dépassé la norme et le gouvernement helvète serait en droit de réclamer mon extradition.

— Alors ? grogne le Vieux.

— Alors rien… Je vais essayer de me déplâtrer seul.

— Je vous souhaite bonne chance…

— Merci… A bientôt, j’espère…

Nous nous accordons de part et d’autre quelques secondes d’émotion avant de raccrocher. Je quitte la cabine, un peu sonné.

L’escogriffe a le bec ouvert comme un jeu de grenouille. Il louche sur le baveux du soir, plié en quatre devant lui, et sur lequel on peut voir ma bouille !

J’en suis commotionné !

Si au moins il n’y avait pas eu de journaleux à mon arrivée à la police ! J’ai l’air fin là-dessus ! On dirait Paul Muni dans Scarface !

Le type du bigophone a la tremblote. C’est le moment de lui foutre un tamis dans les pognes et de le mettre sur un chantier. Il vous abattrait un drôle de turbin.

Je le regarde. Ses carreaux s’exorbitent. Je me dis qu’il faut absolument faire quelque chose. Si je ne le neutralise pas, il va ameuter la populace dès que je serai sorti et j’aurai droit à la valse lente !

Je m’approche.

— Je vous dois combien ?

— Cinq francs…

Je lui allonge une pièce blanche.

— Voilà… Je suis honnête, mon bon monsieur. Maintenant, vous allez me donner un renseignement…

Il se liquéfie.

— Oui, mais oui…

— Je voudrais trouver un petit coin fermant à clé, c’est pour vous y enfermer… Vous comprenez, ça m’ennuierait de vous étrangler.

Il se lève, pâle comme un petit-suisse.

— Mais je…

— Vous ?

— Rien…

— Alors, allons-y…

Dans le fond de la pièce il y a une petite porte accédant aux communs. Nous la franchissons, bras dessus, bras dessous, comme deux vieux copains.