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Un serveur croit que le gars a fini son turbin car il lance au passage :

— Bonne nuit, monsieur Fred !

M. Fred ne savoure pas l’ironie ! Bonne nuit ! Tu parles ! Ce ne sont pas des choses à dire !

6

Nous sommes seuls maintenant dans un couloir où flottent des relents de cuisine.

Une idée se plante dans mon caberlot.

— Dites donc, il doit bien exister une issue discrète pour sortir d’ici sans repasser par la grande entrée ?

— Oui. L’entrée du personnel.

— Alors, montrez-la-moi. Et pas de coups fourrés, hein ?

Il secoue la tête.

J’ai confiance. Il a trop de jetons pour vouloir jouer Le Ranch Maudit.

Nous grimpons un roide escalier de pierre et nous débouchons dans une impasse. Je reviens, toujours flanqué du bonhomme, vers « ma » tuture. Elle est stoppée à cinquante mètres environ de l’entrée de la Grande Cave. Avant de m’avancer dans la lumière, j’examine le territoire. Bien m’en prend car j’avise deux ombres de chaque côté de l’escalier menant à la brasserie. Ces ombres, je crois les reconnaître : ce sont celles des deux buteurs qui ont dessoudé Françoise. Je vous parie une paire de chaussettes contre un pair d’Angleterre que ces pieds nickelés attendent Mathias…

Lorsqu’il va sortir, il aura droit à une tournée de pruneaux. Que faire ?

Je longe le mur où je me trouve, sans lâcher le bras de l’escogriffe à lunettes. Je traverse la chaussée dans une zone d’ombre et je la retraverse en me dirigeant vers ma bagnole. Je prends bien soin de laisser l’auto en écran entre mézigue et les deux cariatides du meurtre qui guettent Mathias…

— Montez, mon bon Dugommier !

— Je vous en supplie, balbutie l’autre.

Il a les genoux qui s’entrechoquent.

— Grimpez, tonnerre de m… Je ne veux pas vous bouffer !

Il obéit.

— Poussez-vous !

Lorsqu’il s’est tiré, je m’assieds au volant et je mets en route. Seulement, au lieu de prendre du champ, je manœuvre de manière à me trouver dans une ruelle en pente qui débouche pile en face de la Grande Cave. J’arrête l’auto tous feux éteints, dans l’ombre propice. J’attends… Pas longtemps. Quelques minutes à peine après cette manœuvre, voilà Mathias et Gretta qui déhotent de la cabane. Ils débouchent sur le trottoir. Les deux ombres s’approchent d’eux. Alors, San-Antonio, toujours le crack des cracks, le superman du système D, braque pleins phares. Ça donne deux projecteurs qui illuminent le groupe. En même temps, je bloque le klaxon. C’est très réussi ! On se croirait au théâtre, dans une mise en scène de Raymond Rouleau. Tous les gens se retournent. Je reconnais l’un des tueurs : c’est lui qui escortait Vlefta au sortir de l’aérodrome.

Les deux égorgeurs s’éloignent après avoir échangé quelques mots avec la fille blonde. Ils courent à une auto rangée près de là. Sautent dedans… Je crois qu’ils vont fuir, mais des nèfles. C’est moi qu’ils chargent, les cames. La Gretta de mes trucs a dû piger ce qui se passait et leur a accordé de me faire la poursuite infernale. Ils décrivent un arc de cercle avec leur bolide et me foncent dessus. Je n’ai pas le temps de mettre le moulin en route.

— Baissez-vous ! dis-je au pauvre standardiste.

Pour lui développer les réflexes, je le tire par sa cravate. Il était temps. Une courte rafale de mitraillette éclate et les vitres de ma carriole font des petits. On se sent aéré soudain. L’auto des autres passe en trombe… Je me redresse, mets en marche et leur file le train. L’autre tas de nouilles aux œufs frais est resté accroupi.

— Vous pouvez faire surface ! lui dis-je en enfonçant l’accélérateur, c’est classé pour l’instant.

Mais je ne m’occupe plus de lui. Je suis hypnotisé par les deux petits feux rouges qui s’éloignent à travers les rues. J’ai bien fait de cravater une 15-six. C’est champion pour jouer la Poursuite Infernale. Je les remonte rapidement, les deux Chinois verts. D’autant plus facilement qu’ils ont une petite bagnole et qu’ils conduisent comme le feu Truc.

Ils sont bien emmouscaillés. Ils regrettent de m’avoir raté. Il leur est difficile de tirer car la vitre arrière de leur zinc est minuscule. Tant que je ne les doublerai pas, je ne risquerai rien.

Je suis donc… Nous filons vers les faubourgs, puis nous quittons la ville et la poursuite continue sur une route étroite.

Nous parcourons une dizaine de kilomètres.

Je vais maintenant tenter le paquet. Il y a toujours un moment dans la vie où l’on est obligé de sortir son chéquier et de demander combien on doit à la patronne. Et, ici-bas, la patronne, voyez-vous, c’est le destin.

Je ralentis.

— Ecoutez, mon vieux, dis-je à Toto-la-Ripette, je ne vous veux pas de mal… Je vais stopper et vous sauterez… Soyez fair play, n’ameutez pas la police tout de suite. Je ne suis pas un bandit…

Il fait « oui » de la tête. Il est éperdu de reconnaissance.

Je m’en tamponne de le larguer ici. Nous sommes en pleine cambrousse. D’ici qu’il ait pu prévenir messieurs les poulets, j’espère m’être tiré du mauvais pas !

Il ouvre la lourde et saute avant que je sois tout à fait arrêté. Bons baisers, à bientôt ! Je tire la portière et écrase la girole… Là-bas, à un virage, les deux feux rouges viennent de se diluer dans la faible brume. Je pousse la vitesse au maxi… Le virage est là… Je le prends, mais j’ai la stupeur de ne plus voir les feux des autres, devant…

Je comprends tout en avisant une route transversale… Un chemin plutôt qui serpente, blême sous la lune dans une campagne brune.

Les lascars se sont planqués dans le chemin dont les haies bordent l’embranchement. Ils ont éteint leurs feux et attendent. Ils se disent qu’ou bien je passerai tout droit sans les voir, ou bien je descendrai et alors ils se régaleront pour m’ajuster.

Arrivé à proximité du croisement, je freine et laisse la guinde tous feux éteints en bordure d’un champ. Je sors doucement de la bagnole et je me mets à ramper dans le fossé en direction du chemin transversal.

Je sais ramper, vous pouvez en être sûr. Pourtant, c’est un art. J’arrive au débouché du chemin, je longe la haie sans faire plus de bruit qu’un escargot sur de la crème chantilly. Tout va bien, les troupes sont fraîches. Mes deux tordus sont descendus de leur carriole itou. Ils se tiennent accroupis derrière le capot, une mitraillette et un pétard dans les mains.

Ils m’attendent, ces noix vomiques, croyant avec leur petite cervelle d’oiseau-mouche, que je vais radiner en sifflant la main de ma sœur, les pognes en fouilles !

Je contourne la haie afin de les prendre à revers… Le plus duraille va être de ramper de l’autre côté vers eux… Heureusement, un vent léger froisse les feuilles, couvrant ainsi mon glissement.

Je m’écorche le poignet sur une grosse pierre à l’arête vive. Je l’assure dans ma main et continue d’avancer. Je suis tout près d’eux, au point que je suis obligé de réprimer ma respiration.

Je lève mon bras. Saisi d’un pressentiment, sans doute, le gars qui tient le pétard se détourne et m’aperçoit. Il pousse un cri. Un bath, mais qui sera son dernier. Avec un han ! formide, j’abats le caillou sur sa tempe. Ça produit un bruit plutôt moche de courge éclatée. Le type tombe foudroyé. Pas besoin d’aller chercher du sparadrap pour lui réparer la soupière, il a son taf, Dudule. Une secouée pareille aurait endormi un pensionnat de rhinocéros. Son pote en est siphonné. Tout ce qu’il sait faire, c’est presser sur la gâchette de son presse-purée. La bonne marchandise se répand à nos pieds sans qu’il ait l’idée de redresser son arme.