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J’ai pitié de lui.

— Mon pauvre lapin, va ! Tu les verras toutes c’t’été…

Je le prends dans mes bras et vais l’étendre sur le lit.

— Allez, fais un gros dodo… Tout à l’heure, tu te mettras une escalope sur l’occiput.

Je regarde l’heure, il est sept plombes… Je me sens un peu courbatu.

Que vais-je faire ? Cruelle alternative. Je tournique dans l’appartement sous le regard enfiévré du nouveau bossu. Et, comme toujours, il me vient une idée… Puisque j’ai le temps et pas mal d’éléments à ma disposition, je vais essayer de modifier un brin mon aspect. C’est ma seule chance d’échapper aux recherches. J’ai à ma disposition un passeport en règle : celui d’Hussin. C’est le moment d’en profiter…

Je vais dans la salle de bains. Ma barbe a encore poussé, naturellement. Je cramponne le rasif du standardiste, et je me rase en me laissant un collier de barbe. Puis je biche des ciseaux et je me fais une coupe de cheveux à la Marlon. C’est approximatif mais ça me change complètement.

En farfouillant dans un placard, je découvre un produit pour teindre les godasses de daim. J’en verse dans de l’eau et je me passe un léger fond de teint qui donne à mon visage un aspect basané. Avec un bouchon taillé et brûlé, je charbonne mes sourcils et noircis l’angle de mes paupières.

Ma parole, j’ai l’air du calife Arachide commaco. Une vraie tête de khédive ! Si les bourdilles me reconnaissent, c’est qu’ils auront potassé les Mille et une Nuits. La garde-robe de mon hôte est modeste, mais j’y déniche un costard bleu foncé qui complète heureusement ma transformation. Je me suis transformé hors de la présence du gars afin qu’il ne puisse donner mon nouveau signalement.

Je brûle mes papiers personnels, ne gardant que mon argent et le passeport du type. Après une courte hésitation, j’empoche le revolver.

Ainsi transformé, Félicie, ma brave femme de mère elle-même, ne me reconnaîtrait pas. Je suis quelqu’un d’autre, pas d’erreur !

9

Le baromètre du petit San-Antonio, le chéri de ces Dieux, s’est décidément remis au beau fixe. A peine débouché-je dans la rue que j’aperçois une colonie de perdreaux autour de la voiture de Hussin.

Les matuches sont sur la piste. Si l’escogriffe ne s’était pas filé le portrait en bas, j’aurais continué de pioncer, tant était grande ma fatigue, et ces messieurs de la villa des sanglots m’auraient éveillé au son de Tiens-petit’voilà deux-sous.

Je vire à droite et je m’éloigne d’une démarche doctorale.

Je me sens en sécurité. Mon petit cerveau émet des ondes bénéfiques… Je me dis qu’au lieu de fuir, je dois donner un dernier coup d’épaule à Mathias. S’il est encore vivant, il va se présenter à la banque fédérale pour enfouiller le carbure de Vlefta. D’ici que la donzelle qui m’avait repéré à la Grande Cave se soit gaffée de quelque chose il n’y a qu’un pas. Donc, je dois, à toutes fins utiles, protéger les arrières (comme on dit au Fiacre) de mon collègue.

Je hèle un somptueux taxi et je m’y installe confortablement.

— A la Banque fédérale, dis-je noblement au chauffeur.

Il ne paraît pas enthousiasmé. J’ai vite pigé pourquoi : la banque se trouve à cinq cents mètres de là, ce qui représente une course ridicule. Ce serait à Paris, le taximan m’aurait envoyé me faire aimer chez Plumeau.

Je règle le parcours et je descends. Par veine pour mézigue, il y a un café près de l’entrée de la banque. Je prends place près de la vitre et je commande un déjeuner complet. Tout en morfilant, je vais pouvoir surveiller les allées et venues de la boîte à sous lorsqu’elle ouvrira ses portes…

Je déjeune en ligotant le baveux du morning. Je fais du rififi en Suisse, je vous le dis. Trois colonnes à la une et le reste sur le porte bagages. On parle de bande internationale organisée. De règlements de comptes entre espions et autres foutaises.

Las de cette prose pour bonniche en congé, je repousse le journal et commence une fois de plus mon attente. C’est ce qu’il y a de crispant dans ce métier : les guets ! Des heures, des nuits, des jours, il faut se tenir immobile quelque part, souvent, vous l’avez vu, dans d’inconfortables positions, et attendre quelqu’un ou un événement… C’est la tartine de marasme !

Mais cette fois-ci je n’ai pas le temps d’avoir des champignons sous la plante des lattes. La banque n’est pas ouverte depuis un quart de plombe qu’une tire ricaine vert clair, avec du chrome comme dans une salle de bains, stoppe devant la Fédérale.

Mon amigo Mathias en descend. Je ne m’étais pas gouré dans mes prévisions : Gretta l’accompagne. Elle pousse même « l’intérêt » jusqu’à lui tenir le bras. L’un et l’autre s’engouffrent dans le vaste bâtiment.

Mon sang ne fait qu’un tour. J’ai le sursaut de la mère poule voyant ses petits en danger. Il faut que je sauve Mathias. La souris le ménage jusqu’au moment où il aura l’argent. Seulement après il ne pourra pas rallier l’ambassade de France… Elle lui sucrera le grisbi. Je dois intervenir…

Ma décision est vite prise. Je règle mes consos et je cavale jusqu’à la bagnole. J’ouvre la portière arrière et je m’aplatis sur le plancher. Il y a des valises sur le siège. C’est le paravent maison. Je les ramène un peu sur moi pour me dissimuler. Si j’en crois mon estimation, je suis invisible de l’extérieur, à moins qu’on n’y regarde de trop près. Et il n’y a aucune raison pour que la Gretta se méfie.

Ces valoches me font penser qu’elle mijote de se tailler de la contrée rapidement. J’arrive comme une abeille sur une fleur. Un temps assez long s’écoule. Je respire avec difficulté. Mais il faut que je prenne mon mal en patience !

Enfin les portes avant s’ouvrent et le couple prend place dans la calèche.

Gretta pousse un soupir.

— Sais-tu que j’ai eu très peur, fait-elle… Je peux bien te l’avouer maintenant…

Mathias met en route… La voiture file à allure rapide pour un centre de ville.

— Peur de quoi ? demande-t-il.

— Que les types de ton réseau n’aient prévenu le tireur et qu’il n’y ait opposition. C’était risquer gros.

Il a un rire que je ne lui connais pas. Un rire qui me glace le dos.

— Il faut risquer gros pour gagner gros. Moi aussi j’ai eu peur qu’il ne soit trop tard pour encaisser l’argent. Heureusement que ce sombre idiot est venu m’apporter le chèque lui-même !

Ils se marrent tous les deux.

— C’est vraiment inouï, gazouille cet enfant de garce. Il s’évade de prison, il brave tous les dangers pour nous apporter ce que nous désespérions de trouver !

Que dites-vous de ça, les mecs ? Il y a des surprises dans la vie. Des grandes comme ça, parfois ! Sacré Mathias, va ! En voilà un qui m’a bien eu. Et qui, d’autre part, a eu le Vieux ! Ce qui n’est pas fastoche, croyez-moi !

Je vois très bien l’ensemble de la combinaison maintenant. Il a su par les gens du réseau Mohari que Vlefta radinait avec des fonds… Effectivement, les mecs du réseau croyaient en lui. Seulement Mathias filait le grand amour avec Gretta et mijotait le gros coup. Il ne pouvait pas faire kidnapper et descendre Vlefta par ses boys à lui, le réseau aurait fait une enquête et trouvé ça bizarre. Il a eu l’idée de faire venir un type des Services Français. Il a tubé au Vieux qui m’a envoyé. J’ai été réceptionné en somme par Gretta et emmené dans une maison louée pour la circonstance. Oui, je vois… Je vois très bien. J’ai commis une erreur en m’étant cru empoisonné. Elle avait seulement forcé sur la dose de somnifère.