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Il était indispensable que je sois vivant lorsqu’on amènerait Vlefta dans la maison. Là on l’aurait abattu avec mon pétard et voilà pourquoi je l’avais sur moi. La police, prévenue, m’aurait découvert près du cadavre, l’arme à la main, arrosé de whisky… Ni vu ni connu… C’était le deuxième burlingue qui avait poivré l’Albanais et lui avait pris les papiers. Mathias et sa donzelle encaissaient le chèque. Mon « ami » envoyait les autres documents au Vieux, recevait les félicitations du jury et gardait ses deux postes délicats…

Je sens mes membres s’ankyloser. Nous roulons maintenant dans la campagne, je le sens à la vitesse et au bruit du vent miaulant contre le pare-brise.

— Crois-tu qu’il soit prudent de filer en Allemagne ? questionne Mathias.

— Evidemment. Quand on saura que tu as touché le chèque, mais que tu ne t’es pas rendu à l’ambassade de France, on comprendra ton rôle… Nous devons aller jusqu’à Hambourg… De là nous nous embarquerons pour les Etats-Unis sans trop de difficultés, tu verras !

Je me dresse brusquement, le revolver au poing, comme un diable sort de sa boîte.

— Vous prenez des voyageurs ? demandé-je.

Mathias décrit une embardée et la fille blonde pousse un cri. Dans le rétroviseur, je vois le visage de mon « collègue » devenir livide. Nous traversons une forêt de sapins. Un écriteau, en bordure de route, demande aux automobilistes de faire attention aux chevreuils.

— Arrête, Mathias !

Il freine. Ses mains tremblent sur le volant.

L’auto se range en bordure de la route blanche.

— Levez les pattes, tous les deux !

Ils obéissent.

— Mathias, lui dis-je, quand on choisit le métier qui est le nôtre, on doit oublier le fric ou on est foutu. C’est un sacerdoce, pas un moyen, tu comprends !

Il grommelle.

— Le frère prêcheur dans son sermon sur l’honnêteté !

— Mathias, tu es la plus lamentable ordure qu’un ramasseur de poubelles ait jamais coltinée. Pigeon et crapule ! Agent double et triple ! Crétin et malin !

— Oh, ça va !

— Seulement tu es tombé sur un bec, mon petit garçon ! Je connais mon métier. Je ne suis pas un génie, mais j’ai de la technique, ceci remplace cela…

Gretta a baissé la main. Elle a chopé un feu dans la poche de la portière.

Je pousse un grognement et mon arme aboie. La balle lui traverse la tempe et brise la vitre de son côté. Le corps de la fille glisse lentement contre Mathias…

Il est maigre, brusquement. Il pâlit, il fond.

Je le regarde avec commisération.

— Tu croyais m’avoir, hein ? Tu te servais de moi comme bouc émissaire.

Il ne répond rien.

— Allez, sors de là…

Il balbutie…

— Qu’est-ce que tu vas faire, San-Antonio ?

— Descendre madame… Elle devient dangereuse à véhiculer.

Il cherche à deviner mes vraies intentions sur mon visage, mais je lui oppose un regard hermétique.

— Allez, vite ! Je suis pressé. Attrape ta belle et porte-la dans le bois pendant qu’il n’y a personne.

Il obéit.

— N’essaie pas de fuir, Mathias, je tire plus vite que tu ne cours ! Et n’essaie pas de prendre ton feu, je tire en outre plus vite que toi !

Il descend de l’auto, moi sur ses talons. Il ouvre l’autre portière et tire Gretta. Des larmes coulent sur son visage exsangue.

— Tu l’aimais vraiment ?

— Oui, San-A. C’est elle qui a tout combiné, j’ai perdu la tête.

— Bon, chope-la et va !

Il la prend dans ses bras, sans répulsion, non comme on porte un cadavre, mais comme on trimbale la femme aimée…

Nous foulons des fougères sauvages… Nous entrons dans l’humidité sombre de la forêt. Une lumière d’église bleutée, douillette, aqueuse, baigne le sous-bois.

Je vois, à dix mètres, un taillis.

— Dépose-la là-dedans, Mathias.

Il s’avance en titubant, s’agenouille lentement et la dépose dans la broussaille emperlée de rosée.

Puis il se redresse, indécis, les bras ballants, la bouche entrouverte. Il me regarde. Je me tiens en face de lui, le revolver appuyé contre ma hanche…

— Qu’est-ce que tu vas faire, maintenant ? demande-t-il d’une voix déjà morte.

Je soupire, le gosier sec comme de l’amadou :

— Que veux-tu que je fasse ?

Je presse sur la gâchette jusqu’à ce que la détente de l’arme fonctionne à vide. Puis je la jette sur le corps de Mathias qui frémit dans les ronces.

Tête baissée, je reviens à l’auto. Je vérifie que le million et les papiers de douane s’y trouvent bien. Je me glisse derrière le volant. J’ai un poids dans la poitrine…

Cette bagnole ricaine est à embrayage automatique.

Je démarre tout doucettement. Il fait frais dans cette forêt… Une fraîcheur, non pas d’église, mais de caveau.

Je roule doucement, comme un homme qui se promène après avoir terminé son travail. Et le mien a été épuisant, déprimant.

Çà et là, des panneaux d’émail continuent de demander pitié pour les chevreuils.

Je les regarde tristement. Les gens de la Confédération sont bons pour les animaux. C’est entendu, amis suisses ; je vais faire attention aux chevreuils !

FIN