Выбрать главу

— Vous vous méprenez, je crois, sur la délicatesse de votre mission, San-Antonio. Il s’agit de… d’intercepter un homme entre l’aéroport et le centre de la ville. Or vous serez en Suisse, pays paisible, de jour, entouré de gens… Il faut un type comme vous pour réussir un tel exploit sans… sans casse. Car, vous le comprenez bien, au cas où il vous arriverait quelque chose, je ne pourrais rien pour vous !

Charmant.

— Bon, pardonnez-moi, chef. Comment reconnaîtrai-je le quidam ?

Il ouvre violemment l’un de ses tiroirs, au point que le casier manque de tomber. Il cueille une photographie épinglée à une feuille signalétique et me tend le tout.

— Voici sa photo et son portrait parlé.

— Merci…

Je regarde l’image. Elle représente un type au visage particulier. Il a un grand front bombé, sommé de courts cheveux crépus. Ses étagères à mégots sont larges et décollées. Ses yeux surmontés d’épais sourcils sont vifs, durs, intelligents… Ils me transpercent.

Quelle chiotte de métier, hein ? Voilà un tordu que je ne connais ni des lèvres ni de l’Isle-Adam et que je vais devoir transformer en viande froide dans un avenir immédiat !

— Vous êtes certain qu’il arrive à Berne demain matin ?

— Il a retenu sa place dans l’avion qui part ce soir de New York…

— On ne pourrait pas l’intercepter à Paris ?

— L’avion qu’il prend ne fait pas escale en France…

— Et s’il annulait son départ ?

— Je le saurais, quelqu’un le surveille là-bas…

— Ce quelqu’un ne pourrait pas… heu… se charger de ses funérailles ?

Encore une question malheureuse qui met le boss en rogne.

— Je n’ai pas besoin de vos suggestions, San-Antonio ! Si j’attends la dernière minute pour… intervenir, c’est qu’il ne m’est pas possible de le faire avant, croyez-moi !

— Ce que j’en disais…

— Demain matin à la première heure, appelez-moi. Je vous confirmerai s’il est bien dans l’avion…

— Bien, chef !

— Bon, maintenant, voici l’adresse de Mathias pour le cas où il vous serait impossible de… neutraliser Vlefta. L’avion atterrit à dix heures du matin. Mathias vous attendra jusqu’à onze heures… Si vous ne vous manifestez pas avant, il se rendra à la réunion fixée par les pontes du réseau… Réunion extraordinaire au cours de laquelle seront prises des dispositions capitales.

Je lis sur un carré de bristol :

— Pension Wiesler, 4, rue du Tessin.

— Vu ?

— Ça va, oui, patron…

— Alors voici votre billet d’avion, vous partez dans deux heures…

— Merci…

— Vous avez de l’argent ?

— Français, oui…

— Combien ?

— Une vingtaine de mille francs !

Il hausse les épaules et prend une enveloppe dans un classeur.

— Il y a cinq cents francs suisses là-dedans…

— Merci…

— Vous êtes chargé ?

Je tire mon P.38.

— Voici l’objet…

— Vous devriez passer au magasin pour y adapter un silencieux.

— C’est une idée…

Je serre sa main lisse.

— J’espère que ça se passera bien, San-Antonio.

— Je l’espère également, chef.

Je vais retrouver Pinuche au troquet d’en face.

— Tu prends quelque chose ? me demande-t-il.

— C’est fait : j’en ai pris pour mon grade !

— Je te disais qu’il était de mauvaise bourre ! Mission dangereuse ?

— Délicate, merci ! A propos, dans la journée, tu téléphoneras à Félicie pour lui dire que je m’absente deux ou trois jours. J’espère qu’on aura réparé ma ligne.

Pinaud me place séance tenante l’historique des P.T.T. depuis leur fondation. Je le stoppe au moment où il arrive à la collection de timbres de son petit-neveu.

— Excuse-moi, vieux, je dois me casser. Mais écris-moi la suite, je la lirai à tête reposée !

3

Je préfère vous dire tout de suite que l’avion n’arrange pas ma gueule de bois. Lorsque nous atterrissons à Berne, il me semble qu’on m’a dévissé et que je vais me disperser sur les trottoirs.

Je me baguenaude, sans bagages, les mains aux fouilles. Pas besoin d’emporter une cantoche militaire pour aller dessouder à la sauvette un monsieur qu’on ne connaît pas.

Comme, pourtant, il faut que je passe la noye quelque part, j’entre dans un bazar, j’achète une petite valise en carton gaufré et je descends dans un modeste hôtel près du Parlement.

Les employés doivent me prendre pour un petit voyageur de commerce français et ils manquent un peu d’entrain pour m’accueillir. Je loue une piaule modeste dans laquelle je vais déposer mon bagage bidon. Puis, l’après-midi étant bien entamé, je vais bouffer un morcif dans un petit restaurant voisin.

Tout en mastiquant, j’étudie la situation avec minutie. Me voici à pied d’œuvre. Je dois songer à ma mission et la préparer soigneusement, car elle est plutôt duraille. Parce qu’enfin, le Vieux n’a pas dû gamberger à bloc la façon dont elle se présente. Suivre un gars débouchant d’un avion et lui mettre un pépin dans le grelot, c’est facile dans la conversation. Mais dans la pratique, il en va autrement. Outre les difficultés élémentaires de ce travail, je dois aussi envisager plusieurs hypothèses : Vlefta ne voyage peut-être pas seul et sans doute sera-t-il attendu !

C’est drôlement chinois ! S’il est entouré de potes, je ne pourrai jamais le démolir. Ou alors je devrai faire le sacrifice de ma peau et agir gaillardement, à la Ravaillac, ce qui ne me sourit guère, comme dirait l’abbé Jouvence.

Au fond, le plus simple est de préparer l’opération en accumulant les précautions et d’attendre l’heure H pour improviser. Tout de même, un assistant m’aurait été utile en pareille conjoncture. Enfin, du moment que le Vieux n’a pas jugé utile de m’en adjoindre un !

Lorsque j’ai fini de morfiler, les conséquences de ma cuite sont complètement dissipées et je me sens en pleine forme.

Je vais dans un garage et je loue une voiture pour deux jours : une chouette Porsche couleur d’aluminium… Une idée commence à poindre dans mon cassis. Je suis vraiment l’homme qui remplace la cire à cacheter, croyez-moi. Lorsque je pars sur le sentier de la guerre, j’en profite pour élaguer les haies. C’est ce qui fait ma valeur. Pourquoi ai-je réussi dans ce sacré turbin ? Uniquement parce que j’ai du cran, des idées et une précision de montre ! (Au quatrième « top », il sera exactement l’heure d’aller boire un glass.)

Au volant de ma guinde, je retourne à l’aéroport, histoire de bien m’imprégner du parcours. Je me dis qu’il y a aussi une possibilité pour que Vlefta regagne le centre-ville par le car de l’aéroport ! Alors là, ce serait la supertuile !

Je reviens du terrain d’aviation en roulant à faible allure.

J’arrive à un carrefour et je me dis que c’est le coin idéal pour l’accomplissement de ma mission. Je m’arrête afin d’examiner les lieux en détail… Oui. C’est ce qu’il me faut !

Je gamberge un petit bout de moment et je retourne à mon hôtel après avoir laissé la Porsche à un parking. Ensuite, je vais m’acheter des lunettes à verres filtrants qui modifient un peu ma physionomie. Je fais l’emplette d’un imperméable blanc et d’un chapeau de feutre taupé verdâtre agrémenté d’une plume de faisan. Avec ça, je n’ai pas l’air d’un moulin à vent, mais je n’ai pas l’air d’un con non plus. Plutôt touriste allemand.