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On voit que la bonne est en java parce qu’il y a de la poussière sur toutes les surfaces lisses. On peut écrire son nom dessus.

— Excusez la poussière, fait-elle, je suis si peu ici…

Elle jette son sac à main sur un divan et ôte ses gants. Le silence et la pénombre sont capiteux. C’est du pousse-au-crime de first quality. Je vous défie de trouver dans tout Courcelles un cinq à sept plus grisant.

Je cramponne mon hôtesse par la taille qu’elle a fine et souple. Ma main libre fait l’inventaire de son corsage. C’est pas du Michelin ! Il contient tout ce qu’il faut pour empêcher ma conquête de bien tirer à l’arc.

— Comment vous appelez-vous, jolie madame ?

— Gretta !

— C’est merveilleux. Tous les prénoms en « a » sont mystérieux, parole d’homme !

— Vous trouvez ?

— Oui.

— Et vous, comment vous appelez-vous ?

— Norbert !

Je balance cette vanne au juger, estimant que c’est le genre de blaze qui doit la faire se pâmer. Ça biche…

Elle me tend sa bouche. Ses lèvres sont froides et fermes.

Je les réchauffe de mon mieux, les pauvres. Je pousse sournoisement la nana en direction du sofa. Elle entrave la manœuvre et proteste.

— Non ! Non ! Pas tout de suite ! Pas comme ça !

Comment faut-il lui servir ça, alors ? En hélicoptère avec les deux pieds dans une soupière et un cor de chasse dans la main ? J’aime pas tellement les compliquées. Parlez-moi d’une bonne petite travailleuse qui se met au boulot avec la volonté (j’allais dire inébranlable) de s’en payer une tranche et de ne pas publier le bonhomme dans ses prières !

Elle se coule hors de mes bras.

— Je vais préparer le thé…

— Oh ! Vous savez, je ne suis pas absolument porté sur l’eau chaude…

— Alors, que voulez-vous prendre ?

Mon regard lui apporte une réponse éloquente. Elle est toute confusionnée.

— Mais vous êtes un petit polisson !

Ce que les grognaces sont tartes quand elles s’y mettent ! Un petit polisson, moi ! Je vous demande un peu ! Elle a de l’imagination, Gretta !

— Un scotch ?

— Voilà qui est raisonnable !

En riant, elle va chercher une bouteille dans un placard et se dirige vers la cuisine.

— Seulement je n’ai pas de glace ! crie-t-elle à la cantonade. Mon frigidaire est débranché…

— Aucune importance, mon petit…

Elle revient, tenant deux verres dont l’un comporte une formidable rasade.

— Dites, c’est pour moi, tout ça ?

— Oui, moi je n’aime pas beaucoup le whisky ! Santé !

Elle a lancé ça d’une voix chantante. Je choque mon verre contre le sien et je déguste le breuvage. Son scotch n’est pas fameux, mais ça ne fait rien, car elle est assez jolie pour qu’on le lui pardonne.

J’en avale une seconde rasade et je pose mon verre sur la table basse du salon.

— Asseyez-vous…

Je me laisse choir sur le sofa. Elle vient se pelotonner contre moi et nous nous embrassons à bouche que veux-tu.

J’ai comme qui dirait de l’électricité au bout des salsifis… Je ne suis plus un homme, mais un transformateur… Ma main caresse un bas extra-fin tendu par un mollet parfait… C’est doux et c’est irritant à la fois. Je remonte… Elle proteste un peu parce qu’il faut bien sacrifier à l’hypocrisie qui régit la civilisation. Mais ma main remonte, remonte… Et voilà que soudain elle s’alourdit.

Je suis sans force. Un grand froid enserre ma tête. Bon Dieu, que se passe-t-il ? Je ne vais pas prendre un malaise ! Ça la foutrait mal.

Je retire ma main à grand-peine du charmant étau qui l’emprisonne… Je la porte à mon front. Bien que j’aie froid, il ruisselle de sueur.

Gretta me regarde :

— Ça ne va pas ?

J’ai la langue en plomb. Je réussis pourtant à répondre :

— Ce n’est rien…

Et puis je pige en découvrant les yeux de la femme blonde. Ses deux grands yeux myosotis ne sont pas inquiets mais scrutateurs. Ils me surveillent.

La colère parvient à m’insuffler des forces nouvelles.

— Espèce de garce… c’est vous qui…

Oui, c’est elle qui a foutu du bocon dans le whisky… Et moi, la bonne crêpe, j’ai avalé ça comme un œuf du jour ! Si on décerne un diplôme de la connerie, vous pouvez espérer que j’aurai le mien sans passer de concours. Dire que je croyais bêtement que la déesse en tenait pour ma géographie ! Non ! Ce que les hommes sont prétentiards !

A travers un brouillard qui s’épaissit rapidement, je distingue son sourire… Je vois arriver sa main vers moi. Une main fine, légère, qui pourtant possède une force peu commune puisqu’elle me fait basculer. Je tombe à la renverse sur le divan. Ça n’est pas Gretta qui est forte, c’est moi qui suis faible. Distinguo. Comme le dit si pertinemment Pierre Dac, il y a des gens qui s’imaginent que leur appartement est haut de plafond, mais en réalité, il est bas de plancher.

J’ai un geste de catcheur pour me redresser… Impossible. Tout mon individu est en plomb… Je pèse une tonne ! Dix tonnes ! J’ai la densité d’une baleine morte ou d’une charretée de fumier !

Le sourire de Gretta disparaît… Je perçois comme une lointaine sonnerie de cloches… Puis je cesse de fonctionner et c’est un lent vol plané dans le néant.

4

Lorsque je retrouve l’usage de mes facultés, je peux vous annoncer que mon réveil précédent, c’est de l’enfantillage à côté de celui-ci. Ma tête est comme une cage pleine de fauves affamés qui demandent à sortir… Ça remue, ça grogne, ça se bouscule là-dedans… J’ai mon compte !

Je suis dans l’obscurité intégrale. J’ai beau ouvrir les châsses, pas mèche d’en sortir… Je me fouille péniblement et je gratte une alouf. La petite flamme me découvre une cave vide munie d’une porte de fer. On a cimenté le soupirail et je suis là-dedans comme dans un tombeau.

L’allumette s’éteint, engloutissant le spectacle déprimant. Je gamberge, malgré les nausées qui me nouent les tripes. A chaque minute, j’ai une contraction de l’estomac qui me fait aller au refile… Une sueur glacée continue de couler sur mon front, mes dents sont remplacées par une poignée de sable et mon cœur bat de façon anormale…

Je pige que ça n’est pas un soporifique qu’elle m’a fait avaler, mais bel et bien un poison. Je suis encore vivant parce qu’il m’a terrassé au bout de deux petites gorgées. Si j’avais gobé la totalité du glass, je serais en train de me faire condenser un nuage par saint Pierre à l’heure où je vous parle.

Comprenant que je dois absolument évacuer cette saleté, si je veux m’en tirer, je me carre deux doigts dans la bouche et je fais ce qu’il faut pour libérer mon estomac de petit polisson.

Je suis un peu délabré après cette séance… Je remonte le col de mon imper et je m’acagnarde dans un coin du mur… Je dois attendre un peu que les forces me reviennent. Je reste un moment dans un état comateux, avec le cœur sur le ralenti. Et puis une pensée me traverse le bol et ça me ranime.

Je songe à mon ami Mathias… Si à onze heures je n’ai pas liquidé l’Albanais ou si je ne l’ai pas averti, il ira au rancard et se fera mettre en l’air !

Je regarde ma montre. Elle marque six heures… L’avion arrive donc dans quatre plombes ! Il faut que je sorte de ce sale trou. La garce m’a traîné là, me croyant à l’agonie… Pour le compte de qui a-t-elle agi ? Qui donc m’a repéré et a voulu se débarrasser de moi ? Voilà un drôle de mystère que je devrai élucider un jour proche…