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Un haut-parleur annonce que mon train est en formation sur la voie K. Je m’y dirige et je grimpe dans un wagon de seconde classe. Je lance la serviette vide dans un filet et je me mets à suivre le couloir jusqu’à un wagon de première.

Le train est presque vide. Je choisis un compartiment désert et je me mets tout contre la portière du couloir, le dos vissé à la banquette. Il me suffit de pousser un tantinet le rideau de gros drap masquant la vitre pour me rendre invisible depuis le couloir. Si des matuches « font » le train, il y a quinze chances pour une pour qu’ils se contentent de jeter un simple regard de l’extérieur… Ils ne me verront pas…

J’attends, la gorge serrée dans un étau. Il y a chez un vrai poulet une espèce de métronome qui se met à fonctionner dans son crâne dès que se précise une sensation de péril.

J’attends. Ma raison me dit qu’il ne peut plus rien m’arriver, mais mon instinct me brame « vingt-deux » dans les éventails à libellules.

Quelques minutes s’écoulent. Des voyageurs montent dans le train. J’en entends qui s’installent dans le compartiment voisin et qui se mettent à jaspiner en suisse allemand. Quelque part, un mouflet pleure (en suisse allemand aussi). Des heurts… Des cris… Des halètements… Bref, tous les bruits merveilleux d’une gare. Merveilleux, car ce sont des bruits de vie ! Des bruits qui enivrent.

Je me sens un brin pâlichon des genoux. J’ai l’estomac qui fait bravo et un froid sournois plaque sur ma terrine un masque astringent. J’attends… Je file un regard oblique à ma tocante. Elle n’est pas suisse, mais elle indique l’heure tout de même.

Je constate que mon bolide va décarrer dans treize minutes. Espérons que ce nombre ne me portera pas la cerise…

Je déguste par avance le soupir de soulagement que je pousserai lorsque j’aurai franchi la frontière.

Oh les mecs ! cette délivrance ! Je m’allongerai sur la banquette et j’en écraserai. Car enfin, je n’ai pas eu beaucoup de repos durant ces vingt-quatre heures !

J’ai été empoisonné et emmuré… J’ai tué un homme après avoir provoqué un accident d’autos… J’ai…

Je porte la main à mon portefeuille. J’ai non seulement accompli mon turbin, mais chouravé cent briques à nos ennemis…

Seulement, parviendrai-je à la passer, cette sacrée frontière ? Les employés de la maison pébroque sont maintenant en possession de mon signalement complet. D’heure en heure, ma bouille a dû se préciser pour eux. Entre les témoins de l’assassinat, les loueurs de voitures, les gars de l’hôtel où j’ai retenu une piaule qui ne m’a pas servi, la serveuse du bar de l’aéroport, mon portrait parlé s’est constitué, plus vrai que nature !

Brusquement, j’éprouve comme un pincement à la nuque. J’entends des pas dans le couloir. Des pas qui s’arrêtent devant chaque compartiment… J’entends s’ouvrir les portes et je les entends se refermer sans qu’une parole soit proférée. Pas de doute… C’est une patrouille de bignolons… Je me fais tout petit, tout petit ! Si ça continue, je vais finir par faire partie du capitonnage de ma banquette. Ce serait pour l’instant mon rêve le plus cher.

Les pas approchent. Je vois bouger la poignée de la porte à glissière. Une main puissante la tire en arrière et la lourde s’ouvre brutalement. Je ferme les carreaux et fais semblant d’en écraser… Entre mes cils baissés, je distingue deux visages fermés. Ce sont deux des poulets aperçus au buffet.

Ils regardent et m’examinent. L’un d’eux entre dans le compartiment. L’autre reste dans l’encadrement de la porte. Celui qui vient d’entrer me touche le bras en disant quelque chose en allemand. Je sursaute comme un homme réveillé. Je lui fais un très joli sourire de cent quarante de large.

Puis, comme rappelé à une réalité élémentaire, j’extrais mon billet et le lui tends comme si je me méprenais sur la nature de ses fonctions.

Ça manque réussir. Il est un tantinet désarçonné, le costaud. Visiblement, il n’a pas inventé l’appareil à sculpter les éponges. Il quête un avis de son collègue, lequel paraît plus vachard. Ce dernier a un hochement de tête qui m’est fatal…

Il s’avance aussi dans le compartiment. Pas d’erreur, mes agneaux, c’est le commencement de la fin. Avec ce que j’ai sur moi, je suis certain de filer droit à la maison aux mille lourdes de Berne.

— Vous désirez ? demandé-je d’un ton impatient.

— Présentez-moi vos papiers !

Naturellement, pour accomplir ce turbin délicat, j’ai pris une identité bidon. Mais en cette minute, je le regrette, parce que si je pouvais leur exhiber mes fafs de mathon, ils feraient camarade, les collègues bernois.

Le suspicieux, un garçon blond à la mâchoire carrée et aux cheveux coupés courts, examine mes papiers.

Il a un signe éloquent pour son copain. L’armoire se met en devoir de me fouiller. Caramba ! Moi qui ai conservé la pétoire de l’attentat ! Sa grosse paluche de broyeur de gueules va droit sur le renflement de mon costar. Il pêche la seringue avec une promptitude déconcertante.

L’autre a déjà tiré des menottes et s’apprête à me les passer. C’est le moment de tenter ma chance à la Loterie nationale, vous ne pensez pas ?

Le moment, en tout cas, de chanstiquer l’ordre des facteurs !

Je me jette en arrière, replie simultanément mes guiboles et balance un coup de pied à la lune dans les mandibules de l’homme aux poucettes. Il prend mes quarante-trois d’homme sérieux en pleine poire et ses ratiches se mettent à jouer Pars sans te retourner au xylophone. L’autre, le costaud, me colle un une-deux à l’estomac qui me retourne l’intérieur comme on retourne un pull-over et me rend tout chose.

Je m’abats, momentanément cisaillé. Le gros reprend de l’élan pour me donner un nouvel échantillon de ses connaissances pugilistes ! Je ramasse un crochet à la pommette, un direct au front et je me mets à compter des nébuleuses… Le perdreau que j’ai assaisonné est assis en face de moi, la bouche en sang. Il s’extrait les chailles, les unes après les autres, comme on effeuille une marguerite, et les pose sur la banquette.

Ce spectacle le déprime, mais galvanise son coéquipier qui revient à la charge, plus fringant qu’un taureau. Il va pour me pêcher une nouvelle fois et, comme il entend que ce soit la grosse dose de soporifique, il y met tout le pacson. Malheureusement pour ses phalangettes, j’ai le réflexe de tirer ma hure de son champ et son poing monstrueux s’abat sur un coquet paysage représentant un moulin à vent sur un horizon de tulipes. La Hollande fait mal lorsqu’elle est reproduite sur une tôle émaillée. Le méchant assommeur émet un gémissement qui fendrait l’âme d’un percepteur.

Du coup, sa souffrance me sort de ma léthargie. Je lui plombe un coup de boule dans la boîte à ragoût. Il part en arrière. Nouveau coup de pied à la lune, mais, comme je manque de recul, au lieu de prendre ça à la mâchoire, il le bloque dans cette partie de son individu où sont rassemblés les accessoires lui permettant de perpétuer son nom. Un coup de latte à cet endroit fait plus de mal qu’un coup à l’amour-propre… Il émet — je m’excuse auprès des petites natures — un affreux borborygme et se répand dans la travée du compartiment.

Moi, je l’enjambe et fonce dans le couloir. L’homme à la ganache perturbée oublie ses ratiches sur la banquette pour se lancer à ma poursuite… J’ai cinquante centimètres d’avance, pas plus… Comble de pommade, le wagon est encombré. Je cramponne une dame veuve par son voile de crêpe et je la balanstique dans les bras de mon poursuivant qui paraît avoir l’honneur de lui demander sa main. Il l’obtient, mais sur le groin, car la vioque est en pétard. Si elle aime le tennis, ça n’est pas pour tenir lieu de balle.