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Foudroyé, il releva les yeux et grimaça de désespoir en découvrant la source du braiment : Judy Collier, une fillette maigrichonne d’environ quatorze ans, aux cheveux comme des baguettes de tambour, dont la famille s’était jointe à l’équipage cinq ans TS[2] plus tôt.

En fait, pour cette société en modèle réduit du vaisseau, dans lequel les cellules familiales avaient tendance à se raffermir, allant même parfois jusqu’à l’autarcie, les Collier faisaient encore figure de nouveaux venus. Ils s’étaient pourtant, jusqu’alors, remarquablement intégrés.

— Tu vas manger ? demanda-t-elle.

— Dans le mille ! répondit Alan, sans pour autant s’arrêter de marcher dans le couloir au revêtement de plastomousse.

Elle se mit à trottiner derrière lui, un pas ou deux en retrait.

— C’est ton anniversaire, aujourd’hui, c’pas ?

— Encore dans le mille, répéta Alan un peu plus sèchement.

Il sentait tout à coup l’irritation le gagner : sans qu’il sût le moins du monde pourquoi, Judy s’était bêtement entichée de lui lors du dernier voyage pour Alpha C, et depuis, elle se débrouillait toujours pour lui coller aux basques où qu’il aille, le bombardant de questions. Pour Alan, hautain, ce n’était qu’une insupportable petite bécasse.

— Joyeux anniversaire ! gloussa-t-elle. Je peux te faire la bise ?

— Non ! (La réponse d’Alan était catégorique.) Et fais donc attention que je n’envoie pas Ratt’ s’occuper de toi.

— Peuh ! Je n’en ai pas peur de ta bestiole, rétorqua-t-elle. Même qu’un de ces jours, je vais la balancer par le vide-ordures, comme une vermine puante qu’il… Aïe !

— Qui est une vermine puante ? demanda une voix flûtée et narquoise, à peine audible, qui montait du sol.

Alan baissa vivement les yeux, pour découvrir Ratt’, compagnon plutôt qu’animal familier, ramassé sur lui-même aux pieds de Judy, et qui lorgnait malicieusement la cheville nue et anguleuse de l’adolescente en clignant de ses perçants petits yeux rouges.

— Il m’a mordue ! pleurnicha Judy, faisant mine d’écraser du pied la petite créature.

Mais Ratt’, d’une cabriole espiègle, bondit lestement de côté, agrippa le pantalon d’uniforme d’Alan, et de là, escalada le jeune homme à toute allure jusqu’à son perchoir favori : l’épaule de son maître.

Judy, frustrée, lui adressa un geste de menace, tapa du pied, puis, furieuse, se rua vers l’entrée du mess. Alan, riant sous cape, prit le même chemin et se trouva une place sur le banc correspondant à son grade parmi l’équipage.

— Merci, mon pote ! souffla-t-il au petit être blotti sur son épaule. Cette gamine commence sacrément à m’enquiquiner !

— C’est bien ce que j’avais cru comprendre, fit Ratt’ de sa voix évoquant un pépiement d’oiseau. Et de plus, je déteste la manière dont elle me regarde. C’est exactement le genre d’humaine qui adorerait vraiment me jeter dans un vide-ordures.

— Ne t’en fais pas. Si jamais elle s’avisait de faire ça, je veillerais personnellement à ce qu’elle te suive dans les plus brefs délais !

— Ça me ferait une belle jambe, grommela Ratt’, tandis que le petit déjeuner d’Alan s’avançait sur le tapis roulant plastifié venant de la cuisine.

Alan, riant toujours, s’empara vivement du plateau de victuailles fumantes. Il versa un peu de son synthorange dans une petite soucoupe à l’intérieur de Ratt’ et se mit en devoir d’engloutir son repas.

Ratt’ était originaire de Bellatrix VII, une planète de la taille de la Terre, balayée par les vents, qui gravitait autour de la plus brillante des étoiles de la constellation d’Orion. Il faisait partie d’une des trois espèces intelligentes qui partageaient ce monde avec une poignée de colons terriens.

C’est un peu avant la naissance d’Alan que le Valhalla s’était élancé pour le long périple vers Bellatrix, située à deux cent quinze années-lumière de la Terre. Là, le capitaine Donnell avait su gagner l’amitié du petit extraterrestre et l’avait ramené avec lui lorsque, pour le Valhalla, vint le jour de retourner sur Terre pour remplir un nouveau contrat.

Ratt’ avait d’abord été le familier du capitaine, qui l’avait ensuite offert à Alan pour son dixième anniversaire. Il ne s’était jamais très bien entendu avec Steve, et plus d’une fois, s’était trouvé au centre de querelles envenimées par la jalousie entre les deux jumeaux.

Ratt’ portait bien son nom : avec ses petits yeux sagaces et pétillants, et sa queue ondulante et recouverte d’écailles, il ne ressemblait à rien tant qu’à un petit rongeur au pelage bleuâtre ou violine. Mais il parlait couramment le terrien, et sous tous rapports, c’était un être intelligent, loyal et aimable.

Tous deux mangeaient en silence. Alan en était à la moitié de son bol de protimix lorsque Art Kandin se laissa tomber juste en face de lui sur un banc. Le premier officier du Valhalla était un gros bonhomme au visage rondouillard, sur qui reposait la tâche délicate de transformer les directives concises, parfois même sibyllines du père d’Alan, en actions concrètes faisant vivre le vaisseau.

— Le salut, Alan ! Et… bon anniversaire !

— Merci, Art. Mais comment se fait-il que tu sois là à te balader ? J’aurais pensé qu’aujourd’hui plus que jamais, tu serais aussi affairé qu’une taupe des sables de Mars ! Qui donc programme l’orbite d’atterrissage, si tu es ici ?

— Oh ! il y a longtemps que c’est fait ! répliqua Kandin d’un ton allègre. Ton père et moi sommes restés toute la nuit à pied d’œuvre pour établir tout le processus d’atterrissage.

Il se pencha pour attraper Ratt’ sur l’épaule de son maître et se mit à le gratouiller de l’index. La petite créature lui répondit par un mordillement affectueux de ses petites dents aiguës.

— Je prends ma matinée, poursuivit Kandin. Tu n’as pas idée de ce que c’est bon de simplement rester là, tranquillement assis, à ne rien faire, alors que tout le monde s’agite et travaille… Ça change !

— À quelle heure est fixé l’atterrissage ?

— À 17 53 exactement. Tous les calculs sont terminés. Nous sommes d’ores et déjà sur orbite d’approche mais les stabilos gravitiques nous empêchent de le sentir. Nous toucherons le sol en fin d’après-midi et pénétrerons demain dans l’Enclave.

Le regard de Kanvin, posé sur Alan, se fit soudain méfiant.

— Toi, tu mijotes de rester dans l’Enclave, non ?

Alan laissa retomber sa fourchette avec un tintement sonore et son regard se planta droit dans celui du premier officier.

— Ah ! ben ça, pour un vanne ! Tu fais allusion à mon frère, c’est ça ?

— Qui ne le ferait ? demanda posément Kandin. Le propre fils du capitaine qui joue les filles de l’air ! Tu ne peux même pas imaginer combien ton père a souffert quand Steve a déserté. Il n’en a pas dit un mot, n’en a rien laissé paraître, mais moi, je sais quel choc ce fut pour lui. C’était une atteinte directe à son autorité paternelle, tu penses bien, et c’est pour ça qu’il en fut tellement bouleversé. C’est un homme qui n’a pas l’habitude qu’on le traite par-dessus la jambe.

— Je sais ! Ici, il tient les rênes depuis si longtemps, chacun appliquant ses ordres à la lettre, qu’il doit lui être impossible de concevoir que quelqu’un lui désobéisse et abandonne le vaisseau… à plus forte raison, son fils !

— J’espère que toi, au moins, tu n’envisages pas de…

Alan lui coupa la parole :

— Je n’ai besoin d’aucun conseil, Art. Je sais ce qui est bien ou mal. Mais dis-moi franchement : est-ce mon père qui t’a envoyé pour sonder mes intentions ?

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2

TS = Temps spacio.