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Alan fit le tour du vaisseau, le contemplant avec tout le respect qu’il eût manifesté envers le char d’un pharaon. Il paraissait incroyablement ancien ; c’était une relique surgissant du passé le plus reculé, vestige de cette époque lointaine pendant laquelle James Hudson Cavour avait vécu, espéré, travaillé. Cavour avait lui-même piloté cet engin. Alan se sentait terriblement intimidé. Dire que cet ensemble d’entretoises, de longerons, de tôles recourbées, de boulons, de rivets, lui avait permis de naviguer dans l’espace ! Jusqu’à Vénus… Jusqu’au destin qui l’attendait en ces lieux, quel qu’il fût…

Mais de la présence même de Cavour, nulle trace dans les environs immédiats de l’astronef. Alan se glissa à l’intérieur de la carcasse, aux aguets, frissonnant un peu dans son spatiandre à la vue de ce fantôme creux, dépouillé, qui autrefois, avait défié le vide sidéral… L’impitoyable morsure du temps avait fait son œuvre. Il n’avait jamais réalisé qu’elle pouvait être si impitoyable.

Et Cavour ? Qu’avait-il bien pu advenir de Cavour ?

Les restes des échelles de coupée, des passerelles, oscillaient au-dessus de lui, mais Alan n’essaya pas de monter. Il ne semblait pas qu’il y ait grand-chose à en tirer, et ces bouts de métal rouillé paraissaient difficilement capables de supporter son poids. La pensée de tomber, de se casser une jambe en touchant le sol de ce monde où il n’y avait que lui de vivant, puis de ramper désespérément dans ce désert dont la désolation dépassait l’imagination, ne lui souriait pas particulièrement.

Il abandonna l’épave pour se diriger vers l’entrée de la caverne qu’il avait détectée au sonar, un tout petit peu plus loin. Alan dut se courber pour y pénétrer ; il alluma sa torche. Il se trouvait dans une sorte d’antichambre dont la hauteur ne dépassait pas un mètre cinquante, et large de trois environ. Poussant plus avant, il pénétra dans une pièce étroite, au plafond encore plus bas. Elle semblait orientée vers la falaise qui dominait le site d’atterrissage. Alan poursuivit sa progression à quatre pattes.

Une dizaine de mètres, puis vingt, puis trente…

Puis le plafond se releva suffisamment pour qu’il puisse se tenir debout. Il balada le rayon de sa lampe autour de lui et découvrit une chambre circulaire, plutôt bien aménagée et de taille confortable.

Sur sa gauche se trouvait une grosse machine rectangulaire, percée par la corrosion. Un générateur d’atmosphère, peut-être ?… À droite, il y avait un tas d’accessoires abîmés qui auraient pu être les éléments d’une espèce d’ordinateur primitif. Vers le fond de la caverne, Alan distingua des lambeaux de plastique jaunis : sans doute les vestiges d’une chambre atmosphérique où un homme aurait pu vivre sans spatiandre. Le sol sablonneux de la grotte était parsemé de débris d’outils dont certains si tordus, qu’il ne put les reconnaître, et d’autres d’aspect pratiquement neuf. Il se pencha pour ramasser une clef à molette brillante, mais le temps l’avait soudée au sol.

Alan, angoissé par l’impression d’être un profanateur, s’avança lentement dans la direction de la chambre atmosphérique. Deux grandes échardes de plastique en forme de crocs lui barraient le passage, mais il n’eut qu’à leur effleurer pour qu’elles tombent en poussière comme un chapelet de bulles crevées. Et il entra.

Un squelette était pelotonné contre le mur opposé de la grotte, à côté des restes d’un pupitre de commande éventré.

Cavour avait bien atteint Vénus. Mais il n’en était jamais reparti.

Alan songea qu’il aurait dû dire quelques paroles, au moins une courte prière pour le repos de l’âme de Cavour… Mais à tout bien réfléchir, le geste semblait futile ; et de toute façon, il se sentait incapable de trouver ses mots. Il resta un long moment immobile, à fixer cette cage thoracique, ce crâne blanchi, ce minuscule tas de calcium solidifié qui avait été un être humain de grande valeur. Comment était-il mort ? Vite, lentement, avec douleur, tranquillement ? Sur le coup ? Par désespoir ? À cause de son âge ? De la faim ?

Le jeune homme s’approcha. Il crut distinguer, derrière le squelette, un objet, peut-être un coffret métallique… Mais pour s’en saisir, il lui fallait déranger les ossements, et il hésita. Sa main s’avança, se retira, resta suspendue un instant… « Tout cela est terriblement macabre, se dit-il. Mais cette boîte peut être incroyablement importante. Il faut que je sache. Qu’est-ce que Cavour lui-même aurait dit en voyant qu’on faisait tant d’histoires autour de quelques ossements ? »

Prudemment, il frôla l’épaule du squelette. Les os tremblèrent, puis s’écroulèrent, soulevant un petit nuage de poussière. Il se força à tendre la main au travers du fragile enchevêtrement et ramena…

Ce n’était pas une cassette. C’était un robuste livre, recouvert par deux plaques de métal. Par quel miracle avait-il défié les siècles, dans cette calme grotte où tout le reste semblait délabré ?…

Tout doucement, maîtrisant les tremblements de ses doigts, Alan ouvrit le volume. Lorsqu’il la toucha, la couverture se détacha et tomba. Il tourna les trois premières pages : elles étaient vierges. Mais sur la quatrième était écrit, dans cette écriture petite et volontaire qu’il connaissait bien :

Journal de James Hudson Cavour – Volume 11 – 20 octobre 2570 au…

Il refréna la tentation qui le démangeait de lire plus avant. Il referma soigneusement le livre. Puis, le ressentant comme une sorte de devoir envers le mort, Alan dégagea l’un des outils du sol, s’agenouilla, et creusa une excavation peu profonde dans le sol sablonneux de la grotte. Il poussa les restes du squelette vers le trou ; mais la plupart des os se réduisirent en poussière dès qu’il les toucha.

« De la poussière tu es issu, songea-t-il, et poussière tu redeviendras. » Il reboucha le trou, lissa le sable et traça du manche de son outil, les trois lettres « J.H.C. » dans le sable.

Serrant amoureusement le livre dans ses bras, il rampa hors de la caverne et refit le pénible chemin le ramenant au vaisseau.

Il n’osa pas manipuler le volume de ses propres mains. L’astronef disposait d’un appareillage bien plus délicat pour tourner les pages si fragiles une à une, en analyser le texte, et, de plus, lui fournir une copie lisible. Il activa l’anallecteur et observa les habiles petites aiguilles qui commençaient à séparer les pages ; puis il dut attendre. Il pouvait à peine respirer tant son excitation était grande. Enfin, page par page, la copie se mit à défiler sous ses yeux.

Au cours des six jours que durèrent son retour vers la Terre, Alan lut les derniers écrits de Cavour un bon millier de fois, pour revivre le voyage du vieux savant vers Vénus.

La navigation s’était déroulée sans encombre. Il s’était posé précisément à l’endroit choisi, puis avait aménagé sa caverne pour pouvoir y habiter dans un confort relatif.

Mais, d’après ce qu’on pouvait lire dans son journal, il sentait ses forces l’abandonner de jour en jour.

Il avait alors plus de 80 ans et n’était plus d’un âge permettant de venir vivre seul sur une planète aussi rude et inconnue. Il ne lui restait plus que de menus détails à mettre au point pour terminer son astronef expérimental, mais il n’avait même plus la force d’y travailler. Maintenant qu’il avait la possibilité d’œuvrer en paix, il n’était plus capable de se hisser sur la passerelle, de souder, de monter ses circuits… Il ne parvenait pas à atteindre le but qu’il s’était fixé.