Выбрать главу

— D’accord ! dit-il enfin. Comme à l’accoutumée, vous êtes la sagesse même, et moi, je ne vois pas plus loin que le bout de mon nez. Nous allons engager un mathématicien.

— Des mathématiciens ! corrigea Jesperson.

— Des mathématiciens.

— Et des ingénieurs, et des physiciens, et un type capable de vous monter un laboratoire. Et puis un roboticien qui pourra vous dire comment et quoi programmer. Et puis aussi…

— Mais où trouverai-je l’argent pour tout ça ?

— Ça, c’est moi qui m’en charge.

Au début, Alan se sentit un peu comme la cinquième roue du carrosse. Il avait toute une équipe avec lui, à présent : six hommes pour commencer, puis neuf, onze, et finalement quatorze. Un directeur de production s’occupait de la coordination. Jesperson faisait rentrer des sommes considérables, en jouant sur de mystérieuses manipulations financières qui, d’une manière ou d’une autre, arrivaient encore à faire fructifier le capital d’Alan malgré les énormes ponctions auxquelles celui-ci se livrait. C’était une bonne équipe, capable et motivée ; mais, lui, à quoi servait-il vraiment ? Il n’était pas un savant. Sûrement pas un financier. Encore moins un mathématicien ! Il n’était qu’un Spacio qui avait échoué sur Terre, plus jeune que quiconque travaillant pour lui, et qui amenait l’argent pour un ouvrage auquel d’autres s’attelaient. Et encore, ce n’était même pas véritablement son argent. Hawkes l’avait gagné et Jesperson le faisait rapporter !…

Durant les deux ou trois premiers mois, ce genre de pensées plongeaient constamment Alan dans la déprime. Il lui arrivait de ne pas mettre les pieds au laboratoire pendant trois jours de suite, avec la sensation qu’il n’avait rien à y faire. Mais son état d’esprit se modifia progressivement. Sa manière de voir les choses ne fut pas altérée par un événement particulier ; elle se transforma, au contraire, par l’accumulation d’une infinité de petits détails.

Il en vint à considérer que sans lui, sans son obsession du voyage supraluminique, rien de tout cela n’aurait existé maintenant.

Il avait pourchassé la théorie de Cavour sur deux planètes. Il avait persisté à croire en quelque chose que le monde entier avait considéré comme une fantasmagorie. Il avait rassemblé cette équipe, et il en était le trait d’union.

De plus, il participait de plus en plus au travail. Si toute la partie mathématique se jouait à mille lieues de sa compréhension, il n’en était pas de même pour le côté technique. Il tenait sa place, travaillant avec les robots, au fur et à mesure qu’ils transformaient des calculs écrits en instruments bien réels. Chaque petite crise, chaque petit triomphe le trouvait solidaire. Il appréciait, vite, et plus d’une fois, il vit le premier comment sauter un obstacle, d’une façon que les autres, de formation technique plus conventionnelle, n’auraient pas osé tenter. Lorsque le projet eut six mois d’existence, Alan avait cessé de se sentir inutile. Il était la clef de voûte, et chacun en était conscient.

Ils avaient maintenant quitté leurs locaux provisoires pour emménager dans un bâtiment moderne de fière allure, à environ cent soixante kilomètres de York. Alan l’avait nommé Laboratoire Max Hawkes. L’équipe formée par Alan travaillait là, sans ménager le temps ni la peine, cherchant à construire ce que Cavour avait écrit, à force d’expérimentations. Au début, chaque jour les voyait se fourvoyer dans une impasse ou tomber dans un piège.

Au début de l’année 3881, le premier générateur Cavour expérimental était terminé. Les techniciens du labo auraient voulu passer à la phase des essais dès que le dernier module était connecté, mais Alan décida que le reste de la journée devrait être consacré à se détendre.

— Si nous avons attendu aussi longtemps, fit-il, nous pouvons bien nous octroyer quelques heures de repos avant la tentative !

Le lendemain matin, l’équipe tout entière était là pour y assister. Ils avaient placé le générateur expérimental dans un abri souterrain à quelque huit cents mètres du labo principal. Les forces qu’ils manipulaient étaient redoutables et Alan ne voulait prendre aucun risque. Ils procéderaient à l’expérience par télécommande, depuis le laboratoire.

Alan en personne actionna le premier commutateur mettant un générateur de distorsion spatiale en marche. Un circuit fermé vidéo relayait les images de ce qui se produisait dans la salle du générateur.

Les contours de l’appareil perdirent de leur netteté, tremblotèrent, puis il parut perdre sa matérialité et devenir de moins en moins réel au fur et à mesure qu’ils augmentaient la puissance. Soudain, il disparut…

Il resta invisible une quinzaine de secondes pendant lesquelles près de cent chercheurs s’arrêtèrent de respirer. Et tout à coup, il reparut, mais plus comme une ombre fantomatique de lui-même que comme un objet solide. Alan crispa encore plus étroitement les mains sur les commandes et poussa la puissance. Mais il n’y put rien changer. L’effet Cavour s’estompait progressivement ; le générateur réintégrait peu à peu leur continuum. Il fut bientôt complètement visible, malgré une telle puissance que les lumières s’étaient considérablement affaiblies. Les aiguilles des différents cadrans s’affolaient et les disjoncteurs se déclenchèrent un peu partout dans le laboratoire.

Les centrales auxiliaires relevèrent le niveau de charge dans le bâtiment principal et les lumières se rallumèrent. En dépit de son embarras, Alan se força à sourire.

— Bon ! C’est déjà un début, non ? Nous avons réussi à faire disparaître le générateur et c’était le plus dur ! Maintenant, nous n’avons plus qu’à nous attaquer au modèle numéro 2.

À la fin de l’année, le modèle numéro 2 était achevé ; les essais furent menés avec des précautions décuplées. Cette fois encore le succès ne fut que partiel, mais Alan ne fut pas plus déçu qu’à la première tentative. Il avait établi un programme précis dans le temps, et un succès prématuré n’aurait réussi qu’à lui rendre les choses plus ardues.

L’année 3882 s’écoula. Puis 3883. Il avait à peine eu ses vingt ans, qu’il était déjà un personnage influent et renommé sur toute la surface de la planète. Grâce à la sagacité de Jesperson, il avait bâti, à partir d’un million de crédits légué par Max, une fortune considérable dont la plus grande partie était consacrée à la recherche sur l’hyperspace. Mais Alan Donnell ne s’attirait pas le dédain caustique qu’avait subi Cavour. Personne ne se serait permis de rire de lui lorsqu’il annonçait que, courant 3885, la navigation hyperspatiale serait devenue une réalité.

3884 appartint vite au passé. Les temps seraient bientôt venus. Alan passait pratiquement tout son temps au centre de recherche, participant à toutes les expériences, les unes après les autres.

Le 11 mars 3885, l’équipe se livra à l’ultime essai : il fut concluant. Le vaisseau d’Alan, le Cavour, avait été entièrement reconstruit afin de recevoir ce nouveau système de propulsion. Toutes les expériences avaient été menées à bien, sauf une…

Ce dernier test, c’était de naviguer réellement dans l’espace en hyperpropulsion. Et là, Alan fut intraitable : ne tenant aucun compte de l’opinion de ses amis, il exigea d’être le premier homme à piloter le Cavour dans l’espace.