Выбрать главу

— Juste une mesure de sécurité préventive, s’excusa le médic en pénétrant dans la chambre d’Alan, coiffé d’un casque spatial. Nous avons vraiment pris une bonne leçon quand nous avons réalisé que tout ce que contenait ce vaisseau en provenance d’Altaïr était porteur d’un germe terriblement contagieux !

L’homme sortit une espèce de petite caméra qu’il braqua sur le garçon, tout en enfonçant un bouton. L’engin se mit alors à ronronner sourdement et Alan se sentit soudain baigné par une étrange sensation de chaleur.

— Ce n’est qu’un petit examen de routine, expliqua à nouveau le médic d’un air contrit.

D’une pichenette, il releva une manette sur l’arrière de la caméra. Le vrombissement cessa brutalement et un ruban se dévida sur le côté de l’appareil. Le médic en prit immédiatement connaissance.

— Rien qui cloche ? s’enquit Alan d’une voix soucieuse.

— Pour moi, tout a l’air correct. Mais vous devriez prendre garde à cette caverne, dans la dent de sagesse du haut, à droite. À part ça, vous avez l’air en pleine forme !

Il rembobina le ruban.

— Vous autres, les Spacios, vous n’avez donc jamais l’occasion de suivre un traitement fluorhydrique ? Certains d’entre vous ont les dentitions les plus catastrophiques que j’aie jamais vues !

— Jusqu’ici, nous n’avons pas eu la possibilité de bénéficier de la fluorisation. Notre astronef a été construit avant que l’on équipe les circuits d’alimentation d’eau potable d’enrichisseurs en fluor, et puis, en effet, pour une raison ou pour une autre, nous ne trouvons jamais le temps de nous lancer dans une cure, lors de nos escales sur Terre. Euh… c’est tout ce que j’ai ?

— C’est tout ce que je suis à même de détecter au vu de cette bande-diagnostic. Mais il faudra attendre les résultats complets du labo avant que je puisse vous libérer de votre quarantaine, bien entendu !

À cet instant précis, il remarqua Ratt’, perché dans son coin.

— Et ça ? Il va falloir que je l’examine aussi !

— Je ne m’appelle pas « ça » ! fit observer Ratt’ sur un ton glacial de dignité outragée. Je suis un être intelligent, un extraterrestre originaire de Bellatrix VII et je ne suis porteur d’aucun germe pathogène qui puisse particulièrement émoustiller votre conscience professionnelle !

— Un rat qui parle ! s’exclama le médic sidéré. Bientôt, on va voir débarquer des amibes douées d’émotions ! Il dirigea la caméra sur Ratt’. Je suppose qu’il me faut vous considérer comme un membre de l’équipage, poursuivit-il.

L’appareil se remit à ronronner.

Lorsque le médic fut sorti, Alan essaya de se rafraîchir au lavabo. Il venait brusquement de repenser au bal prévu pour le soir même.

Tandis qu’avec des gestes empreints de lassitude, il finissait machinalement de se débarbouiller, il réalisa soudain qu’il ne s’était pas avisé de toucher un mot à l’une ou l’autre des sept ou huit filles de l’équipage qu’il avait envisagé d’inviter.

Il sentit alors monter en lui une étrange impression de malaise, une sorte de tristesse découragée. « N’était-ce pas ce qu’avait éprouvé Steve ? » se demanda-t-il. L’insurmontable envie de faire sauter le couvercle de cette boîte-de-conserve-prison-de-ferraille qu’était le vaisseau, et de s’enfuir pour enfin réellement voir le monde ?

— Dis-moi, Ratt’, si tu étais à ma place…

— Moi, si j’étais à ta place, je me dépêcherais de me mettre sur mon trente et un pour aller à ce bal, répondit Ratt’ sur un ton n’admettant aucune réplique. Enfin, si j’avais rendez-vous, bien sûr !…

— Eh bien justement, tu as mis le doigt dessus : je n’ai pas de rendez-vous. C’est-à-dire qu’en vérité, je ne m’en suis même pas occupé. Toutes ces filles, je les connais trop… pourquoi perdre son temps ?

— Mais alors, ce bal, tu y vas ou pas ?

— Que dalle !

À ces mots, Ratt’ fit l’ascension du joufflu par le côté et se démancha le cou pour parvenir à planter son regard de braise dans celui d’Alan.

— Tu n’as tout de même pas l’intention de prendre la poudre d’escampette, comme Steve, hein ? Je peux très bien déchiffrer ces symptômes, tu sais ! Tu es nerveux, inquiet, tu ne tiens plus en place, comme lui !

Alan secoua la tête de droite à gauche, puis après un silence :

— Mais non ! J’en serais incapable, Ratt’. Steve était comme un cheval fou, sauvage. Moi, je ne pourrais jamais me lever un matin, et puis tout planquer, comme ça, tu le sais bien. Non… mais, il faut que j’agisse. Je comprends les raisons de son acte. Il disait que les parois du vaisseau l’étouffaient, se refermaient sur lui…

Avec un soudain mouvement d’impatience, il arracha les magnéclips de sa chemise d’uniforme et l’enleva. Tout au fond de lui, quelque chose lui arrivait, et tout devenait différent. « Peut-être, se dit-il, suis-je en train d’attraper cette fièvre qui a embrasé Steve ! Peut-être aussi me suis-je toujours menti à moi-même en prétendant être foncièrement différent de lui…»

— Va dire au capitaine que je ne participerai pas au bal, ce soir, intima-t-il à Ratt’, sinon, il se demanderait où je suis passé… Dis-lui… dis-lui que je suis vanné, enfin, invente n’importe quoi. Raconte-lui ce que tu voudras mais débrouille-toi pour qu’il ne se doute pas de ce que je ressens.

CHAPITRE IV

Le lendemain matin, Roger Bond lui raconta le bal dans ses moindres détails.

— La soirée la plus rasoire, la plus cafardeuse que j’aie jamais vue, tu sais ! Et puis, toujours les mêmes gens, qui dansent toujours les mêmes vieux trucs assommants ! Ah ! Deux ou trois personnes m’ont demandé où tu étais, mais motus et bouche cousue.

— Parfait !

Ils flânaient, au hasard, au milieu du fatras de vieux immeubles hideux qui formaient l’Enclave.

— C’est exactement ce que je voulais : qu’ils pensent tous que j’étais malade, fit Alan. D’ailleurs, je l’étais bel et bien ! Malade d’ennui !

Tous deux s’assirent avec précaution au bord d’un banc de pierre à moitié effondré. Le silence s’était installé entre eux ; ils se contentaient de regarder ce qui les entourait. Au bout d’un moment, Alan prit la parole pour rompre le malaise :

— Sais-tu ce qu’est cet endroit, en réalité ? Un ghetto ! Un ghetto que nous nous sommes imposé tout seuls, à nous-mêmes. Les Spacios, en fait, sont ridiculement paralysés de trouille rien qu’à la pensée de sortir de là, pour pénétrer dans une cité terrienne : alors, ils préfèrent rester parqués dans ce genre d’endroit sordide et malsain !

— C’est plutôt vieux, tout ça !… Je me demande bien à quand peuvent remonter ces immeubles en ruine.

— Un millier d’années, au moins. Peut-être même plus. Personne ne se donne jamais le mal d’en construire des nouveaux. À quoi cela servirait-il ? Les Spacios se fichent pas mal de vivre dans les anciens.

— Je souhaiterais presque que les services médicaux n’aient pas levé notre quarantaine !

— Pourquoi donc ?

— Au moins, nous serions toujours bloqués là-haut. Nous n’aurions pas pu descendre ici pour voir réellement ce qu’est cet endroit.

— Ouais ! Rester cloîtré en quarantaine ou bien être libre de se balader dans ce lugubre trou à rats qu’on appelle l’Enclave, hein ? Je ne sais pas ce qui est le pire.

Alan se releva en s’étirant et prit une profonde inspiration.

— Hmmm… ! Respire-moi donc à pleins poumons cet air terrien, vivifiant et doux, si renommé pour sa pureté !… Beurk ! Tout mal recyclé qu’il est, je préfère mille fois l’air du vaisseau à cette brouillasse puante et visqueuse.