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Malko en avait le tournis. Certes, ce n’était pas sa première mission au Pakistan, mais enlever un homme en vue dans la capitale du pays, et le tout sans préparation… Revenu dans sa chambre, il se dit qu’il fallait garder deux fers au feu, et appela le portable d’Aisha Mokhtar. Miracle, elle répondit aussitôt.
— Malko ! C’est gentil de m’appeler. Devinez où je suis ? En train de déjeuner au Lanesborough, avec le jeune homme à qui j’ai posé un lapin l’autre jour. Et vous ? Toujours en Autriche ?
— Je suis à quelques mètres de vous, annonça Malko. Je viens d’arriver à Londres…
La Pakistanaise poussa un glapissement de joie.
— Mais c’est merveilleux ! Venez prendre le café avec nous.
Lorsque Malko débarqua dans la salle à manger un peu triste, il aperçut tout de suite une tache vive dans la grisaille : Aisha Mokhtar, moulée dans un tailleur orange qui semblait cousu sur elle, avec un décolleté carré offrant sa poitrine comme sur un plateau. La jupe très courte dévoilait des bas noirs et brillants. Une créature longiligne était installée en face d’elle, un blondinet qui paraissait sortir vainqueur d’un concours d’acné. Il se leva vivement et tendit une main molle à Malko, annonçant d’une voix nasillarde :
— Charles Newton Jones ! Vous êtes un ami d’Aisha, je crois ?
Le maître d’hôtel se précipita avec une chaise. À peine Malko eut-il allongé la jambe sous la table que celle d’Aisha vint se coller à la sienne. La Pakistanaise lui jeta un regard brûlant et dit d’une voix à arracher une érection à un mort :
— Comme je suis contente ! Vous restez combien de temps à Londres ?
— Je repars demain. Son sourire s’effaça.
— Comme c’est dommage ! Mais nous pouvons dîner ensemble ce soir. Je crois que Charles a un engagement.
Le jeune Britannique bredouilla quelques mots au sujet d’un dîner qu’il aurait très bien pu décommander, mais n’osa pas répliquer. Pendant qu’il signait l’addition, Aisha Mokhtar fixa Malko avec un sourire gourmand et dit à voix basse :
— Je vais me faire très belle ce soir…
— Restez comme vous êtes, fit simplement Malko en lui baisant la main. Ce tailleur est magnifique.
Si elle avait su qu’il s’apprêtait à kidnapper son vieil amant…
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Des fenêtres du bureau de Richard Spicer, au quatrième étage de l’ambassade américaine, on ne voyait que les arbres de Grosvenor Square. Le bâtiment était entouré de barrières métalliques, de merlons de ciment, la circulation interdite et les policiers de la division antiterroriste de Scotland Yard embusqués partout, munis de gilets pare-balles et armés de MP 5.
Deux personnes se trouvaient déjà dans le bureau du chef de station.
— Voici le colonel Travis Mc Leary, annonça Richard Spicer. Il commande une unité d’hélicoptères des Blackhawk – à Spin Bolak, sur la frontière afghano-pakistanaise.
Le colonel Mc Leary avait de courts cheveux gris, ne mesurait guère plus d’un mètre soixante-cinq et semblait intimidé. Richard Spicer se tourna vers son second visiteur, un homme en costume clair, froissé, très brun, plutôt corpulent, qui semblait dormir debout.
— Malko, William Hancock est notre COS[34] à Islamabad depuis trois ans. Il est arrivé ce matin. C’est lui qui a remplacé Greg[35]. O.K. Nous allons travailler.
Richard Spicer gagna le mur du fond, sur lequel étaient épinglées deux grandes cartes. L’une d’Islamabad, l’autre du nord du Pakistan, englobant la zone frontière avec l’Afghanistan. Prenant une règle, il la pointa sur un endroit situé à une trentaine de kilomètres à l’ouest d’Islamabad.
— Ceci est le site archéologique de Taxila, annonça-t-il, là où se trouvent les ruines de trois villes bouddhistes, Bhir Mound, Sirkaph et Sirsouk. Durant la semaine, ces sites sont pratiquement déserts. Ils ne sont fréquentés que le vendredi et le samedi. Et encore. William, qui connaît bien les lieux, a repéré un endroit où l’on peut facilement poser un hélico.
William Hancock s’ébroua et ouvrit un carnet.
— Effectivement, confirma-t-il. À Sirkaph, il existe une surface plane, entourée de murs en partie détruits, parfaitement capable d’accueillir un Blackhawk. À proximité d’un stûpa qui peut servir de point de repère. C’est invisible de la route Peshawar-Islamabad. Le moment venu, nous y placerons une balise GPS qui guidera l’appareil sur sa zone d’atterrissage.
Richard Spicer déplaça ensuite sa baguette vers la frontière afghane, la posant sur un petit point en Afghanistan : Spin Bolak.
— L’unité du colonel Mc Leary est stationnée ici. Six Blackhawk qui patrouillent en Afghanistan, le long de la frontière, et effectuent parfois des déplacements au Pakistan. L’idée est la suivante : lorsque le jour J sera arrêté, nous aurons vingt-quatre heures pour que le colonel dépose une demande de survol du territoire pakistanais afin d’amener un officier de liaison à Islamabad. C’est déjà arrivé et les Pakistanais ne font aucune difficulté. La distance entre Spin Bolak et Islamabad est d’environ 150 miles, soit quarante-cinq minutes de vol. Pour Taxila, il faut compter dix minutes de moins. Le top de départ lui sera donné par moi. Il franchira la frontière et avertira la tour de contrôle de Peshawar de son altitude et de son cap. Ensuite, peu avant d’arriver à Taxila, il préviendra le contrôle d’Islamabad qu’à la suite d’une fuite de liquide hydraulique, il est contraint de se poser en catastrophe. Il avertira également, en clair, l’ambassade d’Islamabad. Les Pakistanais, à ce stade, n’auront donc aucune raison de s’alarmer. Une fois posé, le Blackhawk, avec un équipage de quatre hommes, attendra sans arrêter son rotor que le fourgon amenant le « sujet principal » et l’équipe qui l’aura récupéré arrivent. Le temps de les embarquer, il repartira en direction de Spin Bolak, avertissant les Pakistanais d’une avarie le forçant à faire demi-tour. Il n’y a aucune réaction hostile à redouter et, de toute façon, si la chasse pakistanaise basée à Peshawar devait réagir, nous avons un squadron de F-16 qui feront des ronds dans le ciel au-dessus de la zone frontière. Colonel, vous avez quelque chose à ajouter ?
— Rien, sir, approuva le colonel Mc Leary. Cela ne devrait pas poser de problème. Dois-je approvisionner l’armement de bord ?
— Oui.
— Quelle devra être ma réaction, au cas où des éléments au sol pakistanais voudraient m’empêcher de redécoller, à Taxila ?
— Vous les neutralisez, annonça froidement Richard Spicer. Votre hiérarchie vous donnera des instructions à ce sujet. Toute cette opération est couverte par un finding du Président.
Impressionné, le colonel Mc Leary n’insista pas. Malko se gratta la gorge et dit :
— Vous venez de décrire un plan d’exfiltration parfait. Mais avant, comment cela doit-il se passer ?
Le chef de station se tourna vers William Hancock.
— Bill, c’est à vous.
Le chef de station but une grande gorgée de café et vint se planter devant le plan d’Islamabad.
— Sultan Hafiz Mahmood a déménagé. Il habite désormais dans le quartier le plus chic, le carré, ou plutôt le triangle, de Mehran 8, situé entre l’avenue Kyaban-e-Iqbal et Siachin Road, presque en face de la mosquée Jamia Faridya ; une maison dans Fourth Street, une voie en impasse donnant sur Siachin Road. Sa villa est la troisième et porte le numéro 5. Il n’y a qu’une seule entrée dans Fourth Street, surveillée en permanence par des policiers en uniforme stationnés au coin de Siachin Road, reliés par radio à leur QG. Tous les matins, vers huit heures trente, Sultan Hafiz Mahmood va faire son jogging, le long de Siachin Road, jusqu’à la mosquée Shah Faisal. Certains jours, il se dirige vers le zoo, dans la direction opposée. Il court sur le terre-plein qui longe Siachin Road, une zone herbeuse avec quelques arbres.