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— Miss Aisha vient avec nous ?

— Elle peut venir, dit Omar, mais la protection ne s’étend pas à elle. Elle est très belle : Musa Sude pourrait avoir envie de la garder.

— Je vais la prévenir, dit Malko.

Lorsqu’il redescendit, il trouva Omar entouré de gaillards patibulaires, bardés de bandes de cartouchières, avec des bandanas et des lunettes de soleil à monture rose qui n’arrivaient pourtant pas à les féminiser…

— Ce sont les hommes de Musa Sude, annonça le Somalien.

Ils prirent place dans une Range Rover toute neuve, escortée par deux technicals flambant neufs eux aussi, et le petit convoi prit la route du nord. Omar se pencha à l’oreille de Malko.

— Musa Sude gagne un million de dollars par mois avec les taxes qu’il prélève. Alors, il n’a pas vraiment envie d’un gouvernement, sauf s’il en est le président… Mais il fait semblant.

*

*   *

— Vous aimez le lait de chamelle ?

Malko sourit en prenant le bol tendu par son note, Musa Sude, avec un sourire carnassier. Le cheveu court, la moustache et la barbe bien taillées, presque cirées, des lunettes noires normales, une chemise aux fines rayures bleues, manches retroussées, le teint très foncé, le chef de guerre avait l’air d’un tueur, mais accueillit Malko avec des embrassades et une chaleur inattendues… Réunis autour d’un mouton rôti, il lui avait lui-même apporté le bol de lait de chamelle qui accompagnait le quartier de mouton rôti et le riz.

C’était immonde, mais Malko réussit à sourire.

Installé à côté de lui sur des coussins, le chef de guerre partit dans un grand discours, traduit au fur et à mesure par Omar, sur la Somalie du futur. Sa thèse était simple : la Somalie était désormais un pays normal, avec un gouvernement, des ministres dont il faisait partie, et une sécurité accrue. Il fallait donc qu’elle rejoigne le concert des nations et que lui, Musa Sude, puisse aller plaider la cause de son pays dans les instances internationales… Il fallait donc que l’intronisation du président ne tarde pas. Lui-même était prêt à fondre sa milice dans une nouvelle armée nationale.

Satisfait de sa tirade, le chef de guerre somalien but un peu de lait de chamelle et commença à mâcher le khat.

— Votre plaidoirie m’a convaincu, dit Malko, craignant que son hôte bientôt ne s’intéresse plus à rien. Je vais vous donner l’occasion de prouver que la Somalie est désormais un pays obéissant aux lois internationales.

Du coup, Musa Sude ôta ses lunettes noires.

— Comment ?

Il avait un regard de fauve : vif, froid et cruel.

— Je cherche une information, expliqua Malko. Je crois que c’est vous qui contrôlez la zone d’El-Ma’an.

— Oui, c’est moi, reconnut le Somalien. Je veux la développer pour en faire un nouveau port.

— On m’a dit que vous saviez tout ce qui s’y passe. Musa Sude se rengorgea.

— Bien sûr. Il n’y a jamais de problèmes là-bas.

— Parfait, conclut Malko. Je sais qu’un boutre en provenance de Gwadar, au Baloutchistan, est arrivé à El-Ma’an le 26 avril dernier. Il a débarqué une vingtaine d’hommes et une petite cargaison, avant de repartir. Je veux savoir ce que cette cargaison est devenue. Si elle est toujours ici, ou, si elle n’y est plus, sur quel navire elle est repartie d’El-Ma’an et quand.

Il y eut un long silence, rompu par Musa Sude. D’une voix furieuse, il interpella Omar dans sa langue. Le Somalien se recroquevilla. Musa Sude venait de comprendre qu’il s’était fait piéger. Omar, la voix tremblante, se tourna vers Malko.

— Il veut savoir qui vous êtes et pourquoi vous posez ces questions.

Malko se dit qu’il était temps de jeter le masque.

— Dites-lui que je travaille pour le gouvernement américain. Il s’agit d’une affaire de terrorisme très grave. S’il accepte de coopérer, il est évident que son image et celle de la Somalie en sortiront grandies et que les autorités américaines lui en seront reconnaissantes. En plus, une importante récompense est prévue pour ceux qui nous aideront à stopper cette opération terroriste…

Omar traduisait à toute vitesse, suant et pas rassuré. Lorsque Malko eut terminé, le chef de guerre somalien répliqua aussitôt d’une voix grandiloquente. Assurant que son plus fidèle ami était l’Amérique, qu’en 1993, c’est lui qui avait servi d’intermédiaire pour la remise d’un pilote d’hélicoptère US, prisonnier d’une faction somalienne, et qu’il ne demandait qu’à aider…

— Bravo, conclut Malko. Peut-il obtenir cette information ?

Nouveau flot de paroles.

— Il le pense, mais il va falloir rétribuer des intermédiaires. À combien se monte la récompense ?

On entrait dans le sérieux.

— Un million de dollars, annonça froidement Malko, le prenant sous son bonnet. L’argent sera versé où vous voulez. Omar en est le garant…

La CIA ne renierait pas sa promesse… Musa Sude sembla apprécier le montant et tendit à Malko un autre morceau de mouton. Un peu plus loin, une centaine de ses miliciens bâfraient au pied de leurs technicals. C’étaient vraiment des hordes de Mad Max, version africaine. Musa Sude contrôlait un millier de combattants, et pouvait en recruter dix fois plus en cas d’urgence. Équipés d’artillerie légère, de transports de troupes blindés et même de missiles sol-air, dans une ville comme Mogadiscio, ils représentaient une puissance redoutable. D’autant que, dopés au khat, les miliciens n’avaient peur de rien.

Musa Sude se lava les mains à l’eau d’un broc tenu par une jeune fille et lança une longue phrase.

— Il s’occupe de votre problème ! traduisit Omar. Retournez à votre hôtel et ne parlez de rien à personne… Il vous enverra un messager.

Musa Sude se leva, serra Malko sur son cœur, l’embrassa trois fois dans une haleine parfumée au lait de chamelle et le reconduisit lui-même jusqu’au véhicule qui l’avait amené.

En roulant dans la poussière, Malko se dit que ses espoirs reposaient sur un allié bien fragile. Si Musa Sude ne lui donnait pas l’information vitale dont il avait besoin, l’engin nucléaire conçu par Sultan Hafiz Mahmood exploserait bientôt quelque part dans un pays occidental, faisant des centaines de milliers de victimes.

CHAPITRE XXI

Sous la protection de quatre miliciens, Aisha, Malko et Omar se restauraient dans une minuscule gargote en bordure du marché de Bakara. Du riz, du kebab, des fruits, le tout arrosé de Pepsi. Omar paraissait nerveux. La journée était passée sans apporter aucune nouvelle de Musa Sude.

— J’espère que Osman Ali « Atto[50] » n’apprendra pas que vous avez rencontré Musa Sude.

— Pourquoi ? demanda Malko, étonné.

— Il serait jaloux.

— C’est ennuyeux ?

Le Somalien but une gorgée de Pepsi et dit d’une voix égale :

— Oui, il pourrait vouloir vous enlever pour savoir si Musa Sude ne complote pas quelque chose avec vous, contre lui.

— Musa Sude ne peut pas me protéger ?

— Pas ici. Cette partie de la ville est contrôlée par Osman Ali « Atto ».

Nouveau problème. Malko s’accrocha au côté positif.

— Nos miliciens me défendent. Omar, dubitatif, avoua :

— Peut-être auront-ils peur. Osman Ali « Atto » est très puissant.

Encourageant.

— Vous pensez que Musa Sude obtiendra mon information ?

— Oui, répondit aussitôt Omar. Mais il faut qu’il décide de vous la donner. Il va peser le pour et le contre. Mais je pense qu’il le fera. Il a très envie de prendre le pouvoir à Mogadiscio. Déjà, pour s’emparer d’El-Ma’an, il a fait des centaines de morts… Il veut tenir le port afin de pouvoir contrôler l’arrivée des armes et de la drogue. Lui ne fait pas de politique. Il ne va jamais à la mosquée, et il boit de l’alcool.

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50

Osman Ali « le Maigre ». autre chef de guerre de Mogadiscio.