En clair, me disait-il en me regardant dans les yeux, j’aurais besoin d’un échangeur d’air pour empêcher que ne pullule, dans mon entrejambe et ma craque de fesses, une faune microbienne indésirable.
«Vous pouvez aussi choisir le type de maintien fessier que vous voulez. Regardez ici, on a de tous les types…
— Oh boy!
— Je vous conseille pas le string, c’est plus pour des questions de look, les jeunes filles aiment ça…
— Les femmes de mon âge prennent quoi, habituellement?
— Le soutien Firm-control X-treme.»
J’aurais aimé avoir le courage de lui demander si ce type de bobettes écrasait autant les fesses que le soutien-gorge, les seins, auquel cas je n’aurais littéralement plus eu de craque de fesses à ventiler, mais j’ai eu peur qu’il ne me demande de sauter sur place pour évaluer le ballottement de ma fesse.
Après avoir ainsi discuté de mes parties les plus intimes avec un parfait étranger, je suis ressortie de la boutique allégée de 427$. J’allais devoir en courir tout un coup pour ne pas le regretter. Charlotte a raison, courir ne coûte rien, une fois fait l’investissement de quelques centaines de dollars.
Plus tard, dans mon lit – celui de la chambre d’amis –, j’ai ri aux larmes en repensant à la tête de Ji-Pi quand il me tendait désespérément mes bottes, comme s’il tenait une patate chaude. J’ai ensuite ouvert mon ordinateur pour me commander une nouveauté made in Italy un peu moins tape-à-l’œil. Il fallait que je donne une chance à mes yeux.
7 Où je radote des affaires banales.
«Tu lui en veux?
— Oui, beaucoup. C’est sûr.
— Pourquoi?
— Pfff…
— Peux-tu me le dire quand même?»
Le rose pâle de son chemisier en soie m’apaisait. J’avais même décidé ce jour-là de ne pas partir mon chronomètre. Il fallait seulement que je sois efficace et que je ne braille pas comme une désespérée.
«Quand on a fait l’amour, la dernière fois, je savais pas que c’était la dernière fois. Pour une femme de mon âge, c’est raide. C’était peut-être la dernière fois de ma vie.
— T’aurais aimé le savoir?
— Je vois pas comment ç’aurait été possible. “Hé, Diane, by the way, on baise pour la dernière fois…”
— Hum.
— Mais lui le savait, c’est sûr qu’y le savait. C’est ça qui me dégoûte.
— Pourquoi ça te dégoûte?
— Parce que je l’imagine en train de se dire: “Enweille mon Jacques, une petite dernière, fourre ta bonne femme, après ça, tu vas être clair…”»
Ma voix s’est cassée. Le bas de mon visage s’est tordu en une moue tremblante. La douleur n’est jamais tapie bien loin, elle me saute à la gorge chaque fois que je me penche sur elle. Ma psy a planté ses yeux dans les miens sans bouger, sans rien dire. Je l’ai sentie qui s’effaçait, complètement. Si elle n’avait pas eu l’élégance de cette non-réplique, je me serais peut-être arrêtée là. De grosses larmes chaudes traçaient un arc sur mes joues avant de se rejoindre dans mon cou.
«J’aimerais ça comprendre ce que j’ai manqué. Je me demande comment ça arrive, ces histoires-là, comment ça commence. Qui fait quoi. C’est niaiseux, je sais, ça arrive à tellement de monde, c’est tellement ordinaire, ce qui m’arrive, mais je parviens pas à visualiser comment ça s’est passé au début, j’suis pognée dans le flou, je me fais un million de petits scénarios qui tournent en boucle. Y m’a donné une date approximative du début de l’affaire avec cette maudite pétasse, parce que j’ai vraiment insisté, mais ça me dit pas comment ç’a commencé. Ça reste toujours vague. Me semble que ce serait pas compliqué de me le dire, au moins pour me libérer. Quand quelqu’un se fait assassiner, les proches ont le droit de savoir comment ça s’est passé, on leur dit avec quelle arme, à quelle heure, si la personne a souffert ou non, pis si oui, combien de temps, alouette. J’suis sûre que c’est moins pire de tout savoir, autrement on passe son temps à essayer d’imaginer comment ça s’est passé. Mais je le sais, personne est mort… Le premier bec… la première main qui se pose sur l’autre… ça me rend folle. Ça changerait rien, mais ça me donnerait un point de départ pour haïr. Je pourrais me mettre à détester quèque chose de précis, les congrès, le voyage à Boston, le souper au Buonanotte… Là, on dirait que j’ai pas de prise, je pédale dans le vide… Je les imagine dans une de leurs maudites soirées mondaines, cristi que j’étais écœurée de ces soirées-là de small talk avec du monde qui parle juste d’argent, je l’imagine qui s’approche, amanchée comme une starlette, avec des grandes boucles d’oreilles scintillantes, du gloss qui part jamais, lumineuse, jeune, pas de rides, pas de poches en dessous des yeux, le petit ventre plat dans sa maudite petite robe, le cul rebondi, pis je vois Jacques la regarder, se dire oh my god qu’est belle, là y s’offre pour aller y chercher un verre de blanc, y est galant comme ça se fait pus, leurs mains se touchent, s’éloignent, reviennent, s’effleurent encore… les mains, tout passe par les mains, on pense que c’est les yeux, moi j’suis sûre que c’est les mains… ça prend juste un doigt qui s’attarde… j’ai jamais été jalouse, j’ai jamais vraiment pensé à ça avant, bah, à part une fois, y a longtemps, mais je m’étais fait des idées… les collègues les ont peut-être vus, quand ç’a commencé avec Charlène, mais y s’en foutent, si ça se trouve, ça les amuse, tout le monde fait pareil… y en a des soirées pis des congrès dans une année, pis y en a une gang de beaux trous de cul dans le tas, j’en connais des histoires, une pis une autre, je te le jure, des histoires qui concernent les autres, d’habitude… d’autres fois sont au bureau, j’imagine la main de Jacques qui se pose sur son épaule, à la belle Charlène, “passe me voir à mon bureau, faudrait qu’on jase de tel dossier”, pis une fois la porte fermée, y en a un des deux qui s’approche de l’autre… un ou l’autre, ça change rien, c’est lui qui devait nous protéger, c’était à lui de la repousser, c’était sa job à lui, pas à elle, à me doit rien, cette fille-là, c’est lui qui devait rendre ça impossible, si y l’a pas fait, c’est comme si c’est lui qui l’avait voulu… Peu importe, j’en reviens au même point, c’est moi le problème, si Jacques est allé vers elle ou si y l’a laissée s’approcher, c’est parce qu’y avait besoin d’autre chose, d’autre chose que moi… je m’étais pas rendu compte qui était pus heureux…»
Elle a penché sa tête brushignée de trente degrés en plissant légèrement les yeux.
«Ben oui, y avait beaucoup de meetings qui finissaient tard tout à coup, y repartait des fois au bureau dans la soirée pour aller chercher des dossiers… une fois y est revenu à une heure du matin avec un café de Tim Hortons, pfff! Y haït ça, ce café-là… y s’est pris une nouvelle carte de crédit pour “ses dépenses clients”… ç’aurait pu être une aventure, une histoire sans importance, je pense que j’aurais pu le comprendre, à la limite, me semble que j’aurais pu… mais y l’a choisie en fin de compte, c’est ça qui me détruit, y l’a choisie, elle, y a choisi de tout laisser tomber pour elle, y a flushé vingt-huit ans de vie pour une nunuche de trente ans, même si y savait qu’y allait me tuer en faisant ça… j’suis tellement naïve, tellement naïve, je pensais que ça m’arriverait jamais, je sais que tout le monde dit ça, mais je le pensais vraiment, j’en étais profondément convaincue…