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— …»

Il avait incliné la tête de quarante-cinq degrés et tourné ses paumes vers le ciel, côté «pleut-il?».

«Tu te rappelles la danse de la fille qui saute partout?

— Oh oui! C’est la fille qui reçoit un seau d’eau avant de faire une danse poteau…

— Euh… oui, mais je parle du bout qui se passe dans le gymnase, avec les juges.

— Oui oui, je m’en souviens. La fille est toute en sueur pis elle pointe les juges…

— Exactement! Tu te rappelles du bout où la fille recule en pointant du pied…

— Ouin…

— Imagine ça sur une terrasse pas de garde-folle.»

Il s’est pris la tête à deux mains avant de lancer sa tête vers l’arrière pour laisser monter un grand rire guttural. L’air se promenait dans le corps de cet homme-là avec une fabuleuse liberté. Je l’imaginais très bien attablé avec des chums, autour d’une bière, en train de jouer aux cartes ou de regarder un match de hockey. Le genre de bon vivant qu’on croise dans un 5 à 7 et qui se fout des filles qui le dévorent des yeux entre deux cacahouètes. Pendant qu’il riait de bon cœur, je me suis mise à fixer ses lèvres roses jusqu’à me retrouver, dans ma tête, à portée de french. Je m’approchais doucement, le feu au ventre, mes lèvres parvenaient aux siennes au moment où nos têtes s’inclinaient légèrement dans des sens opposés et nos langues, chaudes, humides, assoiffées…

«Diane?

— Hum… oui?

— Ça va?

— Oui, oui, merci. S’cuse-moi, j’suis fatiguée, on est revenues tard de l’hôpital.

— Écoute, j’suis désolé pour Claudine.

— Tu devrais pas, on a voulu jouer aux ados, on s’assume. Dans pas longtemps, on va en rire.

— Vu de même.

— Tu passeras signer son plâtre quand elle reviendra, c’est son premier à vie, est tout excitée. Mais garde l’histoire pour toi.

— Inquiète-toi pas.»

Il s’est levé pour me raccompagner à la porte, en vrai gentleman. Quand son bras droit s’est élancé vers la porte, sa main gauche s’est tout naturellement posée sur mon épaule; son corps, l’espace d’une belle et longue seconde, a enveloppé le mien. Il ne portait pas de parfum. Je voulais tellement que le temps se fige et me permette de rester encore un peu blottie contre lui, que je me suis arrêtée net.

«Merci pour la carte.

— C’était un compliment sincère, je voulais que tu le saches.»

Je respirais beaucoup trop vite. J’aurais bientôt besoin d’un sac en papier si je ne sortais pas de là.

«Bye.

— Salut, Diane.»

Une fois au quatrième, j’ai jeté un œil dans le corridor: personne. J’ai enlevé mes souliers et j’ai couru jusqu’à mon bureau. J’ai même refait le trajet aller-retour plusieurs fois. Je comprenais mieux ce que Claudine voulait dire en parlant de tremplin.

«Tu me croiras pas.

— Tu t’es mise dans le trouble?

— Non, c’est positif!

— Raconte, on verra.

— J’suis allée voir Ji-Pi, comme tu me l’as conseillé. Je l’ai remercié, pour le vin, pis pour la carte…

— Tu y as pas raconté notre soirée?

— Non, pas toute la soirée, j’ai juste dit qu’on avait fini à l’hôpital. De toute façon, avec ton plâtre…

— Pour quelle raison?

— Ben… à cause de…

— Non. Pas à cause de…

— D’un faux pas que t’as fait.

— En faisant quoi?

— Euh… en dansant.

— DIANE! Tout le monde va se payer ma tête!

— Mais non, voyons, personne va le savoir.

— Allô, Houston! C’est sûr que ça va se savoir!

— C’est pas grave…

— Pas pour toi!

— Bon, t’es choquée?

— C’est parce que j’avais prévu raconter que j’étais tombée de l’échelle en enlevant les feuilles dans les gouttières, une affaire de même.

— C’est ben plate, comme histoire.

— Oui, mais se péter la gueule en se pensant dans Flashdance, c’est cave.

— Mais non! Pis j’ai dit à Ji-Pi de rien dire.

— Peu importe! Continue ton histoire.

— Y s’est rien passé, mais y est venu me reconduire à la porte de son bureau, pis son bras a presque touché le mien…

— Pis?

— J’ai eu chaud. J’étais comme… émoustillée.

— C’est ça, ton histoire?

— Ben oui, plate de même.

— Émoustillée comme dans «excitée»?

— C’est un peu fort, mais oui, genre.

— Pis lui?

— Quoi, lui?

— Y avait l’air émoustillé?

— Ben non, c’était juste dans ma tête, ça!

— Quand même, sous-estime pas la force de l’énergie sexuelle, y a dû sentir quelque chose.

— Je m’imaginais juste en train de l’embrasser, je le chevauchais pas.

— Peut-être, mais y a senti quelque chose, c’est sûr.

— Dis-moi pas ça, je vais être gênée quand je vais le croiser.

— Diane, à partir du moment où t’es allée le voir avec un dossier bidon, à moins d’être le dernier des gnochons, c’est sûr qu’y a compris quèque chose.

— Tu penses?

— T’as eu combien de chums avant Jacques?

— Je sais pas.

— Montre à matante Claudine avec tes doigts.

— UN? Tu me niaises?

— Plus une fréquentation. Un et demi.

— OK, le petit tremplin, c’est vraiment une bonne affaire pour toi. On keep focus on the frenchage. T’as raison, c’est positif. Y se passe quelque chose.»

18 Où l’on peut considérer que certaines choses sont parfaites quand elles sont aux trois quarts complètes.

Comme l’avait prédit Charlotte, nous nous sommes retrouvées seules aux pommes, puis au fourneau. Profitant de l’absence des autres, nous avons revu la disposition des meubles et des cadres, histoire de camoufler les trous causés par mes maladresses et la déchéance des haut-parleurs. Certains aménagements nous ont demandé beaucoup d’imagination.

«Dominic va venir souper?

— Je sais pas, y risque de finir tard, mais c’est sûr qu’y va passer dans la soirée.

— Pis comment ça va, vous deux?

— Pas pire.

— Juste pas pire?

— Ben… y a fréquenté une fille l’automne passé, ça me fait suer.

— Mais vous étiez plus ensemble.

— On venait juste de se laisser.

— Peut-être qu’y cherchait à t’oublier?

— Avec une maudite folle de même?

— Charlotte, les ex sont toujours des maudites folles. C’est ben accommodant.

— Non non, elle, c’est une vraie folle.»

J’étais la folle dans l’histoire de Charlène.

«Pour le trou dans le salon, qu’est-ce que tu penses du gros bahut pour le cacher?»

Alexandre et Justin se sont pointés pile-poil à l’heure suggérée, 18 h, avec un bouquet de fleurs et du vin minutieusement choisi pour rehausser le goût du bouilli végé ou pas. Ils étaient rasés de près, habillés avec goût et élégance, comme toujours. On ne sentait leurs parfums, savants mélanges d’épices et d’écorce boisée, qu’au moment de les embrasser. Et comme toujours, ils portaient de magnifiques chemises colorées, à cent lieues de la mode hipster. Quand ils entraient dans une pièce, la lumière prenait la teinte de leurs coloris. Alexandre est le portrait tout craché de son père et sa beauté s’épanouit en remodelant certains des plus beaux traits de Jacques. L’Homme de ma vie ne me quittera jamais tout à fait.

Comme il fallait s’y attendre, Antoine et Malika ont débarqué en trombe, en retard et en sueur. Mon fils avait trouvé chaussure à son pied en cette fille qui, tout comme lui, vivait apparemment dans une dimension où le temps s’écoulait en accéléré; ils manquaient toujours désespérément de temps pour tout faire, même s’ils n’avaient encore ni enfant, ni animal, ni plante. Ils arrivaient toujours à la course, en s’excusant – ce n’était jamais leur faute –, habillés comme on peut l’être quand on fait tout à la dernière minute, sans la moindre organisation. Les phrases d’Antoine commençaient toutes par «J’ai pas eu le temps, mais…». Je me suis souvent demandé comment je pourrais leur dire qu’il fallait au moins donner un coup de fer à repasser quand on faisait le choix de porter une chemise, mais à défaut d’avoir trouvé une formule polie et non intrusive, j’ai fini par laisser passer. Contre toute attente, ils étaient tous les deux parvenus à finir un baccalauréat, à se trouver du travail et à le garder. Ils allaient de la même façon, j’imagine, réussir à faire des enfants et à les élever. Je me tenais déjà prête pour les débordements dus au manque de temps, comme une bonne grand-mère moderne. J’envisageais de me mettre au tricot.