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— Tout cela est à vous ? C’est mon peuple qui l’a recueilli pour favoriser votre voyage ? À ce prix, les fils du vent devraient embarquer deux dizaines d’hommes au lieu d’une …

— Ton peuple nous offre ces richesses … pourquoi ? ? s’écria Cavi bouleversé.

— Parce que vous êtes loyaux et courageux, parce que vous avez accompli tant d’exploits, que vous êtes mes amis et m’avez aidé à retourner auprès des miens, énuméra Kidogo en s’efforçant de paraître impassible. Mais attendez, ce n’est pas tout ?

Il fit un pas de côté, glissa la main entre deux corbeilles et sortit un sachet en cuir, de la grosseur d’une tête humaine.

— Tiens ? Kidogo présenta le sachet à Cavi.

L’Étrusque qui avait tendu sa main ouverte, ploya sous la pesanteur inopinée et faillit laisser tomber le sac. Le Noir s’esclaffa et trépigna de joie. Les rires bruyants de la jeunesse lui répondaient du dehors.

— De l’or ? s’écria Cavi en étrusque, mais le Noir comprit.

— Tu le demandes, sage et vieux guerrier, plaisantait Kidogo, comme si tu ne savais pas qu’une seule chose au monde a ce poids ?

— Oui, de l’or, répéta-t-il.

— Où en as-tu trouvé tant ? intervint Pandion qui palpait le sac bourré.

— Au lieu de chasser, nous sommes allés sur le plateau aurifère. Nous y avons fouillé et lavé le sable pendant huit jours … Et Kidogo conclut après une pause : Les fils du vent ne vous reconduiront pas jusqu’au pays. Là-bas, sur votre mer, vos chemins bifurqueront et chacun pourra rentrer chez soi. Partagez l’or et cachez-le bien, de façon à ce que les navigateurs ne puissent le voir.

— Qui t’a accompagné dans cette « chasse » ? questionna rapidement l’Étrusque.

— Eux tous. Le Noir, montra les jeunes gens massés à la porte.

Les voyageurs, émus aux larmes, se jetèrent avec des paroles de gratitude vers les indigènes qui piétinaient sur place, confus, et disparaissaient un par un derrière la hutte.

Les camarades sortirent de la remise et calèrent de nouveau la porte avec la pierre. Kidogo était devenu silencieux, sa joie était tombée. Pandion l’attira, mais il se dégagea de son étreinte, posa ses mains sur les épaules du Grec et le regarda longuement dans ses yeux d’or.

— Comment ferai-je pour te quitter, Kidogo ? s’exclama Pandion.

Les doigts du Noir lui pressèrent les épaules.

— Le dieu de la foudre, articula Kidogo d’une voix étranglée, m’est témoin que je donnerais tout l’or du plateau et tout ce que je possède, jusqu’à la dernière lance, pour que tu consentes à demeurer avec moi … Le visage décomposé, il mit les mains sur ses yeux. Mais je n’ose même pas te le proposer … Sa voix tremblait, entrecoupée. J’ai appris en captivité ce que c’est que le sol natal … Tu ne peux rester, je le comprends … aussi, tu vois, je fais de mon mieux pour faciliter ton départ … Lâchant subitement Pandion, il s’enfuit dans sa case.

Le jeune Grec le suivit d’un regard voilé de larmes. Derrière son dos, l’Étrusque poussa un soupir douloureux.

— Le jour viendra où nous nous séparerons à notre tour, dit-il tout bas, d’une voix morne.

— Nos pays ne sont pas si éloignés et les vaisseaux vont souvent de l’un à l’autre, répliqua Pandion. Quant à Kidogo … il restera ici, aux confins de l’Œcumène …

L’Étrusque ne répondit rien.

Rassuré sur l’avenir, Pandion se consacra entièrement à son œuvre. Il se dépêchait, inspiré et stimulé par la grandeur de l’amitié acquise dans la lutte pour la liberté. Déjà, il se représentait le camée dans ses moindres détails.

Trois hommes se tiendraient embrassés au bord de la mer qu’ils avaient tant voulu atteindre et qui les ramènerait chez eux.

Pandion voulait représenter, sur la grande facette plate de la pierre, les trois amis : Kidogo, Cavi et lui-même, dans l’étincellement diaphane de l’horizon maritime, incarné à la perfection par ce cristal glauque.

Le jeune sculpteur dessina plusieurs esquisses sur des plaquettes d’ivoire que les femmes indigènes employaient à préparer des onguents. Sa découverte le contraignait à toujours avoir sous les yeux des corps vivants, mais ce n’était point un obstacle. L’Étrusque ne le quittait jamais et Kidogo, sentant l’arrivée prochaine des vaisseaux, avait abandonné ses affaires pour leur tenir compagnie.

Pandion les faisait souvent poser devant lui, les bras passés autour des épaules, et ils obéissaient en riant.

Les trois amis causaient volontiers, en se confiant leurs pensées intimes, leurs inquiétudes, leurs projets, tandis que la perspective de la séparation inévitable leur ulcérait le cœur.

Pandion ne perdait pas son temps et, tout en devisant, continuait à travailler la pierre résistante. Il se taisait parfois pour détailler d’un regard perçant les traits de ses amis.

Les trois figures masculines devenaient de plus en plus expressives. Au centre, on reconnaissait le grand Kidogo ; à sa droite, légèrement tourné vers le bord lisse de la facette, se tenait Pandion, et à sa gauche l’Étrusque, tous deux armés de lances. Cavi et Kidogo se disaient très ressemblants, mais affirmaient que le sculpteur avait mal réussi sa propre image. Il répondait en souriant que cela n’avait pas d’importance.

Les effigies de ses amis, si petites qu’elles fussent, étaient palpitantes de vie et dénotaient une véritable maîtrise dans l’exécution des moindres détails. Les attitudes étaient puissantes, à la fois énergiques et modérées. Pandion avait su rendre par le geste de Kidogo, entourant de ses bras les épaules de ses compagnons, la protection et la tendresse fraternelle. Cavi et Pandion inclinaient la tête d’un air attentif, presque menaçant, avec la vigilance persévérante de guerriers prêts à parer une attaque éventuelle. C’est précisément cette impression de vigueur et de fermeté admirables que donnait tout le groupe ; Pandion s’appliquait à évoquer par son œuvre les meilleures qualités des hommes devenus ses amis les plus chers, sur la route de l’esclavage au pays natal. Il avait conscience d’être enfin parvenu à créer un chef-d’œuvre. Kidogo et Cavi ne songeaient plus à le plaisanter. Le souffle en suspens, ils surveillaient durant des heures le mouvement du ciseau magique et se pénétraient de respect pour le talent du sculpteur. Leur jeune ami, audacieux, gai, parfois même puéril, qui les amusait par son extase devant les femmes, s’était révélé un grand artiste ? Cela les réjouissait et les surprenait tout à la fois.