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Pandion lâcha prise, Cavi s’éloigna. Ils pénétrèrent dans l’eau tiède et s’en furent vite vers les vaisseaux, en glissant sur les pierres du fond.

Le jeune Grec remontait sur un pont de bâtiment pour la première fois depuis des années ; une réminiscence de voyages heureux le caressa comme un souffle de brise. Mais le passé, à peine entrevu, s’effaça de nouveau. Toutes ses pensées allaient à la haute silhouette noire, isolée de la foule, juste au bord de l’eau. Les rames s’abattirent dans un rejaillissement et poussèrent à coups rythmés le navire au-delà des récifs. Ensuite les marins hissèrent la grande voile et le vent la gonfla.

Les hommes attroupés sur la grève se rapetissaient à vue d’œil ; Kidogo n’était plus qu’un point noir. Le crépuscule masqua le rivage ; seule, la chaîne de montagnes s’érigeait, sinistre, derrière la poupe … Cavi essuyait de grosses larmes à la dérobée. Une chauve-souris géante, venue de la côte que longeaient les vaisseaux, frôla de son aile le visage de Pandion. Ce contact soyeux lui fit l’effet d’un salut suprême du pays qu’il avait quitté. C’était dur de se séparer de l’ami fidèle, de cette contrée où il avait tant souffert et laissé une partie de son cœur. Le jeune homme sentait que dans sa patrie, aux heures de tristesse et de lassitude, l’Afrique lui paraîtrait toujours belle et séduisante, parce qu’il l’avait perdue à jamais … comme Irouma. Rejetant tout ce qui lui était devenu familier, Pandion se tourna en direction de l’Hellade et frémit d’inquiétude. Qu’est-ce que le sort lui réservait là-bas, après une si longue absence ? Comment vivrait-il avec les siens à son retour ? Qui trouverait-il ? Thessa … Etait-elle en vie, l’aimait-elle toujours, ou bien …

Les navires tanguaient d’un mouvement monotone le cap à l’Ouest. Ils ne tourneraient vers le Nord qu’au bout d’un mois, avaient dit les fils du vent. L’haleine puissante de l’océan agitait les cheveux de Pandion. Alentour, les marins taciturnes allaient et venaient sans hâte. Ces descendants des navigateurs crétois lui semblaient plus étrangers que les Noirs de l’Afrique. Il serra dans sa main le cachet pendu à son cou et renfermant la pierre qui gardait l’image de Kidogo ; puis il alla rejoindre dans un coin du vaisseau ses camarades dépaysés …

Le disque orange de la lune se leva derrière les monts. Dans sa clarté, l’océan — le Grand Arc qui ceignait toutes les terres du monde — semblait creusé de cavités sombres que les vagues mouvantes dominaient de leurs sommets clairs. Les petits navires avançaient, intrépides, tantôt dressant la proue vers le ciel étoilé, dans un éparpillement d’embruns argentés, tantôt dévalant la pente d’un gouffre obscur qui grondait sourdement. Pandion y voyait un symbole de sa propre vie. En avant, dans le lointain, les crêtes brillantes des lames se confondaient en une seule route de lumière, les astres descendaient et oscillaient sur les vagues, comme jadis, près des rivages de son pays. L’océan accueillait les hommes courageux et les emportait sur son immense dos, vers le sol natal …

— As-tu vu, Eupalinos, le camée couleur d’eau de mer, le chef-d’œuvre de l’Œniadée … ou pour mieux dire, de toute l’Hellade ?

Eupalinos mit du temps à répondre. Il prêtait l’oreille au hennissement sonore de son coursier favori, tenu en bride par un esclave robuste, et se drapa dans son manteau de laine fine. À l’ombre de l’auvent, la brise printanière était glaciale, bien que les flancs gris des montagnes rocheuses fussent déjà couverts d’arbres en fleurs. En bas, les bosquets d’amandiers s’étalaient en nuages rose pâle ; plus haut, des taches carminées, presque violettes, indiquaient des halliers. Le vent froid, venu des monts, dégageait un parfum d’amandes et annonçait aux vallées le renouveau. Eupalinos huma l’air vif, tambourina contre une colonne du portique en bois et dit lentement :

— Il paraît que son auteur est le fils adoptif d’Agénor, un jeune homme qui a si longtemps couru le monde … On l’avait cru mort, mais il est revenu depuis peu, d’un pays très lointain.

— Et la fille d’Agénor, la belle Thessa … En as-tu entendu parler ?

— Pendant six ans, elle a refusé de se marier, comptant sur le retour de son bien-aimé. Et son père, le sculpteur, l’a laissée faire.

— Bien plus, il a lui-même attendu son fils adoptif.

— Et pour une fois, l’attente n’a pas été vaine ? Il n’était pas mort, en effet, il a épousé Thessa et c’est aujourd’hui un grand artiste. Je regrette que tu n’aies pas vu le camée : toi qui est un fin connaisseur, tu l’aurais apprécié ?

— Je vais me rendre auprès d’Agénor, suivant ton conseil. Il habite au cap d’Achéloos, ce n’est qu’à une vingtaine de stades d’ici …

— Trop tard, Eupalinos ? L’auteur du camée l’a donné — songe un peu ? — à son ami, un vagabond étrusque qu’il avait amené malade dans la maison d’Agénor. Après l’avoir guéri, il lui a offert à son départ cette œuvre qui aurait fait la gloire de l’Œniadée. Quant à l’Étrusque, il l’a gratifié d’une peau de bête hideuse, inouïe, effroyable …

— Il est revenu aussi pauvre qu’il était parti. N’aurait-il rien appris durant ses voyages, lui qui fait des cadeaux précieux à n’importe qui ?

— Il nous est difficile de comprendre un homme resté si longtemps à l’étranger. Mais je regrette que le camée ne soit plus chez nous ?

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