Malko n’arrivait pas à détacher les yeux du transport de troupes blindé. Cristina n’avait jamais parlé de ça. Derrière, il distingua un minibus Volkswagen ! Donc, ce n’était pas une patrouille militaire, mais bien le transfert de Julius Harb. Seulement, son « commando » n’était pas équipé pour se battre contre un tel adversaire. Il tourna la tête et aperçut Herbert Van Mook qui lui adressait de grands gestes. C’était maintenant ou jamais. Ce type de transport blindé comportait une mitrailleuse de « 50 » orientable et deux armes tirant dans l’axe du véhicule. C’est la « 50 » qui était la plus dangereuse. Malko aperçut à la lueur d’un réverbère, le torse du mitrailleur casqué dépassant de la tourelle, les mains sur les poignées de tir de son arme. D’une seule rafale, il pouvait les réduire en charpie tous les quatre. Les énormes projectiles de 12,7 millimètres, à cette distance, coupaient un homme en deux.
Le pilote du véhicule blindé freina brutalement pour ne pas percuter l’ambulance qui venait de surgir de la rue transversale. L’engin stoppa à quelques mètres de Malko. Projeté en avant par le choc, le mitrailleur plongea sur son arme. Malko leva son Uzi, ajusta son tir un peu bas, à la base de la tourelle et pressa la détente en remontant. Les détonations claquèrent dans le silence avec un vacarme assourdissant. Le soldat eut quelques gestes désordonnés, puis s’effondra en avant, tandis que la mitrailleuse dressait son canon vers le ciel. Le conducteur du minibus, surpris, faillit à son tour emboutir le véhicule blindé qui le précédait.
Malko se retourna vers Herbert Van Mook et cria :
— Couvrez l’arrière de l’automitrailleuse !
Le transport de troupes blindés s’ouvrait par l’arrière. Herbert Van Mook se précipita entre les deux véhicules, suivi de Tonton Beretta.
— Venez ! cria Malko à Éric.
Il distinguait à peine le conducteur du minibus derrière le pare-brise. Logiquement, c’est dans ce véhicule que devait se trouver Julius Harb. Quelques secondes s’étaient écoulées depuis la première rafale de l’Uzi mais le temps semblait s’être arrêté. À ce moment, dans un hurlement de moteur, le minibus commença à reculer. Malko leva son Uzi, arrosant le pare-brise, imité par Éric, avec son M 16.
Le minibus s’immobilisa. Combien d’hommes y avait-il à bord ? Maintenant, la distance entre les deux véhicules était d’une vingtaine de mètres. Presque une minute s’était écoulée depuis les premiers coups de feu. Le vacarme risquait d’alerter le poste de PM de Fort Zeelandia. Malko n’avait pas repéré d’antenne radio sur le véhicule blindé. Donc, ils ne pouvaient appeler au secours.
Il se colla au flanc du minibus, saisit la poignée de la portière coulissante et la tira violemment vers lui. Au même moment, la porte opposée s’ouvrit et il distingua plusieurs silhouettes qui se glissaient à l’extérieur, traversant la chaussée pour se fondre dans l’ombre d’une vieille maison de bois. La tuile. Ils ne pouvaient vraiment pas se lancer dans un combat de rue !
Accroupis, Tonton Beretta et Herbert Van Mook attendaient devant les portes du blindé. Elles s’ouvrirent violemment, mais aucun soldat n’eut le temps de sortir. Le riot-gun de Van Mook se mit à cracher ses gerbes de plomb à une cadence infernale, neutralisant tous les occupants du véhicule. À cette distance, le riot-gun valait un lance-grenades.
À côté de lui, Tonton Beretta vidait le chargeur du M 16 d’un seul coup sur ce qui pouvait encore survivre. Avec un « plouf » sourd, l’intérieur s’illumina et le blindé prit feu.
La porte du minibus tirée par Malko s’ouvrit d’un coup. Le conducteur était affalé sur le volant et son voisin, la tête renversée en arrière sur le siège, perdait son sang par les oreilles. Malko distingua plusieurs hommes tassés à l’arrière.
Éric fit le tour en courant pour prendre sous le feu de son arme l’autre porte.
— Please, don’t shoot[19] ! cria une voix à l’intérieur du minibus.
Malko vit vaguement des mains se lever. Une rafale claqua, tirée de la maison d’en face. Éric poussa un cri, tituba, lâcha son arme, puis tomba sur la chaussée. Tonton Beretta se retourna et lâcha une rafale de M 16 au jugé. Les coups de feu cessèrent aussitôt.
— Harb, Julius Harb ! cria Malko.
Une silhouette se leva à l’arrière du minibus.
— Quick ! Quick[20] ! cria Malko.
Le sergent se faufila entre ses deux gardes du corps paralysés de terreur. Ils ne bronchèrent pas quand Malko leur arracha leurs Uzi et les jeta sur la chaussée dans un grand bruit de ferraille. Les flammes enveloppaient complètement l’engin blindé. Un pneu éclata avec un bruit sourd. Le visage amaigri de Julius Harb apparut dans la pénombre. Herbert Van Mook ramassa une des Uzi, rejoignant Malko, avec Tonton Beretta.
Malko tira Julius Harb hors du minibus.
— Vite, emmenez-le à l’ambulance, dit Malko à Tonton Beretta.
De nouveaux coups de feu claquèrent, du côté des soldats embusqués et ils s’accroupirent tous derrière le minibus, tandis que ses dernières glaces volaient en éclats.
— Où est Éric ? demanda Van Mook.
— Blessé ou mort, fit Malko. Couvrez-moi, je vais voir.
Il rampa jusqu’à l’arrière du véhicule et, tandis que le Hollandais lâchait de courtes rafales, rampa jusqu’au corps étendu. Éric reposait sur le ventre et le dos de sa chemise n’était plus qu’une énorme tache de sang. Malko essaya de le bouger, sans résultat. Plusieurs balles sifflèrent méchamment non loin de lui. Il se rejeta en arrière.
— Partons, dit-il, il est mort.
Ils coururent sous la protection des deux véhicules, faisant un crochet à cause des flammes. Il y avait ensuite un espace découvert à franchir pour rejoindre l’ambulance. Tonton Beretta s’y lança, escortant Julius Harb. Sans attendre l’ordre de Malko. Celui-ci vit un des soldats réfugiés près de la maison se lever et balayer la chaussée d’une rafale de mitraillette. Julius Harb tituba et tomba.
Malko et Van Mook tirèrent ensemble sur le soldat qui s’effondra. Il en restait deux. Malko bondit à son tour vers l’ambulance. Tonton Beretta essayait de traîner Julius Harb vers la portière. Dutchie ne se manifestait pas. L’odeur âcre du caoutchouc brûlé prenait à la gorge. Les deux hommes rejoignirent Tonton Beretta. Malko se précipita vers Harb.
— Il a été touché ?
— À… à la jambe, bégaya Tonton Beretta.
Julius Harb se tordait de douleur. Malko le prit sous l’aisselle et, avec Tonton Beretta, le traîna jusqu’à l’ambulance, couvert par Van Mook qui tirait de petites rafales en direction des soldats planqués dans la maison.
— Dutchie ! hurla Van Mook, ouvre la portière !
Pas de réponse. Dutchie continuait à être invisible.
Tonton Beretta jura comme un charretier. Herbert Van Mook se pencha vers la voiture et explosa :
— Le fumier, il s’est tiré !
— Prenez le volant ! cria Malko, et ouvrez la portière.
Julius Harb continuait à gémir dans ses bras. Ce serait le comble de le perdre au dernier moment, après avoir couru tous ces risques. Ils s’étaient totalement exposés au feu de leurs adversaires. Van Mook fit le tour en courant, se jeta à l’intérieur, et ouvrit enfin la portière arrière. Aussitôt, Malko poussa Julius Harb dans le véhicule, tandis que Tonton Beretta se jetait sur l’avant. Van Mook cria soudain :
— Attention !
Malko tourna la tête.
Dans la lueur d’un réverbère, il aperçut un soldat debout, en train d’épauler son arme.