Par les glaces ouvertes de la voiture, ils guettaient les bruits de la nuit. Une voiture passa à toute vitesse sur le quai. La police ou les militaires. À part cela, aucune animation. L’hypothèse de Malko semblait se vérifier. Les soldats ne fouillaient pas le centre de la ville. Une rafale claqua soudain qui leur parut toute proche ! Ou c’était une fausse manœuvre, ou un soldat avait tiré sur un passant attardé.
De nouveau, la tension remonta.
Tonton Beretta émit un ricanement désabusé.
— Ça pue la m… mort !
Herbert Van Mook lui jeta un regard furibond.
— Prononce pas ce mot-là. Éric, ça te suffit pas ?
Le Français haussa les épaules.
— Moi, je suis pas superstitieux. Et je peux plus mourir jeune, hein ? C’est pas comme toi…
Le Hollandais regarda sa montre.
— Il est une heure moins le quart. On y va quand ?
— Pas avant deux heures, dit Malko, laissez-leur le temps de se calmer. C’est trop dangereux avant.
— Et s’ils nous trouvent ici ?
— Nous avons des armes et le bateau est à côté. Nous essaierons de le rejoindre, dit Malko. Pour l’instant, il n’y a rien d’autre à faire. Ils ne vont sûrement pas se mettre à fouiller la ville. Du moins pas avant le jour. Attendez, je vais aller voir ce qui se passe.
Il se glissa hors de l’ambulance et gagna la rue, abrité dans l’ombre. Tout de suite, il aperçut un pinceau lumineux qui balayait le fleuve. Cela venait sûrement du patrouilleur ! Heureusement qu’ils n’étaient pas partis tout de suite. Puis, une Jeep passa en trombe devant la banque. Il revint sur ses pas. Van Mook se dressa devant lui dans l’obscurité, Uzi au poing.
— Restez là, dit Malko, que nous ne soyons pas surpris.
Il regagna la Mercedes. Julius Harb, les yeux fermés, reposait en silence. Malko rassura Greta d’un sourire.
— Vous n’auriez pas dû venir. Si vous vous faites prendre avec nous, ce sera grave…Elle se pencha et effleura ses lèvres.
— Ça ne fait rien, je suis heureuse.
Tonton Beretta les observait, ironique.
— Cette petite salope de Dutchie est dans la na… nature, remarqua-t-il. Il sait où nous sommes. Si jamais il se fait cho… cho… choper…
Malko sentit son estomac se nouer. Il avait oublié Dutchie. Le vieux Français avait raison. Il n’y avait plus qu’à prier pour que cette déplaisante canaille de Dutchie ne se fasse pas prendre.
Chapitre XV
Herbert Van Mook consultait sa montre de plus en plus souvent. Finalement, il explosa :
— Il est deux heures et demie. Si on n’y va pas maintenant, on n’aura jamais le temps de tout emporter. Vous vous en rendez compte : cent soixante barres de douze kilos chacune. On peut pas en prendre plus de trois à la fois. Il faudra au moins cinq minutes par voyage, même en se magnant. Faut compter une heure et demie.
Ce souci de sauver l’or eût été admirable si Malko n’y avait pas discerné une arrière-pensée plus que suspecte. Il savait que tant que le précieux métal ne serait pas à bord du bateau, il ne risquait rien. Ensuite, il avait intérêt à ne pas tourner le dos à Herbert Van Mook… Depuis une heure, Paramaribo était redevenue une ville morte, comme si rien ne s’était passé.
Herbert Van Mook trépignait intérieurement, songeant à l’or qui se trouvait à quelques mètres de lui. Il avait un plan qu’il n’avait plus qu’à appliquer à la lettre. Songer qu’ils puissent s’enfuir sans l’or le rendait tout simplement malade. S’ils étaient débusqués par les militaires, c’est pourtant ce qui se passerait. Malko interrompit ses pensées.
— Avant de transporter l’or, nous allons installer les femmes et Julius Harb dans le bateau. De cette façon, s’il y a un problème, nous pourrons partir rapidement. Je vais aller voir comment ça se présente.
Il sortit de l’ambulance et, cette fois, s’avança jusqu’au coin du ministère du Travail. Calme plat. D’un bond, il traversa la chaussée, heureusement peu éclairée, et gagna la quai surplombant la Surinam. Il trouva facilement le gros bateau, en contrebas du quai. Le retour se passa de la même façon. Il réapparut près de l’ambulance, guetté anxieusement par les deux autres.
— Nous ne ferons qu’un seul voyage, annonça-t-il. C’est moins dangereux. Van Mook et moi, nous porterons Harb.
Abruti de morphine, Julius Harb était inconscient. Ils sortirent la civière et s’avancèrent à la file indienne, Tonton Beretta fermant la marche avec le M 16. Heureusement, il n’y avait pas de lune. Ils se rassemblèrent au coin du ministère du Travail et Malko inspecta une ultime fois Waterkant. Rien, même pas un animal errant. Ils se lancèrent tous ensemble.
Quelques secondes difficiles à passer. Tonton Beretta les doubla sous les arbres du quai et sauta le premier dans le bateau. Malko et Van Mook déposèrent le blessé avec précaution dans la petite cabine sous l’avant, gardé par Rachel et Greta.
— Prépare tout, qu’on soit prêts à s’arracher, demanda Van Mook à Tonton Beretta.
Le Français, après une imperceptible hésitation, sortit la clef de contact de sa poche et la mit en place, débrancha le coupe-batteries et vérifia l’arrivée d’essence. Il restait juste une amarre à larguer.
Van Mook se hissa hors du bateau, y laissant Rachel et Greta, imité par Malko et Tonton Beretta.
Ils retraversèrent Waterkant d’un seul élan, puis regagnèrent l’ambulance désormais inutile. C’était le grand moment. Malko eut une ultime hésitation. Pourquoi ne pas partir sans l’or ? Ils prenaient des risques insensés. Mais les deux autres étaient capables de le tuer sur place et cela faisait partie de sa mission. Van Mook sortit le trousseau de clefs de sa poche.
— Si seulement ce petit con de Dutchie ne s’était pas tiré ! J’espère qu’on ne va pas se gourer.
Montant sur le toit de la Mercedes 600, ils atteignirent facilement le sommet du mur et se laissèrent retomber dans la cour de la petite banque. Malko et Van Mook avait chacun une Uzi et Tonton Beretta traînait toujours son M 16.
La porte de service indiquée par Rita Moengo était juste en face d’eux. Fébrilement, Herbert Van Mook commença à essayer toutes les clefs. La quatrième pénétra dans la serrure. Le Hollandais retint son souffle.
— Si ce petit con ne s’est pas bien expliqué, dit-il, nous avons une minute pour trouver le tableau de sécurité à droite de la porte et le neutraliser grâce à cette clef.
Il n’y avait qu’une clef plate dans le trousseau. Herbert Van Mook tourna celle qui se trouvait dans la serrure et poussa le battant. Les trois hommes se ruèrent dans l’obscurité. La torche électrique de Malko éclaira un tableau en acier gris sur la droite, où scintillaient plusieurs voyants rouges. Le Hollandais enfonçait déjà la clef plate. Il tourna d’un quart de tour et aussitôt, tous les voyants passèrent au vert.
Ils avaient neutralisé le système de sécurité.
Ils soufflèrent quelques secondes. C’était presque trop beau. Malko tendit l’oreille. Pourvu qu’il ne se passe rien au bateau.
— Allez vérifier si on peut ouvrir la grille donnant sur Waterkant, demanda-t-il, ça ferait gagner un temps précieux.
En effet, la grille en retrait permettait de réduire au minimum la partie dangereuse du transport. Sans se faire prier, le Hollandais partit en courant. Malko, pendant ce temps, cherchait l’accès de la chambre forte. Il le trouva assez facilement : une petite porte donnant sur un escalier descendant au sous-sol. Il s’y engageait déjà quand Van Mook les rejoignit.
— La porte est ouverte, annonça-t-il.