Ils avaient l’impression de se trouver sur une autre planète. Ils mangèrent sans appétit du corned-beef et burent de la bière qui n’arrivait pas à les désaltérer avec la chaleur poisseuse.
— Où sommes-nous ? demanda Malko au Hollandais.
— D’après le compteur, fit Van Mook, à peu près à mi-chemin en distance. Mais cela ne veut rien dire : il suffit que nous tombions sur des fondrières, une rivière ou un arbre en travers du chemin…
Malko calculait. En partant dès l’aube, ils arriveraient, tout juste à temps pour récupérer l’avion. Celui-ci devait redécoller avant la tombée de la nuit. S’il était arrivé comme prévu. Un animal poussa un cri aigu non loin d’eux, il y eut un bruit de feuillages froissés et Herbert Van Mook dressa l’oreille.
Un jaguar…
À cause des moustiques, ils se grattaient tous comme des fous. Malko et Greta remontèrent à l’arrière pour la nuit, tandis que le Hollandais s’installait sur une toile à même le sol à côté de Rachel, laissant la cabine au blessé, bien calé sur une des portières. Malko coinça l’Uzi sous lui, à tout hasard, de façon à ce qu’on ne puisse la lui prendre sans le réveiller. Il tomba aussitôt dans un profond sommeil agité.
Greta Koopsie l’imita, un bras en travers de sa poitrine. Heureuse.
Herbert Van Mook se réveilla et regarda sa montre : quatre heures et demie. Il faisait encore nuit noire. Comme les animaux, il avait un réveil incorporé dans sa tête, et, malgré son immense fatigue, il avait fonctionné. Sans bouger, il regarda autour de lui. Rachel, recroquevillée sur la toile, semblait dormir à poings fermés. Quelques bruissements venaient de la forêt. Le feu s’était éteint et le camion ressemblait à une grosse bête noire.
Greta poussa son corps contre celui de Malko, en dépit de la chaleur poisseuse. Sa jupe de toile était relevée sur ses cuisses, et, si elle avait osé, elle l’aurait enlevée. Elle ignorait quelle heure il était, mais elle s’était réveillée le ventre en feu, avec une féroce envie de faire l’amour. Le tapis d’or sur lequel ils étaient étendus lui causait une sensation bizarre. Elle commença à se frotter lentement contre Malko, jusqu’à ce qu’il se réveille à demi. La pression insistante du pubis de Greta fut la première sensation nette qu’il éprouva. Puis, la seconde, une main qui tentait doucement d’éveiller son désir. Les lèvres collées à son oreille, Greta murmura :
— Je veux le faire ici, sur ce tas d’or.
Malko, émergeant d’un sommeil profond, se rapprocha d’elle.
Ils laissèrent grandir leur désir, enlacés, puis, Greta Koopsie empêtrée par sa jupe de toile, finit par s’en débarrasser, ne conservant que son T-shirt. Elle s’installa sur Malko, et au prix de quelques contorsions parvint à s’empaler sur lui comme elle le souhaitait. Elle commença alors une très lente cavalcade, savourant la progressive montée du plaisir, collée à Malko par la transpiration.
— C’est fantastique, murmura-t-elle à son oreille.
Sa respiration devenait entrecoupée et ses mouvements plus saccadés. Malko crispa ses mains sur les hanches fermes, afin de contrôler ses ondulations désordonnées.
Herbert Van Mook se leva sans bruit et gagna la cabine dont la portière était restée ouverte. Julius Harb dormait aussi. Tout doucement, le Hollandais prit un sac de toile et s’accroupit devant le pare-chocs. Il en sortit une boîte à cigares qu’il secoua légèrement en la tenant près de son oreille. Rassuré, il se redressa et s’avança le long du camion, du côté où était couché Malko. Il écouta de nouveau, puis se dressa sur la pointe des pieds et passa la boîte entre la ridelle et la toile de la bâche.
Tenant la boîte retournée, il tira vivement le couvercle.
Greta Koopsie, en train de monter vers le plaisir, s’arrêta brusquement et poussa un cri. Presque au même instant, Malko sentit une très légère piqûre au bras droit, à la hauteur du coude.
— Quelque chose m’a piqué ! fit la jeune femme.
— Moi aussi, dit Malko, ce n’est rien, probablement des moustiques.
Ils reprirent ce qu’ils avaient commencé et Greta, un peu plus tard, poussa un cri et tressaillit de tout son corps tandis qu’ils explosaient ensemble. Puis, elle se rendormit dans la moiteur de l’aube, toujours empalée sur Malko, une main sur une barre d’or.
— Allez, réveillez-vous !
La voix de Herbert Van Mook fit sursauter Malko. Il se dressa, s’appuya sur son coude droit et poussa un hurlement de douleur, traversé par un élancement effroyable. Il examina son bras : il avait doublé de volume ! Le coude était rouge vif, la peau tirée, avec des plaques noirâtres. Impossible de le plier. Le Hollandais le regardait de l’arrière du camion.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Je ne sais pas, fit Malko, j’ai été piqué par quelque chose, j’ai très mal.
Son regard se porta sur Greta et il sentit le sang se retirer de son visage. Une énorme meurtrissure livide et rouge s’étalait sur ses reins, là où elle avait été mordue. Il la secoua pour la réveiller et elle gémit faiblement, puis se dressa, avec un cri et tâta sa hanche.
— J’ai mal ! gémit la jeune femme. Ma tête, je ne peux plus respirer.
Ce n’était pas un moustique qui avait provoqué ces dégâts !
Avec l’aide de Van Mook, Malko porta la jeune femme hors du camion. Puis, malgré les élancements de son coude, il remonta à l’intérieur du camion, souleva la bâche sur un des côtés et commença à examiner les barres d’or entassées. Presque tout de suite, il aperçut un petit cordon sombre lové sur lui-même entre deux lingots.
Un serpent. Guère plus de vingt centimètres.
Malko prit l’Uzi et à bout portant, tira une balle qui pulvérisa la tête du reptile qui s’immobilisa après quelques contorsions. Malko s’accroupit pour l’examiner et sentit sa gorge se serrer. Il avait déjà vu un reptile semblable, noir presque violacé. À la ferme de Herbert Van Mook… Ce n’était pas un accident. Surmontant son dégoût, il prit le serpent mort par la queue et sauta hors du camion. En le voyant Julius Harb eut une mimique terrifiée.
— That’s a cascabel[23] ! dit-il, very dangerous ! Deadly.
Malko tourna la tête vers Greta Koopsie. La bouche ouverte, elle avait du mal à respirer. Le poison avait déjà fait son œuvre, paralysant les voies respiratoires. Il comprit pourquoi il était moins atteint : le reptile avait déchargé ses crochets dans la chair de Greta et lui n’avait hérité que du résidu. Peut-être assez toutefois pour le tuer. Le regard d’Herbert Van Mook allait de l’un à l’autre, plein de compassion.
— C’est une sale bête, c’en est plein dans la forêt !
— Celui-là ne vient pas de la forêt, dit Malko. C’est vous qui l’avez apporté avec vous.
— Vous êtes fou ! protesta Van Mook. Jamais je n’aurais fait une chose pareille.
Une voix douce fit soudain derrière lui.
— C’est vrai, je l’ai vu le jeter dans le camion ! Rachel, toujours indifférente en apparence, fixait son amant avec une lueur amusée dans les yeux. Ce dernier ne fit qu’un bond et la saisit à la gorge.