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En quatre jours, la chaloupe à vapeur franchit les deux cent quarante milles qui séparent les cataractes de Morgheda du Kuruman, l’un des affluents qui remontait précisément à la ville de Lattakou, que devait atteindre l’expédition du colonel Everest. Le fleuve, à trente lieues en amont des chutes, formait un coude, et modifiant sa direction générale qui est ouest et est, il revenait au sud-est mordre l’angle aigu que fait au nord le territoire de la colonie du Cap. De cet endroit, il pointait au nord-est, et allait se perdre à trois cents milles de là dans les régions boisées de la république de Transvaal.

Ce fut le 5 février, pendant les premières heures de la matinée et par une pluie battante, que le Queen and Tzar atteignit la station de Klaarwater, village hottentot, près duquel le Kuruman se jette dans l’Orange. Le colonel Everest, ne voulant pas perdre un instant, dépassa rapidement les quelques cabanes bochjesmanes qui forment le village, et sous l’impulsion de son hélice, la chaloupe commença à remonter le courant du nouvel affluent. Ce courant rapide, ainsi que l’observèrent les passagers du Queen and Tzar, était dû à une particularité singulière de ce cours d’eau. En effet, le Kuruman, très-large à sa source, s’amoindrit, en descendant, sous l’influence des rayons solaires. Mais, en cette saison, grossi par les pluies, accru des eaux d’un sous-affluent, la Moschona, il était profond et rapide. Les feux furent donc poussés, et la chaloupe remonte le cours du Kuruman à raison de trois milles à l’heure.

Pendant cette traversée, le bushman signala dans les eaux de la rivière la présence d’un assez grand nombre d’hippopotames. Ces gros pachydermes que les Hollandais du Cap nomment «vaches marines», épais et lourds animaux, longs de huit à dix pieds, étaient d’humeur peu agressive. Les hennissements de la barque à vapeur et les patouillements de l’hélice les effrayaient. Cette embarcation leur paraissait quelque monstre nouveau dont ils devaient se défier, et de fait, l’arsenal du bord rendait son approche fort difficile. Sir John Murray eût volontiers essayé ses balles explosibles sur ces masses charnues; mais le bushman lui affirma que les hippopotames ne manqueraient pas dans les cours d’eau du nord, et sir John Murray résolut d’attendre de plus favorables occasions.

Les cent cinquante milles qui séparent l’embouchure du Kuruman de la station de Lattakou furent franchis en cinquante heures. Le 7 février, à trois heures du soir, le point d’arrivée était atteint.

Lorsque la chaloupe à vapeur eut été amarrée à la berge qui servait de quai, un homme âgé de cinquante ans, l’air grave, mais de physionomie bonne, se présenta à bord, et tendit la main à William Emery. L’astronome, présentant alors le nouveau venu à ses compagnons de voyage, dit:

«Le révérend Thomas Dale, de la Société des Missions de Londres, et le directeur de la station de Lattakou.»

Les Européens saluèrent le révérend Thomas Dale, qui leur souhaita la bienvenue, et se mit à leur entière disposition.

La ville de Lattakou, ou plutôt la bourgade de ce nom, forme la station de missionnaires la plus éloignée du Cap vers le nord. Elle se divise en ancien et nouveau Lattakou. L’ancien, presque abandonné actuellement, que le Queen and Tzar venait d’atteindre, comptait encore, au commencement du siècle, douze mille habitants, qui depuis ont émigré dans le nord-est. Cette ville, bien déchue, a été remplacée par le nouveau Lattakou, bâti non loin, dans une plaine autrefois couverte d’acacias.

Ce nouveau Lattakou, auquel les Européens se rendirent sous la conduite du révérend, comprenait une quarantaine de groupes de maisons, et contenait environ cinq ou six mille habitants qui appartiennent à la grande tribu des Béchuanas.

C’est dans cette ville que le docteur David Livingstone séjourna pendant trois mois, en 1840, avant d’entreprendre son premier voyage au Zambèse, voyage qui devait entraîner l’illustre voyageur à travers toute l’Afrique centrale, depuis la baie de Loanda au Congo, jusqu’au port de Kilmane, sur la côte de Mozambique.

Arrivé au nouveau Lattakou, le colonel Everest remit au directeur de la mission une lettre du docteur Livingstone, qui recommandait la commission anglo-russe à ses amis de l’Afrique australe. Thomas Dale lut cette lettre avec un extrême plaisir, puis il la rendit au colonel Everest, disant qu’elle pourrait lui être utile pendant son voyage d’exploration, le nom de David Livingstone étant connu et honoré dans toute cette partie de l’Afrique.

Les membres de la commission furent logés à l’établissement des missionnaires, vaste case proprement bâtie sur une éminence, et qu’une haie impénétrable entourait comme une enceinte fortifiée. Les Européens s’installèrent dans cette habitation d’une façon plus confortable que s’ils s’étaient logés chez les Béchuanas. Non que ces demeures ne soient tenues proprement et avec ordre. Au contraire. Leur sol, en argile très-lisse, n’offre pas un atome de poussière; leur toit, fait d’un long chaume, est impénétrable à la pluie; mais, en somme, ces maisons ne sont que des huttes dans lesquelles un trou circulaire, à peine praticable pour un homme, donne accès. Là, dans ces huttes, la vie est commune, et le contact immédiat des Béchuanas ne saurait passer pour agréable.

Le chef de la tribu, qui résidait à Lattakou, un certain Moulibahan, crut devoir se rendre près des Européens, afin de leur rendre ses devoirs. Moulibahan, assez bel homme, n’ayant du nègre ni les lèvres épaisses ni le nez épaté, montrant une figure ronde et non rétrécie dans sa partie inférieure comme celle des Hottentots, était vêtu d’un manteau de peaux cousues ensemble avec beaucoup d’art, et d’un tablier appelé «pukoje» dans la langue du pays. Il était coiffé d’une calotte de cuir, et chaussé de sandales en cuir de bœuf. À ses coudes se contournaient des anneaux d’ivoire; à ses oreilles se balançait une lame de cuivre longue de quatre pouces, sorte de boucle d’oreille qui est aussi une amulette. Au-dessus de sa calotte se développait la queue d’une antilope. Son bâton de chasse supportait une touffe de petites plumes noires d’autruche. Quant à la couleur naturelle du corps de ce chef Béchuana, on ne pouvait la reconnaître sous l’épaisse couche d’ocre qui l’oignait des pieds à la tête. Quelques incisions à la cuisse, rendues ineffaçables, indiquaient le nombre d’ennemis tués par Moulibahan.

Ce chef, au moins aussi grave que Mathieu Strux lui-même, s’approcha des Européens, et les prit successivement par le nez. Les Russes se laissèrent faire sérieusement. Les Anglais furent un peu plus récalcitrants. Cependant, suivant les mœurs africaines, c’était un engagement solennel de remplir envers les Européens les devoirs de l’hospitalité.

Cette cérémonie achevée, Moulibahan se retira sans avoir prononcé une seule parole.

«Et maintenant que nous voici naturalisés Béchuanas, dit le colonel Everest, occupons-nous, sans perdre ni un jour ni une heure, de nos opérations.»

Ni un jour ni une heure ne furent perdus, et cependant, – tant l’organisation d’une telle expédition exige de soins et de détails, – la commission ne fut pas prête à partir avant les premiers jours de mars. C’était, d’ailleurs, la date assignée par le colonel Everest. À cette époque, la saison des pluies venait de finir, et l’eau, conservée dans les plis de terrain, devait fournir une ressource précieuse aux voyageurs du désert.