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Les pépins de raisin lunaire ressemblent exactement à nos grêlons, et je suis fermement convaincu que, lorsqu’une tempête détache les grains de leur tige, les pépins tombent sur notre terre et forment notre grêle. Je suis même porté à croire que cette observation doit être connue depuis longtemps de plus d’un marchand de vin; du moins j’ai bien souvent bu du vin qui m’a paru fait de grêlons, et dont le goût rappelait celui du vin de la lune.

J’allais oublier un détail des plus intéressants. Les habitants de la lune se servent de leur ventre comme des gibecières; ils y fourrent tout ce dont ils ont besoin, l’ouvrent et le ferment à volonté comme leur estomac, car ils ne sont pas embarrassés d’entrailles, ni de cœur, ni de foie; ils ne portent non plus pas de vêtements, l’absence de sexe les dispensant de pudeur.

Ils peuvent à leur gré ôter et remettre leurs yeux, et, lorsqu’ils les tiennent à la main, ils voient aussi bien que s’ils les avaient sur la figure. Si, par hasard, ils en perdent ou en cassent un, ils peuvent en louer ou en acheter un nouveau, qui leur fait le même service que l’autre; aussi rencontre-t-on dans la lune, à chaque coin de rue, des gens qui vendent des yeux; ils en ont les assortiments les plus variés, car la mode change souvent: tantôt ce sont les yeux bleus, tantôt les yeux noirs, qui sont mieux portés.

Je conviens; messieurs, que tout cela doit vous paraître étrange; mais je prie ceux qui douteraient de ma sincérité de se rendre eux-mêmes dans la lune, pour se convaincre que je suis resté plus fidèle à la vérité qu’aucun autre voyageur.

CHAPITRE XVII Voyage à travers la terre et autres aventures remarquables.

Si je m’en rapporte à vos yeux, je suis sûr que je me fatiguerais plus vite à vous raconter les événements extraordinaires de ma vie que vous à les écouter. Votre complaisance est trop flatteuse pour que je m’en tienne, ainsi que je me l’étais proposé, au récit de mon second voyage dans la lune. Écoutez donc, s’il vous plaît, une histoire dont l’authenticité est aussi incontestable que celle de la précédente, mais qui la surpasse par l’étrangeté et le merveilleux dont elle est empreinte.

La lecture du voyage de Brydone en Sicile m’inspira un vif désir de visiter l’Etna. En route il ne m’arriva rien de remarquable: je dis à moi, car beaucoup d’autres, pour faire payer aux lecteurs naïfs les frais de leur voyage, n’eussent pas manqué de raconter longuement et emphatiquement maints détails vulgaires qui ne sont pas dignes de fixer l’attention des honnêtes gens.

Un matin de bonne heure, je sortais d’une chaumière située au pied de la montagne, fermement résolu à examiner, dût-il m’en coûter la vie, l’intérieur de ce célèbre volcan. Après trois heures d’une marche des plus pénibles, j’atteignis le sommet de la montagne. Depuis trois semaines le volcan grondait sans discontinuer. Je ne doute pas, messieurs, que vous ne connaissiez l’Etna par les nombreuses descriptions qui en ont été faites: je n’essayerai donc pas de vous redire ce que vous savez aussi bien que moi, et j’épargnerai à moi une peine et à vous une fatigue inutile.

Je fis trois fois le tour du cratère – dont vous pouvez avoir une idée en vous figurant un immense entonnoir -, et, reconnaissant que j’aurais beau tourner, cela ne m’avancerait guère, je pris bravement ma résolution, et je me décidai à sauter dedans. À peine eus-je exécuté le saut, que je me sentis comme plongé dans un bain de vapeur brûlante; les charbons ardents qui jaillissaient sans relâche endommagèrent et brûlèrent en tous sens mon pauvre corps.

Mais quelle que fut la violence avec laquelle s’élançaient les matières incandescentes, je descendais plus rapidement quelles ne montaient, grâce à la loi de la pesanteur, et au bout de quelques instants je touchai le fond. La première chose que je remarquai fut un bruit épouvantable, un concert de jurements, de cris et de hurlements qui semblaient s’élever autour de moi. J’ouvris les yeux, et qu’est-ce que je vis?… Vulcain en personne accompagné de ses cyclopes. Ces messieurs, que mon bon sens avait depuis longtemps relégués dans le domaine de la fiction, étaient depuis trois semaines en querelle au sujet d’un article du règlement intérieur, et c’était cette dispute qui remuait la surface externe. Mon apparition rétablit comme par enchantement la paix et la concorde dans la tapageuse assemblée.

Vulcain courut aussitôt clopin-clopant vers son armoire, en tira des onguents et des emplâtres qu’il m’appliqua de sa propre main, et, quelques minutes après, mes blessures étaient guéries. Il m’offrit ensuite des rafraîchissements, un flacon de nectar et d’autres vins précieux, comme n’en boivent que les dieux, et les déesses. Dès que je fus à peu près remis, il me présenta à Vénus, son épouse, en lui recommandant de me prodiguer tous les soins qu’exigeait ma position. La somptuosité de la chambre où elle me conduisit, le moelleux du sofa sur lequel elle me fit asseoir, le charme divin qui régnait dans toute sa personne, la tendresse de son cœur, il n’y a pas de mots dans les langues terrestres pour exprimer cela; rien que d’y penser, la tête me tourne!

Vulcain me fit une description très détaillée de l’Etna. Il m’expliqua comme quoi cette montagne n’était qu’un amas de cendres sorties de la fournaise; qu’il était souvent obligé de sévir contre ses ouvriers; qu’alors, dans sa colère, il leur jetait des charbons ardents qu’ils paraient avec une grande adresse en les laissant passer sur la terre, afin de le laisser épuiser ses munitions. «Nos dissensions, ajouta-t-il, durent quelquefois plusieurs mois, et les phénomènes qu’elles produisent à la surface de la terre sont ce que vous appelez, je crois, des éruptions. Le mont Vésuve est également une de mes forges: une galerie de trois cent cinquante milles de longueur m’y conduit en passant sous le lit de la mer: là aussi des dissensions semblables amènent sur la terre des accidents analogues.»

Si je me plaisais à la conversation instructive du mari, je goûtais encore davantage la société de la femme, et je n’aurais peut-être jamais quitté ce palais souterrain, si quelques mauvaises langues n’avaient mis la puce à l’oreille au seigneur Vulcain, et n’avaient allumé dans son cœur le feu de la jalousie. Sans me prévenir le moins du monde, il me saisit un matin au collet, comme j’assistais la belle déesse à sa toilette, et m’emmena dans une chambre que je n’avais pas encore vue: là il me tint suspendu au-dessus d’une espèce de puits profond, et me dit: «Ingrat mortel, retourne dans le monde d’où tu es venu!»

En prononçant ces mots et sans me permettre de rien répliquer pour ma défense, il me précipita dans l’abîme.

Je tombai avec une rapidité toujours croissante, jusqu’à ce que l’effroi m’eût fait perdre entièrement connaissance. Mais je fus tout d’un coup tiré de mon évanouissement en me sentant plongé dans une immense masse d’eau illuminée par les rayons du soleiclass="underline" c’était le paradis et le repos en comparaison de l’affreux voyage que je venais d’accomplir.

Je regardai tout autour de moi, mais je ne voyais de tous côtés que de l’eau. La température était tout autre que celle à laquelle je m’étais accoutumé chez le seigneur Vulcain. Enfin je découvris à quelque distance un objet qui avait l’apparence d’un énorme rocher, et qui semblait se diriger vers moi: je reconnus bientôt que c’était un glaçon flottant. Après beaucoup de recherches, je trouvai enfin un endroit où je pus m’accrocher, et je parvins à gravir jusqu’au sommet. À mon grand désespoir, je ne découvris aucun indice qui m’annonçât le voisinage de la terre. Enfin, avant la tombée de la nuit, j’aperçus un navire qui s’avançait de mon côté. Dès qu’il fut à portée de la voix, je le hélai de toutes mes forces: il me répondit en hollandais. Je me jetai à la mer, et nageai jusqu’au navire où l’on m’amena à bord. Je demandai où nous étions. «Dans la mer du Sud», me répondit-on. Ce fait expliquait toute l’énigme. Il était évident que j’avais traversé le centre du globe et que j’étais tombé par l’Etna dans la mer du Sud: ce qui est beaucoup plus direct que de faire le tour du monde. Personne avant moi n’avait encore tenté ce passage, et si je refais jamais le voyage; je me promets bien d’en rapporter des observations du plus haut intérêt.